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29 / 10 / 2020 | 169 vues
Didier Cozin / Membre
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Le DIF encore et toujours ?

Pour la troisième fois, le gouvernement repousse les échéances éducatives du DIF (de six mois) pour un dossier sur la formation qui n'aura jamais sérieusement été traité ou pensé depuis son initiative de 2014.
 

Les échéances du droit individuel à la formation (DIF), devenu compte personnel de formation (CPF) puis compte personnel d'activité (CPA), n'en finissent pas d'être repoussées par le Ministère du Travail qui s'est bien imprudemment risqué à nationaliser la formation et son organisation pour 30 millions d'actifs en 2014.
 

I. En 2004, le DIF était simplement énoncé et facile à mettre en œuvre. Dispositif co-investi de formation, il se situait à mi-chemin entre le plan de formation, appartenant à l'entreprise et le congé individuel de formation (CIF) appartenant au salarié. Le DIF était donc un compromis, une négociation sociale entre un salarié souhaitant se former, dans le cadre de son contrat de travail, et un employeur qui devait organiser cette formation (communiquer des compteurs DIF, répondre à une demande, la rendre aux besoins du travail et financer la formation). Le DIF naissait et se déployait durant le contrat de travail (20 heures par an), était cumulable pendant six ans (120 heures) mais disparaissait en cas de rupture professionnelle (comme le droit aux congés payés disparaît lors d'une perte d'emploi).
 

II. Pour des raisons financières et sociales (le peu d'intérêt de 90 % des entreprises en France pour le développement des compétences), le DIF n'est pas parvenu à se déployer en dix années d'existence. Endogamique et faiblement promotionnelle, la formation n'est pas parvenue à se réinventer avec la loi de mai 2004.
En 2013-2014, d'un commun accord entre le MEDEF, la CFDT et le gouvernement socialiste, le démantèlement du DIF et son reporte ont été décidés, le tout dans un « réceptacle » de formation, devenu le réceptacle de toutes les illusions et intentions éducatives du pays au fil de l'eau : mêler la formation, la pénibilité, le droit à une éducation différée, le permis de conduire, la formation des jeunes sans éducation, celles des chômeurs, des handicapés etc. en un même compte.

Alors que la « grande » innovation du quinquennat précédent le compte personnel d'activité n'a jamais vu le jour (ce CPA devait inclure le CPF, le CEC, le compte pénibilité, le compte épargne-temps etc.). Le CPF erre depuis cinq ans dans le paysage social et éducatif sans financement ni organisation (au mieux, 5 % des salariés pourraient en bénéficier chaque année) et désormais dans un contexte de crise sanitaire, économique et éducative qui ordonne d'immenses et durables efforts financiers pour relever le niveau de compétences du pays.

Déjà avant la crise du covid-19, une mission d'enquête de l'IGAS/IGS avait rapporté l'insoutenabilité financière de la réforme de 2018.
 

Comme l'a rapporté cette mission commune de l'IGAS/IGS d'avril 2020 (réalisée bien avant la pandémie du covid-19 et la crise sociale en découlant), le CPF est un dispositif à la fois ruineux, inéquitable et impossible à généraliser. Si plus de 3 % des actifs tentaient de le mettre en œuvre chaque année (soit 1 million de personnes), le CPF ne pourrait faire face.  
 

Extraits : « L’équilibre financier des dispositifs n’est pas garanti à moyen terme et demeure incertain à long terme. La loi de 2018 instaure un nouveau modèle économique de l’apprentissage et de la formation professionnelle : elle étend les dispositifs de guichet qui remplacent des enveloppes fermées afin d’accompagner le développement et d’éviter tout contingentement du recours à l’alternance et au compte personnel de formation... Sans augmentation de la fiscalité, comme l’ont rappelé les commanditaires de la mission, la montée en puissance du recours au CPF et de l’apprentissage créent un besoin de financement non couvert par les recettes prévisionnelles. À moyen terme, les projections financières réalisées par la mission en attestent... ».

« Le gouvernement a avancé un objectif d’un million de formations financées par an alors que 383 000 salariés sont entrés en formation en 2018 et environ 200 000 demandeurs d’emploi. Les projections réalisées par la DB et la DG Trésor font l’hypothèse d’un taux de recours progressivement croissant, de 2 % environ en 2018 à 5 % à horizon 2023, soit environ 1,2 million de formations financées par la CDC. Toutefois, aucune hypothèse n’a été réalisée quant au financement moyen mobilisé... ».

Un travailleur n'est pas plus compétent parce qu'il dispose d'un compteur de formation.
 

L'objectif ultime des pouvoirs publics semble désormais être la présentation de compteurs du CPF pleins pour les salariés, la Ministre du Travail nous le dit d'ailleurs : « ... justement, c’est en temps de crise qu’il faut se former et renforcer son employabilité ».


En France, on ne travaille donc pas à développer les compétences et la formation mais à faire croître un sentiment de formation, que ce soit via des compteurs formation ou des indicateurs nationaux, largement illusoires, face à la baisse de la productivité et de la compétitivité de la maison France.

Les anciennes heures de DIF pourront éternellement être reportables et reportées ;  elles ne seront pas utilisables ou utilisées pour autant.
 

Aujourd'hui, le Ministère du travail déplore que seulement un quart des heures de DIF aient été reportées sur le compte personnel de formation par les travailleurs. Cela est très secondaire.
 

  • Personne ne sait combien d'heures de DIF avaient été cumulées (1 milliard, selon nos calculs) et même dans la fonction publique personne n'a été capable de produire des compteurs formation fiables.
  • En l'absence de financement pérennes et suffisants, peu importe que les compteurs de CPF des travailleurs soient à moitié, aux trois quarts ou totalement pleins car seuls les plus qualifiés seraient en mesure d'en tirer profit.
  • Le mécanisme du compte de formation monétisé (pseudo-livret d'épargne formation) est défaillant (voire pervers) car les salariés faiblement qualifiés le considèrent comme un livret de caisse d'épargne, pensent pouvoir en tirer des sommes d'argent ou ne l'utiliseraient qu'en cas de chômage.
     

Pour échapper à cet inégalitaire et impensé dispositif qu'est le CPF, il faut en changer les règles :
 

  1. geler le CPF des actifs disposant d'un niveau d'éducation égal ou supérieur au bac pour cinq années (2021-2025) ;
  2. abaisser la TVA sur la formation à 5,5 %, tout en instaurant un crédit d’impôt pour les salariés qualifiés se formant sur leurs propres fonds ;
  3. changer le mécanisme du CPF en substituant par une simple décrémentation d'un compteur de 400 heures de formation pour tous les actifs n'ayant pas le niveau du bac à l'incrémentation actuelle, lourde, complexe et inéquitable ;
  4. réunir le CPF des secteurs privés et publics et celui des travailleurs indépendants en revenant à un comptage horaire (on travaille 35 heures par semaine en France, on devrait pouvoir se former 35 heures par an) ;
  5. introduire une cotisation unique (dans la fonction publique et pour toutes les entreprises du secteur privé) égale à 1% de la masse salariale pour la réalisation des CPF ;
  6. ne plus utiliser les fonds CPF pour former les chômeurs. Pôle Emploi n'a pas besoin du CPF pour les former. Il est contre-productif de vider les compteurs CPF des chômeurs sous prétexte de financements complémentaires.
     

La formation professionnelle a besoin de visibilité, de confiance et de financements pérennes.
 

Depuis 2014, les organismes de formation ont été souvent maltraités, infantilisés (via une risible certification qualité) et désargentés (une perte de 30 à 80 % du chiffre d'affaires à chaque nouvelle réforme de la formation). Les pouvoirs publics qui souhaitent désormais accompagner des millions de travailleurs vers de nouvelles qualifications ou de nouveaux emplois vont devoir financer, aider et accompagner les 50 000 organismes de formation et formateurs de France. Dans une économie mondialisée, concurrentielle et exclusive, diviser ou réduire nos forces éducatives ne pourrait entraîner qu'un déclin éducatif et social.

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