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09 / 11 / 2018 | 11 vues
Philippe Pihet / Membre
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La retraite n’est pas une question de concepts mais de droits

Dans le prolongement des dernières rencontres avec le Haut Commissaire chargé du dossier sur la réforme des retraites (HCRR) et les déclarations ministérielles lors de la présention des grands axes du projet gouvernemental, il nous a paru intéressant de clarifier les choses pour que chacun puisse mieux appréhender les enjeux sur ce sujet d'importance, ainsi que les revendications que nous entendons continuer de porter dans le débat qui s'engage.

Premiers grands principes pour la construction d'un système universel de retraite plus simple et plus juste pour tous

Si elle n’a pas apporté de nouveauté dans ce qui avait déjà été dit par le Haut Commissaire, la multilatérale du 10 octobre dernier a permis d’obtenir le premier document validé par le gouvernement, en présence de la ministre.

Les bilatérales vont se poursuivre et le calendrier a été fixé comme suit :

En novembre :

  • une réunion sur la transition (conversion des droits),
  • une réunion sur les conditions d’ouverture des droits et carrières longues.

En décembre :

  • une réunion sur l’architecture financière,
  • une réunion sur les départs anticipés (pénibilité, handicap, amiante, invalidité etc.).

À noter que les catégories actives ne seront pas examinées dans ces séances, elles le seront début 2019.

Pour faciliter la compréhension de ce dossier, vous trouverez le texte du gouvernement en italique , nos commentaires suivant chaque citation. Il va de soi que nous ne voulons pas de cette réforme, nous l’avons dit dès le début de la concertation (vous noterez l’utilisation du conditionnel). Aussi, nous a t-il paru important de reprendre les arguments que nous développons point par point.

I. Construire un système commun à tous les Français

I.1. Le système universel de retraite remplacera les 42 régimes de retraite existants (régimes de base et régimes complémentaires obligatoires). Il garantira pour tous les assurés la prise en compte de leurs revenus d’activité dans la limite de trois plafonds de la Sécurité sociale, soit 120 000 € bruts annuels.

I.2. Ce sera un système public par répartition dans lequel les actifs d’aujourd’hui financeront les pensions des retraités d’aujourd’hui par leurs cotisations.

Il est confirmé que tous les régimes existants disparaîtraient. Nous avons publié un article sur la disparition de l’AGIRC-ARRCO ; les autres régimes sont aussi menacés, qu’ils soient publics, spéciaux, particuliers, complémentaires ou de base.

À ce sujet, il est important d’indiquer que concernant la fonction publique d’État, il n’y a pas de régime de retraite au sens juridique du terme.

Un fonctionnaire est fonctionnaire « à vie », l’État (son employeur) est engagé à lui verser sa pension jusqu’à son décès. Pour ce faire, l’État employeur verse une subvention d’équilibre dans un compte d’affectation spécial (CAS).

En instaurant un système universel, cette réforme supprimerait non seulement le code des pensions civiles et militaires (CPCM), mais aussi, de fait, le statut de la fonction publique, comme ceux des autres versants de la fonction publique et des entreprises à statuts.

Les tenants de la réforme systémique ne peuvent l’ignorer. Nous l’avons déjà expliqué, la répartition ne peut s’arrêter, ce serait demander à une génération de payer deux fois, une fois pour les retraités actuels, une fois pour eux.

I.3. Les règles de calcul des droits et les mécanismes de solidarité seront les mêmes pour tous : salariés du privé ou du public, fonctionnaires, travailleurs indépendants, professions libérales et agriculteurs.

Quant au système public, il écarte de fait les interlocuteurs sociaux dans les prises de décisions, leur laissant au mieux une part dans la gestion.

Les règles seraient les mêmes pour tous, alors que nous verrrons plus loin qu’il y aura une adaptation pour les indépendants.

II. Calculer les droits à retraite en points, dans un système plus équitable où « 1 € cotisé vaut les mêmes droits » pour chaque Français

II.1. Les points accumulés tout au long de la vie seront enregistrés dans un compte unique. Chaque jour travaillé dans la vie sera pris en compte. 1 € cotisé vaudra les mêmes droits pour chaque Français : salariés du privé ou du public, fonctionnaires, travailleurs indépendants, professions libérales et agriculteurs.

II.2. Les salariés et les fonctionnaires cotiseront au même niveau et, à revenu identique, auront donc les mêmes droits à retraite. Le taux de cotisation sera proche de la situation actuelle, de l’ordre de 28 % pour les assurés et leurs employeurs, qu’ils soient privés ou publics.

II.3. Dans le système universel, les travailleurs indépendants bénéficieront d’un régime de cotisations adapté afin de ne pas bouleverser les équilibres économiques de leur activité. À otisation égale, ils auront le même nombre de points.


C’est la définition d’un régime en points, chaque jour travaillé compte ; quid des jours non travaillés ? La réponse officielle est la suivante : la solidarité prendra ces périodes en charge mais à ce jour, il n’y a rien de tangible sur le sujet.

Nous reviendrons sur le « 1 € cotisé donne les mêmes droits ».

Les primes des fonctionnaires et des salariés des régimes spéciaux seront prises en compte pour le calcul des droits à retraite. Une concertation aura lieu sur les conséquences à tirer de la réforme en termes d’évolution des carrières et des rémunérations, au fur et à mesure de la montée en charge des effets du nouveau système.

Si le taux de cotisations dans le privé (CNAV+ AGIRC-ARRCO) est effectivement de 28 %, nous avons vu plus haut que ce n’était pas la réalité dans le public.

L’État ne profiterait-il pas de son projet de réforme pour se défausser de ses obligations d’employeur sur la collectivité des actifs ?

Dans le privé, près d’un salarié sur quatre se trouve dans une entreprise où la cotisation à la retraite complémentaire est supérieure aux taux conventionnels. Cela diminue bien sûr le net à payer mais cela permet d’obtenir une retraite complémentaire plus importante.

Cette faculté disparaîtrait-elle ?

Les primes seraient prises en compte « au fur et à mesure de la montée en charge des effets de la réforme ». On fait confiance à l’État employeur?

La Cour des comptes a chiffré le coût de l’intégration des primes à plus de 50 milliards d'euros. Qui paye ?

Une dérogation accordée serait une mesure de bon sens ; bien des indépendants ne pourraient cotiser à 28 %. Seulement, il faudra voir ce que cela aurait comme conséquence sur le minimum de pension.

III. Bâtir un système de retraite fondé sur une solidarité renforcée

III.1. Des points seront accordés pour chaque enfant, dès le premier enfant, afin de compenser les effets de l’arrivée ou de l’éducation de l’enfant sur la carrière des parents.

III.2. Des points seront accordés pour prendre en compte les interruptions d’activité liées aux aléas de carrière ou de vie (chômage, maladie, invalidité etc.) ainsi que la maternité.

III.3. Des pensions de reversion garantiront le niveau de vie des veufs après le décès du conjoint.

III.4. Un dispositif de minimum de pension sera prévu pour les Français ayant travaillé toute leur vie à temps partiel ou avec des revenus modestes.


Ce chapitre traite de la solidarité. En effet, un régime par points peut être solidaire, tous ceux qui existent aujourd’hui possèdent des dispositifs de solidarité. Mais le sujet n’est pas là.

Par construction, un régime unique par points ferait chuter le taux de remplacement ; il faudrait donc « sur-vitaminer » le fonds de solidarité et pour cela, augmenter les ressources attribuées aux dépenses de retraites. En contradiction avec la loi de programmation des finances publiques qui, au contraire, oblige à des économies de l’ordre de 30 milliards d'euros, dont une partie sur les retraites.

La solution ?

Dans une enveloppe fermée, diminuer la part du contributif pour augmenter la part de la solidarité.

En pratique « vendre » les points plus chers pour pouvoir dégager une marge pour les majorations familiales, la maternité ou encore le chômage.

Donc diminuer le taux de remplacement…

Le sujet est très sensible, comme le gouvernement l’a découvert.

Oui, il y a plusieurs modes de calcul de pension de réversion. Oui, la ministre a déclaré, lors du colloque au Sénat le 19 avril dernier, qu’il n’y aurait pas de nivellement par le bas. Dont acte. Ainsi, la revendication de FO est légitime: 60 % des droits du défunt attribués à l’ayant droit sans condition de ressources.

C’est ici qu’il y aurait un problème de justice, ce qui serait fâcheux vu le titre de la réforme.

Nous avons vu que les indépendants auraient des taux adaptés, ce qui serait justifié.

Soit mais s’il n’y a qu’un dispositif de minimum de pension, alors il serait le même que l’on ait cotisé à 28 % ou à des taux moindres.

Dans ce cas, que deviendrait le « 1 euro cotisé donne les mêmes droits » ?

IV. Transformer notre système n’a pas pour objet de faire des économies

IV.1. Le nouveau système sera élaboré dans le respect des grands équilibres financiers actuels.

IV.2. Le fonctionnement du système universel de retraites devra assurer sa solidité, sa stabilité et sa viabilité sur le long terme.


Ce qui confirme que la réforme se ferait sans ressource supplémentaire. Lors de la multilatérale, la ministre a déclaré que la réforme n’était pas financière mais politique.

Nous sommes d’accord avec sa déclaration : le basculement vers un système à cotisations définies (on sait combien on paie mais on ne sait pas ce que ça « rapporte ») est une réforme politique.

Dans ce sens, il suffit de reprendre les propos d’un haut fonctionnaire suédois venu au colloque du COR en 2014 pour expliquer ce qui a prévalu pour la réforme des retraites en Suède.

IV.3. Il y aura toujours un âge légal de la retraite à partir duquel on pourra liquider ses droits. Il restera fixé à 62 ans.

IV.4. Le système universel permettra de prendre en compte les spécificités de certaines situations (carrières longues, métiers pénibles ou dangereux, handicap…) dès lors qu’elles reposent sur des différences objectives : elles seront examinées dans le cadre de la concertation.


Dans ce système de comptes notionnels, l'idée principale était d’essayer de garantir un taux de cotisation stable. La raison était qu’on s’inquiétait de la compétitivité de l’industrie suédoise parce que les contributions et les impôts étaient (et sont) à un niveau assez élevé. Est-il besoin de commenter ?

L’âge reste la grande inconnue à ce jour, si le HCRR a confirmé que l’âge légal reste fixé à 62 ans, rien n’est arrêté sur les conditions de liquidation, que ce soit sur les métiers pénibles ou sur le handicap. Ce sera l’objet des concertations de ces prochains mois.

V. Prendre le temps nécessaire à une transformation de notre système de retraite

V.1. Les assurés qui sont aujourd’hui à la retraite ne seront pas concernés par la réforme. Pour eux, les montants des retraites, des pensions de reversion et les droits à reversion en cas de décès du conjoint ne seront ainsi aucunement modifiés.

V.2. Cette transition sera très progressive pour tenir compte de la diversité des situations initiales. En tout état de cause, ceux qui seront à moins de 5 ans de l’âge de départ à la retraite lors de l’adoption de la loi ne seront pas concernés.

V.3. Pour tous les actifs, les droits relatifs aux périodes travaillées avant l’entrée en vigueur du nouveau système, qu’il s’agisse de trimestres ou de points, seront conservés à 100 %.

La nouvelle phase de concertation qui s’ouvre permettra de déterminer la première génération d’actifs concernée par la réforme et les modalités de la transition.

Si la réforme aboutit, nous aurons au moins obtenu que les retraités actuels et leurs ayants droits gardent les règles de pensions de reversion en vigueur au moment de leur départ en retraite.

Il reste une zone d’ombre entre l’éventuelle adoption de la loi et sa date d’application.

Lors de la concertation, le HCRR a évoqué la génération de 1963, ce que l’on ne retrouve pas dans le document écrit. C’est un sujet important, les droits seraient-ils conservés ou transformés en points ?

Au cours de ces réunions, nous avons donc réaffirmé non seulement notre opposition à cette réforme mais également notre exigence de concret.

La retraite ce n’est pas une question de concepts mais de droits. Nous demandons des simulations à partir de cas concrets, que nous fournirons, et pas à partir de cas types.

La retraite n’est pas du « prêt-à-porter » mais du « sur-mesure ».

Lors des prochaines rencontres sur ce dossier, nous continuerons d’apporter nos revendications et nos questions sur les innombrables problèmes qu’emporterait une telle réforme si elle aboutissait.


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