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06 / 11 / 2018 | 120 vues
Rodolphe Helderlé / Journaliste
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Syndicats d’entreprise : comment toucher des salariés saturés d’information ?

Rien ne s’oppose, tout se complète mais il y a tout de même des risques de se perdre à vouloir jouer sur tous les supports d’information et d’inter-relations. Les syndicats font leur choix en fonction de leur priorité dans un contexte de sur-information des salariés.

Prendre du recul

« Les salariés sont certes sur-informés par la direction mais ils sont surtout mal informés. Nous faisons le pari d’une information qualitative qui explique et éveille le sens critique sur les belles histoires de la direction. Nous prenons le temps de prendre du recul », explique Florent Jonery, de la CFTC Worldline, qui voit les limites de l’information strictement revendicative et de la course à celui qui dira la même chose mais plus vite que les autres. C’est le blog public qui sert de support principal d'information. Au regard du caractère potentiellement sensible de certaines informations publiées, le syndicat accepte de réserver l’accès aux informations censées ne pas sortir pour les seuls salariés à partir du blog. Comment ? En y intégrant le module d’identification des salariés de la direction. C’est aussi le cas sur les sites des syndicats de la Société Générale. Tous les trois mois, la petite équipe syndicale s’évertue à produire un nouvel épisode de la série « Des souris et des ogres », un dossier thématique de grand angle qui présente l’originalité de reposer sur une vingtaine d’entretiens anonymes menés avec des salariés. Une excellente occasion d’aller au contact. Si le syndicat a choisi de ne pas tracter, chaque numéro des « Souris et des ogres » est en revanche distribué à la main dans tous les services. Un bon support d’échange. Cette approche qualitative permet à la CFTC d’être (avec la CFDT) le seul syndicat représentatif dans cette entreprise de plus de 7 000 salariés. « Les conditions sont seulement réunies une fois sur quatre pour que nous puissions restituer aux salariés la synthèse de nos expertises avec les élus. C’est dommage car c’est à chaque fois très riche. Encore faut-il que les élus s’entendent pour le faire et que la direction autorise cette restitution sur le temps de travail », souligne Stéphane Roose, responsable d’Impact Études, cabinet spécialisé sur les expertises en matière de conditions de travail.

Aller à la rencontre des salariés

Cette volonté d’aller à la rencontre des salariés a constitué le fil directeur de l’atelier. Chez IBM, l’UNSA tracte ainsi chaque mois 2 000 exemplaires pour toucher le tiers des (7 000) salariés qui sont encore sédentaires. Pour cela, il faut à chaque fois mobiliser une dizaine de militants. « Tracter, ce n’est pas se contenter de distribuer ; il faut aussi être capable d’écouter. Nous tractons donc en binôme car il n’est pas possible de faire les deux simultanément. Ceux qui ont arrêté le tractage pour se contenter de leur site internet l’ont payé cher », remarque Pierry Pocquet, responsable du premier syndicat d’IBM qui use d’une liste de diffusion de 500 e-mails pour notamment informer de chaque publication sur le blog. Les informations les plus « chaudes » générent autour de 700 lectures. Le plus sûr moyen de toucher les salariés, c’est encore d’aller sur le terrain. Ça peut commencer par récupérer les adresses électroniques des salariés, comme on le fait à l’UNSA IBM et à la CFE-CGC d’Orange, qui dispose d’une base de 25 000 adresses électroniques récupérées avec le consentement explicite des salariés intéressés. Comme quoi la contrainte posée par une direction qui interdit l’usage de la liste de diffusion de l’entreprise constitue un levier d’interaction avec les salariés pour qu’ils acceptent de laisser leur adresse électronique à un syndicat. Cette base d’adresses draine l’essentiel du trafic des 16 000 visiteurs mensuels moyen du site internet public.

Rencontrer ne suffit pas, il faut le montrer.

L’équipe de la CFE-CGC d’Orange organise régulièrement des réunions d’information syndicale sur les sites avec une bonne participation à chaque fois (entre 30 et 40 salariés). Mais aller à la rencontre ne suffit pas ; après coup, il faut le faire savoir. Un modèle de photo-montage a donc été préparé pour que les photos de la rencontre puissent être relayées sur le fil Twitter du syndicat notamment. Le tout en prenant soin de préserver l’anonymat, d’où des photos de dos des participants. Bref, il faut créer l’événement. À l’instar de la CFDT d’Accenture qui investit périodiquement la cafétéria du siège (sans demander l’autorisation) avec sa signalétique pour offrir le café, en invitant à échanger autour d’un sondage et en distribuant des petits cadeaux dans le ton du sujet. Au moment du sondage sur la négociation salariale, c’est une carotte anti-stress qui a ainsi été distribuée. Gros succès, même le nouveau patron a accepté de se livrer à l’exercice. « Le tractage à la sortie de la cantine ne fonctionne plus », considère Jérôme Chemin, responsable de la CFDT chez Accenture. Près d’un quart des 4 000 salariés ont répondu au sondage sur les salaires.

Priorités aux interactions avec les directs...

Avec cette même volonté d’être plus proche des salariés, la CAT Maif organise des directs sur sa page Facebook. Priorité aux interactions et donc à la réactivité tandis que les syndicats UNSA et CFDT de l’assureur privilégient la publication sur leur blog respectif. La page est suivie par plus de 479 personnes (7 000 salariés). Cela peut paraître relativement peu mais beaucoup de salariés ne tiennent pas à ce que l’employeur puisse savoir qu’ils suivent la page de ce syndicat. Il n’empêche que le direct de 30 minutes sur la signature de l’accord « oser sur l’aménagement du temps de travail » en novembre 2017 a généré au total (direct et replay) plus de 5 000 vues et 100 commentaires, soit rien moins que 5 fois plus que la vidéo produite par la direction. Si la CAT ne compte pas investir du temps sur un blog en plus de son implication sur Facebook, elle va en revanche prendre place sur Maya, le réseau social interne sur lequel la direction a accepté que les syndicats puissent s’installer. « Là, nous allons pouvoir créer et animer des groupes privés tout en apportant une information plus explicative. Sur Facebook, le ton est davantage revendicatif », explique Steve Curier, secrétaire adjoint du syndicat qui précise que la page Facebook est administrée par 8 personnes pour assurer une modération permanente. « Des salariés oublient parfois que leur commentaires sont publics. Il est de notre responsabilité d’éviter qu’ils s’exposent inutilement », précise le représentant de la CAT.

Les groupes privés

L’UNSA IBM n’hésite pas à suivre de près les échanges sur le handicap, l’égalité entre hommes et femmes ou encore la reconnaissance des diversités sexuelles qui se nouent dans les communautés d’échanges internationaux du réseau interne. Les militants y prennent le pouls sans s’y afficher avec une étiquette syndicale. Les principaux contributeurs influenceurs du groupe privés sur Facebook de la communauté des Zagrums s’avèrent être des militants des principaux syndicats du groupe Orange. Mais ils ne se présentent pas ainsi. Comme chez IBM, c’est la personne qui s’engage et pas le syndicat. « La règle est très claire, on ne parle pas syndicats, politiques ou religion dans le groupe, pas plus que l’on ne peut y publier des petites annonces », précise Christophe Nbi, initiateur de ce groupe il y a 4 ans. Celui-ci compte aujourd’hui 13 000 membres authentifiés par leur adresse électronique professionnelle et génère plus de 150 contributions par jour. Une équipe de 20 modérateurs bénévoles est sur le pont. On y parle de tout, on s’échange des conseils sur le travail autant que sur les sorties, la mode, la santé et cela se poursuit régulièrement par des sessions « after work ». L’annonce de la fin du remplacement des cartes SIM en boutique a récemment suscité beaucoup de réactions négatives. Un excellent baromètre pour la direction. Véritable community manager, Christophe Nbi organise régulièrement des directs, à l’occasion des conventions commerciales, qu’il soit ou non convié, mais aussi pour décrypter des sujets qui concernent tous les salariés. Comme par exemple avec un direct d’une heure au cours duquel un expert de l’intéressement intervenait. À 21h00, 1 200 salariés suivaient cet expert qui s’avère être un militant CFE-CGC. « La communauté des Zagrums n’est pas un levier d’adhésion ; elle permet d’humaniser les syndicats car, derrières les étiquettes, ce sont bien des gens qui s’engagent », commente Sébastien Crozier, président de la CFE-CGC d’Orange. De façon très opportune, le syndicat permet à Christophe Ndi d’être permanent syndical sans pour autant porter de mandat depuis deux ans.

Mieux vaut cibler…

Saturation oblige, le taux d’ouverture des mailings du syndicat ont baissé de 20 % en dix ans, même si un « bon » e-mail reste ouvert par 40 % des gens. « Le taux d’ouverture dépend de notre capacité à bien cibler les e-mails que nous adressons. Cette ultra-spécialisation doit en revanche répondre aux règles sur le traitement des données personnelles », prévient Sébastien Crozier. Ce ciblage se retrouve sur tous les canaux. C’est le sens de la création d’un compte twitter spécialisé sur l’actionnariat salarié au nom de l’Association de défense de l’épargne et de l’actionnariat salarié (ADEAS) à l’initiative de la CFE-CGC d’Orange. Chaque mois, la CFDT d’Accenture va au contact par e-mail sur une cible très particulière : la centaine de personnes ayant passé leurs deux périodes d’essai de 6 mois. Il leur est proposé de répondre à un questionnaire. La stratégie se révèle très efficace. « 50 % acceptent de le faire et 10 % passent au local pour des échanges à haute valeur ajoutée », souligne Valérie Quéhen, militante du syndicat qui s’occupe du suivi des recrues. « Nous comblons un vide laissé par la direction », ajoute Jérôme Chemin. Chaque mois, la CFTC d’HPE organise une téléconférence d’une heure sur un thème d’actualité bien précis, à laquelle les 200 adhérents sont invités. Entre 40 et 80 y participent. Des supports visuels sont désormais intégrés pour maintenir l’attention. Pour Jean-Paul Vouiller, responsable de ce syndicat majoritaire chez HPE et initiateur il y a 13 ans d’un blog devenu une véritable assemblée générale permanente avec 100 000 commentaires au compteur sur 1 000 sujets, « ce qui était lu à 80 % est lu à 20 %. Il y a la nécessité absolue d’apporter de la valeur ajoutée dans tout ce que l’on produit. Le temps est devenu une part de marché ».

Rendre les adhérents acteurs

La CFTC HPE se différencie des autres syndicats par sa volonté d’impliquer les salariés dont près de 20 % comptent parmi ses adhérents. C’est ainsi que 53 spécialistes sont identifiés pour être en mesure d’apporter des réponses sur tous les sujets aux salariés. Des experts valorisés notamment par leur capacité à répondre sur le blog, récemment mis à contribution à l’occasion des « 20 défis ». Avenir des sites, bénévolat... 20 défis ont été proposés aux adhérents avec, à chaque fois, un spécialiste comme animateur, l’idée étant d’être force de proposition et d’engagement. Dans le cadre du défi de bénévolat, animé par Jean-Paul Vouiller, 7 nouveaux adhérents se sont inscrits à une formation de 2 jours pour devenir délégués sociaux d’entreprise, salariés capables d’orienter au mieux les collègues fragilisés. Au total, près d’un quart des militants a déjà suivi cette formation, fruit d’un partenariat avec le FTQ (principal syndicat québécois) qui a introduit cette notion du délégué social il y a 30 ans, pour agir face à l’alcoolisme. Depuis, le champ d’intervention des 2 500 délégués sociaux s’est élargi aux fragilités psychologiques. Et Stéphane Roose de conclure cet atelier en constatant que « les conditions de travail constituaient un bon levier pour toucher et impliquer les salariés sous des formes nouvelles ».

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paradoxalement les outils numériques sont les outils les plus utilisés dans le monde du travail, et ceux sur lesquels les utilisateurs se sont - en majorité - auto-formés... et mal formés, mais ils n'en sont pas fautifs ! C'est à l'entreprise d'en avoir conscience et de faire le nécessaire pour pallier à l'incompétence numérique... qui coûte en France et en moyenne 8500 €/an/salarié https://www.efficacitic.fr/2016/10/26/cout-incompetence-informatique-en-france/