Organisations
Pour porter la refondation de l’action publique, il faut un grand ministère
Le 27 mai, lors de son audition devant la Commission des Finances de l’Assemblée nationale dans le cadre du printemps de l’évaluation, Laurent Marcangeli, ministre de l’action publique, de la fonction publique etde la simplification, après avoir exposé sa volonté de dégager une vision à long terme pour la fonction publique, s’est posé la question de « l’utilité d’adjoindre la fonction de simplification et de transformation de l’action publique au ministère de la fonction publique ».
Sans doute, tirait-il les leçons de cinq mois d’expérience gouvernementale de ministre, en charge à la fois de la fonction publique, de la transformation de l’État, du numérique public et des simplifications. Il s’est intéressé effectivement à des questions de réformes administratives (reprise et enrichissement du projet de loi sur la simplification de la vie économique, création de France simplification au sein de la DITP, fusion des Instituts régionaux d’administration, rappel de la nécessité d’un examen argumenté des projets de réduction du nombre des agences de l’État…). Pendant cette période, le Premier ministre s’est engagé sur le sujet en demandant à chaque ministre de préparer des lettres de mission et en évoquant à plusieurs reprises la « refondation de l’action publique ».
A l’appui d’une éventuelle dissociation des responsabilités en matière de réforme administrative et de fonction publique, le ministre a évoqué le lien permanent avec les syndicats de la fonction publique qui peuvent être « rétifs à certaines transformations » et la transversalité de son action qui peut « susciter des conflits avec les autres ministères ».
Des arguments majeurs plaident en faveur d’une unité de conception et d’impulsionde la politique de la fonction publique et du pilotage des réformes de l’État.
Les deux fonctions sont évidemment très complémentaires
Les réformes administratives ont des incidences majeures sur le travail des fonctionnaires. Réciproquement, l’organisation et le fonctionnement de l’administration conditionnent en bonne part ses relations avec les usagers (par exemple, la décentralisation des compétences ou la dématérialisation des procédures concernent aussi bien les usagers que les fonctionnaires). Les réformes seront en définitive appliquées par les agents et, pour les faire réussir, la négociation avec les syndicats est de fait incontournable.
Les fonctionnaires et les usagers ont d’ailleurs plus souvent des intérêts communs (sur les simplifications, sur le maillage territorial des services publics, par exemple) que des positions divergentes.
Les simplifications supposent une transformation des modes de travail de l’administration et peuvent bénéficier aux usagers comme aux fonctionnaires de terrain. Le numérique va bouleverser aussi bien les conditions de travail des agents publics que la relation des usagers avec les administrations. Du point de vue des usagers, le gouvernement doit mettre en œuvre une politique globale des services publics qui donne son sens aussi bien aux métiers des fonctionnaires qu’à leur relation avec les usagers. Cette vision prospective est d’autant plus nécessaire que l’intelligence artificielle, les évolutions démographiques et, plus généralement, les changements dans la société vont avoir des incidences sur l’administration et nécessiter des transformations en profondeur.
La fonction de coordination des réformes administratives a le plus souvent été confiée au ministre chargé de la fonction publique
Le pilotage de la réforme de l’État a fait souvent l’objet de tensions entre les ministères : le ministère de l’intérieur, soucieux de promouvoir une déconcentration pilotée par les préfets, le ministère des finances, par nature à la recherche d’économies et de performance, les ministères techniques légitimement désireux de préserver leur autonomie et les spécificités de leurs métiers. Cependant, la fonction relative aux réformes a été le plus souvent confiée aux ministres également en charge de la fonction publique, autre mission interministérielle et transversale.
An niveau administratif, la mission d’accompagnement de la modernisation a été ajoutée aux services de la Direction générale de l’administration et de la fonction publique(DGAFP),puis a été renforcée par la création d’entités permanentes dédiées à la réforme et placées sous l’autorité, exclusive ou conjointe, du ministre (actuellement, la Direction interministérielle de la transformation publique-DITP, la direction interministérielle du numérique-DINUM et la Délégation interministérielle à l’encadrement supérieur de l’État-DIESE). La DGAFP a été alors réorganisée pour exercer essentiellement les fonctions de « DRH de l’État » comprenant les statuts, les rémunérations, la formation, la politique sociale…
D’autres découpages ministériels ont été essayés
Le rattachement au ministère des finances a été expérimenté à plusieurs reprises (en 2007-2012 et 2017-2020)mais a pu donner l’impression, surtout au moment de la révision générale des politiques publiques, de privilégier la recherche d’économies dès le court terme. L’exercice direct de la mission par le Premier ministre est exceptionnel(Raymond Barre en 1978-1981). La mission de réformes y gagne en autorité mais y perd en disponibilité des responsables.
L’institution d’un ministère exclusivement consacré aux réformes de l’action publique peut paraître justifiée par le caractère interministériel du sujet et par l’importance politique qu’on lui accorde à certaines périodes. En revanche, cette solution comporte un risque de marginalisation quine peut être évité que par un fort engagement du Premier ministre et par l’autorité personnelle des ministres. Cette formule a été expérimentée à la fin des années 1970 (avec Roger Frey, Alain Peyrefitte et Jean-François Deniau), en 1986-1988 et en 2014-2017. Le rattachement direct des ministres ou secrétaires d’État au chef du Gouvernement n’a pas toujours suffi à porter la dynamique de réformes.
Quel projet, quelle organisation pour la réforme de l’État ?
La question du rattachement ministériel de la mission de coordination et d’impulsion des réformes renvoie principalement à celle de la nature et de l’objectif du projet.
Un projet de réformes n’est pas le même selon l’angle privilégié : les usagers, les fonctionnaires, les entreprises, les technologies, le budget, la performance, l’environnement… Une vision globale des enjeux est indispensable. Seul un ministère large peut porter un projet stratégique global donnant du sens et de la cohérence.
Un ministère, dont les attributions couvrent, comme aujourd’hui, la fonction publique dans ses trois versants (Etat, collectivités locales, hôpitaux, la réforme de l’État (et de l’ensemble de l’action publique), le numérique public et les simplifications, est donc une bonne solution car elle rassemble les leviers d’ une politique globale des services publics, qui donne de la cohérence et du sens à l’action publique, qui articule les contraintes du court terme et les perspectives à moyen -long terme, qui est au service d’un projet positif pour les fonctionnaires et pour les citoyens. Le ministre doit disposer, en liaison avec ses collègues, de l’ensemble des leviers nécessaires et prévus dans son décret d’attributions.
A cet égard, un levier de changement complémentaire doit être organisé et mobilisé davantage. Ce ministère devrait être doté d’un dispositif d’écoute à plusieurs dimensions qui, au-delà des baromètres et des sondages déjà mis en œuvre, permettrait de partir des problèmes concrets et d’associer les citoyens à l’évolution des services publics (leur organisation, leur présence territoriale, leur financement, les responsabilités des collectivités territoriales, les simplifications…).
L’organisation interne du ministère doit traduire ce projet global
Les deux pôles doivent être mieux équilibrés. Actuellement, les fonctions relatives, d’une part, à la fonction publique et, d’autre part, à la réforme de l’État sont juxtaposées. Le bloc « fonction publique » piloté par une direction historique, est fortement structuré autour d’une mission claire : les ressources humaines. Le volet « transformation publique » est composé de services plus dispersés autour de projets, ce qui favorise l’innovation et les partenariats mais avec une moindre cohérence. Les deux fonctions sont même hiérarchisées. En effet, en dehors de quelques périodes de grands programmes de réformes, les ministres accordent naturellement une priorité aux questions de fonction publique, plus visibles, plus sensibles à court terme et encadrées par le dialogue avec les organisations syndicales.
Plutôt que de dissocier des fonctions complémentaires, relatives, d’une part, à la fonction publique (qui, actuellement au-delà des évolutions statutaires des trois fonctions publiques, comprend aussi la formation, la gestion des cadres…) et, d’autre part, à la modernisation de la gestion publique (management, numérique, intelligence artificielle, simplifications, relations avec les usagers…), il faut les mettre davantage en synergie.
Des sujets comme la formation, l’encadrement supérieur, le management, l’évolution du travail, actuellement, suivis par la DGAFP, sont évidemment des thèmes de transformation qui concernent, au-delà des fonctionnaires, l’évolution de la conception des services publics.
La réforme doit être globale, associer toutes les parties prenantes et s’insérer dans une perspective de moyen-long terme qui lui donne sens et cohérence. Le ministre de la fonction publique, de l’action publique et des simplifications a donc la charge d’impulser et de coordonner les réformes en donnant un sens partagé et fédérateur à l’action publique : promouvoir des services publics performants, attractifs et de qualité.
La déclaration du Ministre sur le découpage ministériel invite à mener une réflexion sur le projet de transformation des services publics et sur la meilleure organisation administrative pour accompagner ces évolutions au bénéfice commun des agents publics et des citoyens.