Participatif
ACCÈS PUBLIC
20 / 01 / 2023 | 123 vues
Rémi Aufrere-Privel / Membre
Articles : 133
Inscrit(e) le 30 / 05 / 2008

Reforme des retraites (64 ans): à la recherche du temps retrouvé ...

Le recul de l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans est la proposition essentielle du gouvernement. Quelles sont les réalités actuelles et les motifs qui justifieraient une telle évolution ? Pourquoi une opposition très majoritaire des français ? Analyses et réflexions sur le contrôle et la croissance (ou la décroissance du « temps retrouvé »)…

 

Face à une augmentation du déficit du système des retraites français d’ici à 2027-2030, il faudrait travailler plus pour assurer le financement. Il était envisagé de repousser l’âge légal à 65 ans. Aujourd’hui, c’est 64 ans qui est proposé avec – en compensation - une augmentation du nombre de trimestres travaillés. Quelle est la réalité des difficultés actuelles et à venir ?

 

Rémi Aufrere-Privel

  • Ancien administrateur URSSAF (63)
  • Ancien administrateur CPRP SNCF

 

Tout d’abord, il existe un vrai (et grave) défaut de crédibilité dans la parole actuelle du Président de la république. Car en novembre 2019, celui-ci précisait qu’il ne servait à rien de repousser l’âge légal. Et il le proclamait avec la même détermination et la même assurance de ton qu’en ce début 2023. En à peine trois années, le timing est trop court pour être oublié si facilement. Nous sommes passés du principe d’une réforme relativement « systémique » (avec des atouts et risques importants par la « retraite à points ») à une évolution « paramétrique » qui s’est renouvelé à six reprises depuis plus de vingt ans. Le changement de paramètres parait plus simple mais il montre ses limites dans les traitements inégalitaires de quelques millions de salariés.


Cette absence de crédibilité est aussi le résultat d’une gestion des finances publiques nationales discutables et « clientélistes ». Celles et ceux qui ont profité le plus des réductions d’impôts directs sont parmi les plus riches voire les « ultra-riches » en France. Et les volumes financiers de réserves et de dettes sont à rappeler : pour notre système actuel de retraite ce sont 320 milliards servis chaque année pour … 13 milliards de déficit ce qui parait excellent face à la gestion de l’Etat en 2023.  Ajoutons les 127 milliards de réserve du régime des retraites. On constate un Etat qui parait plus « irresponsable » dans les volumes de dettes publiques actuelles et bien plus mauvais que notre régime de protection sociale.


La réserve existante permet l’équilibre jusqu’en 2032. D’où la question de l’urgence de travailler plus voire beaucoup plus à compter de cette année qui manque elle de crédibilité.


Ensuite, la hausse prévue des dépenses des retraites n’est pas insurmontable et reste modérée. Il n’existe pas de « dérive » des dépenses dans la prochaine décennie. Le rapport du Conseil d’Orientation des Retraites (COR) de septembre 2022 nous éclaire sur les prochaines années en précisant que « rien de permet d’anticiper que la conjoncture économique sera particulièrement déprimée sur la période 2028-2032 » et ose ajouter « qu’à plus long terme de 2032 à 2070 la part des dépenses des retraites dans la richesse nationale serait stable ou en diminution ».  L’une des raisons est la poursuite des effets des dernières réformes  (dont la réforme Touraine) qui repousse l’âge de départ réel à la retraite de 62 ans à 64 ans. Quant au niveau moyen de vie des retraites il commence à décroitre réellement dès le début des années 2030.


A vous entendre, la question centrale serait donc celle des ressources du système ? Des cotisations salariales à la CSG et des conventions comptables…
 

Il faut corriger des propos politiques et patronaux qui ne recouvrent pas la réalité de toute la dimension du financement de nos retraites. Tout d’abord, et même si cela représente encore plus de 80% des ressources, les cotisations sociales (patronales et salariales) ne sont pas l’unique moyen d’assurer la solidité du système.


Quid de la modernité d’une assiette élargie ?
 

La contribution sociale généralisée (CSG) permet d’assurer un financement complémentaire important. Mais elle dépend des évolutions politiques gouvernementales et d’actions de lobbying du monde des affaires et du clientélisme qui accompagne ces manœuvres. Elle est fluctuante selon le locataire de l’Elysée et la majorité parlementaire. Pour illustrer, citons la part de la CSG applicable aux jeux qui passe de 7,5% (1998), puis 9,5% (2005), à 8,6% (2018) pour être réduite à …6,2% par la dernière loi dite « relative à la croissance et la transformation des entreprises » alors que les revenus d’activité sont toujours soumis à un taux de 9,2% !
 

A noter que seul le contexte du mouvement des « gilets jaunes » provoquera la création d’un nouveau taux dérogatoire de 6 ,6% pour les retraités touchant moins de 2000 euros par mois qui est le taux existant avant 2018 (avant l’élection d’E. Macron).
 

La problématique est que ces deux ressources (jeux et activités) ne concernent que les budgets allocations familiales et assurance maladie et donc en dehors de la retraite.
 

La CSG portant sur les revenus du patrimoine est sur le taux de 9,2% (avec 8,6% sur la vieillesse et 0,6% sur l’amortissement de la dette sociale).


Pour comprendre l’importance de la CSG, il faut indiquer qu’en 2018 sur des ressources totales de 498 milliards d’euros (Régime général de sécurité sociale et fond solidarité vieillesse), celle-ci était de 116 milliards d’euros (soit plus de 20% du total).
 

On ne peut plus dire – et depuis longtemps – que le financement des retraites n’est assuré que par les contributions des cotisations sociales basées sur les seuls salaires. Le propos consistant à proclamer que les pensions sont payées par les actifs actuels et dépendent exclusivement de ceux-ci est une affirmation …fausse.
 

Bien entendu, nous avons l’obligation de développer un taux d’emploi le plus élevé possible pour assurer la fiabilité la plus durable du système des retraites. Mais la complémentarité par la fiscalité est devenue incontournable.
 

Si on peut regretter cette forme « d’étatisation » du financement de notre régime général de retraites, il faut indiquer que les premières contributions publiques d’Etat datent des années… 1950.
 

De facto, elles créent des conflits dans la gestion du système entre les « partenaires sociaux » (organisations patronales et syndicats de salariés) et l’Etat qui joue sans cesse sur le robinet des ressources selon les majorités politiques et les recommandations de l’Union Européenne qui font de la baisse des dépenses publiques nationales un dogme indépassable.
 

Un équilibre assuré par deux grandes conventions
 

L’équilibre des ressources passe aussi par les conventions comptables sur le régime de la fonction publique de l’Etat et certains régimes spéciaux (comme celui des cheminots, de la RATP, IEG etc…). Il existe la Convention EPR (Equilibre Permanent des Régimes) et la Convention EEC (Effort de l’Etat Constant). A noter que les régimes équilibrés par l’Etat représentent près d’un quart des dépenses des retraites.
 

Si en 2021, le régime a été excédentaire de près de  900 millions d’euros et qu’il est prévu un excédent de 3,2 milliards d’euros en 2022, une dégradation est prévisible dès cette année car l’économie engagée sur la masse salariale de la fonction publique qui va pénaliser considérablement les ressources.

Il est important de souligner que si le COR envisage un déficit sur les 25 prochaines années, il tient à préciser que le solde global des finances publiques n’est pas affecté par les conventions.
 

Sur le long terme (au-delà de 2030/2035), les hypothèses sont diverses selon les scénarios de progression de la productivité, la démographie et la situation nationale et internationale. A priori, il peut être envisagé de consacrer entre 0,5 et 1,2 de PIB en plus pour assurer la couverture actuelle des dépenses des retraites (soit aux alentours de 15% du PIB) ce qui demeure plutôt raisonnable.
 

Parler d’un « financement en très grande difficulté » comme le déclare le patron du MEDEF relève d’une posture démagogique pour faire accepter l’idée de « sacrifice » pour tous les salariés voire les retraités.
 

Pourtant l’Etat accorde de nombreuses exonérations de cotisations sociales  (notamment patronales) à des entreprises dans le but de « préserver ou développer l’emploi »…et augmente la dégradation des recettes…
 

Ces mesures sont en partie très problématiques. Elles relèvent parfois du gaspillage par clientélisme. Les grandes entreprises perçoivent des exonérations alors qu’elles n’en ont pas besoin. Car ce sont les PME-PMI qui créent des emplois et elles sont moins soutenues. Il est temps de faire le retour d’expérience sur les exonérations de cotisations sociales qui pénalisent durablement le financement de notre régime général de retraites, de supprimer certaines aides et sans doute de réorienter les soutiens financiers vers l’emploi durable et réel ainsi que celui des séniors.
 

En 2018, le président Macron faisait le constat partagé par tous de la difficulté pour les salariés de plus de 55 ans de travailler jusqu’à 62 ans, de nombreuses entreprises s’employant à utiliser les « départs anticipés ou volontaires» pour se séparer des salariés les plus âgés…


Sur le travail des séniors, nous sommes dans un océan d’hypocrisie. En 2018, le président de la république raisonnait dans le mode réel. C’était avant un lobbying très actif du monde de la finance et de certains industriels. Les dirigeants du MEDEF ont perdu leur crédibilité en proclamant leur ferme volonté de faire travailler les séniors plus longtemps et en soutenant le projet de repousser l’âge légal de départ à la retraite à 65 ans. Car bon nombre de ces adhérents utilisent et ont longtemps abusé des exonérations et aides publiques ainsi que des fonds de l’assurance chômage pour se débarrasser de leurs salariés âgés. Il est stupéfiant de les voir déclarer leur admiration pour le taux élevé des séniors en emploi dans  d’autres pays européens alors qu’ils portent une large responsabilité dans le taux faible d’emplois des plus de 55 ans en France (33% des 60/64 ans en France travaillent contre 60% en Allemagne et 80% en Suède).
 

En France, la baisse du taux d’emploi des séniors a été financée par l’argent public. Et on réduit presque de moitié le taux d’emploi des séniors entre 1998 et 2021. Un vrai désastre… Parce que derrière cette statistique, c’est la perte de compétences et de connaissances professionnelles pour de nombreuses entreprises publiques comme privées qui s’est accélérée.
 

Sur ce point, défendre le projet d’allongement de l’activité professionnelle par un âge de départ légal repoussé à 65 ou 64 ans sans développer concrètement  les opportunités pour les séniors montre l’incohérence et le dogmatisme de cette proposition qui apparait idéologique.
 

Quant à la pénibilité, l’histoire très récente nous montre l’inconsistance et l’absence de détermination. En effet, une des premières mesures concernant le travail (et la retraite) fut la suppression par le Président de la république, de deux critères de pénibilité à peine six mois après son élection en 2017. La raison invoquée fut les difficultés du patronat d’intégrer ces critères dans le dossier individuel de chaque salarié (C2P).
 

Nous noterons que les critères encore valables aujourd’hui sont d’une exigence particulièrement élevée ce qui les rend difficilement applicables. Une très petite lueur est apparue récemment sur le travail de nuit par la réduction du nombre de nuits à prendre en compte (120). Mais il est indispensable d’augmenter le nombre de points permettant de gagner un ou plusieurs trimestres.
 

Toutefois, je ne pense pas qu’une meilleure reconnaissance de la pénibilité soit suffisante pour atténuer les effets réels funestes d’un âge légal repoussé à 63 ou 64 ans.
 

Le gouvernement et le groupe parlementaire présidentiel considère qu’il s’agit d’une réforme de progrès assurant les besoins de financement futurs… et le minimum de pension à 1200 euros est une proposition forte…
 

Sur les 1200 euros de pension, qui seraient équivalent à 85% du SMIC, il faut préciser que ce montant serait applicable pour une activité salarié portant sur la durée de …43 années. En réalité, il s’agit de 1104 euros nets. Autant dire que derrière l’effet d’annonce, beaucoup de salariés actuels et futurs retraités seront déçus d’avoir mal compris ce qui apparait comme un slogan marketing !
 

Côté progrès, c’est discutable lorsque l’on constate une différence de 11 années d’espérance de vie à 60 ans entre l’ouvrier et le cadre. Cela signifie que celles et ceux qui auront le plus souffert du travail dans leur vie professionnelle réduiront leur temps de retraite. Ajoutons qu’un quart des ouvriers sont morts avant 65 ans !
 

Plusieurs voix à droite s’élèvent contre cette proposition d’augmenter le nombre de trimestres travaillés en corrélation avec un âge légal de départ repoussé à 64 ans. Qu’en est-t-il ?
 

Cette proposition a été aussi comprise comme très problématique par des élus de la droite républicaine. En témoigne les interventions fortes de Xavier Bertrand et Aurélien Pradie. Tout en défendant l’idée de travailler un peu plus longtemps – ce que je conteste pour ma part - les deux se rejoignent pour noter une réforme injuste sur plusieurs points.
 

Par exemple, ils dénoncent que ceux qui ont commencé à travailler à 20 ans devront travailler une année de plus pour aller à 44 annuités.  Quant aux femmes aux carrières professionnelles hachées, elles devront aller jusqu’à l’âge de 67 ans pour annuler la décote. Autant dire comme le fait Xavier Bertrand que « c’est une réforme de gens qui vont bien pour des gens qui vont bien ». Sont ainsi pénalisés de nombreux salariés et demandeurs d’emplois, et parmi eux celles et ceux « derniers de cordée » qui étaient les premiers à servir lors de la pandémie mondiale il y a moins d’un an.
 

Nul doute que le président du parti des Républicains s’est exprimé favorablement un peu hâtivement sans mesurer l’iniquité de certaines dispositions dangereuses.
 

Quelles seraient les solutions pour assurer un financement durable et la dignité des futurs retraités ?
 

Nous devons travailler sur un « mix de solutions » comme pour le défi de la transition écologique. Tout d’abord, supprimer les exonérations de cotisations sociales aux entreprises qui ne répondent pas au maintien et au développement durable de l’emploi de tous et notamment des séniors. Il faut tout mettre en œuvre pour développer l’emploi des séniors (55-62 ans) lorsque la situation de santé le permet pour renforcer la transmission des compétences et ne plus considérer les plus anciens comme une charge. Il y a un formidable gaspillage humain, économique et social sur ce point.
 

Il est essentiel de renforcer la reconnaissance des critères de pénibilités notamment travaux physiques, exposition aux matières dangereuses et aussi travail de nuit et horaires décalés. En travaillant dehors et en 3X8 durant 5 années, j’ai pu personnellement mesurer la grande pénibilité du travail de nuit et en dehors. Non, le travail de nuit n’est assurément pas un modeste « désagrément » mais une vraie pénibilité qui réduit le temps de vie global.
 

Enfin, nous devons sérieusement envisager de payer un peu plus pour notre système de retraite. La durée d’activité est la première donnée à prendre en considération. Mais côté économie globale, que représente un demi-point voire un point de PIB pour nos retraites alors que la financiarisation de l’économie nationale, européenne et mondiale atteint un niveau indécent et funeste ? et que les supers profits sont une réalité actuelle… La justice fiscale doit participer largement au débat du financement de nos retraites et de notre protection sociale.
 

L’économie des séniors n’est plus celle de la rente. Elle est devenue une ressource très dynamique pour la société française par la consommation mais aussi par la participation très active des retraités dans le soutien familial, la grande force du monde associatif, le renouvellement des élus locaux et la transmission des compétences qui est un atout trop peu mesuré.
 

Au-delà des questions de financement, notre rapport au travail et l’augmentation du « temps retrouvé » qu’est celui de la retraite professionnelle doivent être questionnés. Il n’est plus possible de faire reposer la charge des retraites sur les plus jeunes. Nous devons redoubler d’imagination pour améliorer la qualité de vie au travail et la fin de carrière. Et la productivité ne peut plus se mesurer en nombre d’heures travaillées.
 

Le repoussement de l’âge légal de départ à la retraite est une proposition socialement injuste, économiquement inefficace à long terme et profondément inégalitaire à l’égard de celles et ceux qui souffrent le plus du travail. Elle rompt l’idée du progrès humain obtenu par la réduction du temps de travail. Travailler mieux et travailler moins sont des défis communs qui embrassent l’utopie du progrès qui veut repousser plus loin la mort et profiter du « temps retrouvé ».
 

Ce temps qui, pour chacune et chacun, profite à toutes et à tous.

Pas encore de commentaires