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17 / 06 / 2014 | 37 vues
Rodolphe Helderlé / Journaliste
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Quelles sont les conditions de la mobilité géographique quand une entreprise se réorganise ?

Déménager pour garder son travail, en voilà un pas difficile à franchir ! C’est d’ailleurs souvent par un licenciement que cela se termine pour des salariés qui préfèrent encore sortir du jeu plutôt que de suivre le mouvement d’une entreprise qui restructure ses implantations. Les directions font-elles tout ce qu’il faut pour conserver les effectifs lors d’un déménagement ? On peut en douter à voir ces entreprises qui recrutent localement sur les nouvelles implantations, quitte à réinvestir dans la formation... Si ce schéma a encore de beaux restes, des entreprises font aussi le pari de conserver un maximum de salariés. Entreprise agile, salarié mobile : à quelles conditions ?

  • C’était le thème du débat du café social organisé par Miroir Social le 15 mai dernier, avec 5 partenaires (OasYs Consultants, Aguera Associés, Syndex, Delgado Meyer et Via Humanis) qui ont apporté avec lucidité des éclairages complémentaires sur la réalité de la mobilité.


« Plus de la moitié des salariés, soit une centaine, a accepté de quitter Le Havre pour s’installer à Marseille. La moitié est composée de non-cadres C’est un succès », rapporte Raphaël Demange, directeur général de Via Humanis, une société spécialisée dans l’accompagnement des mobilités géographiques. Pas encore possible d’en dire plus sur le nom de cette société qui a décidé de transférer (encore en cours) une partie de sa production à Marseille, sur la base du volontariat. Les salariés qui restent ont été informés que le site du Havre serait à terme fermé. « La clef du succès tient avant tout dans l’exemplarité de la direction qui, dans ce cas, donne l’exemple. Le comité de direction a été le premier à déménager. Cela inspire autrement plus la confiance que de voir nommer des managers de transition sur les nouveaux lieux d’implantation. Une direction qui a vraiment la volonté de faire suivre un maximum de salariés parce que leurs compétences sont essentielles doit mettre sur la table et expliquer les mesures d’accompagnement le plus en amont possible », explique Raphaël Demange.

Les conditions de la confiance

La confiance est revenue comme un maître mot lors de ce café social pour tordre le cou à l’image d’un salarié français très peu enclin à la mobilité géographique dans un contexte de réorganisation. Pour Gilles Amiet, directeur associé d’OasYs Consultants, un cabinet de reclassement et d’ingénierie sociale, « cette confiance s’illustre en amont par la capacité d’une direction à se montrer très transparente sur les postes les plus susceptibles d’être concernés par des réorganisations. Or, c’est une pratique qui se voit rarement déclinée sur le terrain car on reste malheureusement dans le discours ». C’est pourtant à partir de ce niveau d’information qu’un projet de mobilité collective peut se construire sur les bases de la loi sur la sécurisation de l’emploi de juin 2013. « Nous travaillons actuellement avec une PME lyonnaise sur un projet de réorganisation de ses sites qui pourrait se traduire par une mobilité géographique collective d’environ 40 kilomètres, négociée avec les syndicats. Cela illustrerait la volonté de la direction de conserver les compétences. L’idée n’est en effet pas de laisser partir les salariés en poste pour recruter localement à moindre coût. Ce serait très contre-productif au regard des compétences nécessaires à la bonne marche de l’entreprise », précise Gilles Amiet.

Difficile de créer les conditions pour voir signer de tels accord qui s’imposeraient dès lors à tous les salariés. « C’est d’abord dans des entreprises dont les centres de décisions sont en France que cela pourrait être acceptable pour les syndicats », estime Georges Meyer, avocat associé du cabinet Delgado Meyer. La perspective de signer un accord de mobilité dans une entreprise qui enchaîne les PSE est tout aussi incertaine. Pour Georges Meyer, « on en arrive souvent à une telle défiance que les salariés préfèrent partir avec les mesures du plan plutôt que de choisir les reclassements internes qui sont proposés ».

La base de données économique et sociale devrait permettre d’apporter plus de visibilité aux salariés sur la réalité des perspectives économiques. « Il faut pour cela que les syndicats négocient des indicateurs suffisamment fins par établissement. Mais cette base de données peut-être aussi l’occasion de mieux appréhender la réalité très diversifiée des mobilités dans une entreprise. Ce sont autant de repères en plus à l’égard des salariés pour leur permettre de faire un choix en toute connaissance de cause », prévient Tanguy d’Orange, consultants chez Syndex. L’absence de données nationales sur la mobilité géographique ne participe d’ailleurs pas à la transparence. « Il suffirait que l’INSEE ajoute un critère de mobilité géographique dans ses enquêtes sur l’emploi », souligne Raphaël Demange.

Frein fiscal

« L’approche très individuelle de la mobilité géographique est un frein à la compréhension de ces enjeux. Un cadre collectif est indispensable pour sécuriser les démarches. Même les clauses de mobilité, symboles de cette individualisation, peuvent s’intégrer dans un accord collectif », considère Tanguy d’Orange. En attendant, le manque de confiance et l’individualisation ne sont pas les seuls facteurs qui expliquent les difficultés qu’ont les syndicats et les directions à s’engager dans des négociations. « Il ne faut pas faire l’impasse sur le frein fiscal et, en la matière, c’est le PSE qui reste le plus intéressant tant pour le salarié que pour l’employeur. Or, l’accord sur la mobilité version loi de sécurisation de l’emploi exclut d’un PSE les salariés qui refusent de suivre », explique Philippe de la Brosse, avocat associé du cabinet Aguera.

Il serait bien révolu le temps où des employeurs déménageaient des sites avec pour seul objectif de réduire les effectifs. Personne ne suivait et la direction n’embauchait pas pour autant sur la nouvelle implantation. Selon Philippe de la Brosse, « la sanction juridique tombe désormais immanquablement dans un tel cas de figure. Fermer un site n’est plus un prétexte mais les directions sont parfaitement conscientes qu’il y aura de la perte sur les effectifs en cas de mobilité. Le problème, c’est qu’il est justement impossible de savoir ceux qui ne suivront pas. Un cadre collectif peut permettre de donner plus d’assurance à ceux que l’employeur tient à voir bouger mais en restant dans l’entreprise ».

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