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08 / 04 / 2016 | 2222 vues
Eric Yahia / Membre
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Les HRBP : les nouveaux gardes-chiourmes de l’entreprise

HRBP sont les initiales de « human resources business partner ». C’est une nouvelle fonction qui s’implante progressivement dans les entreprises françaises en commençant par les filiales des grands groupes anglo-saxons. Elle a été vulgarisée à la fin du siècle dernier (1997) par un consultant américain Dave Ulrich dans son essai intitulé Human Resource Champions. Il est étonnant que cet ouvrage n’ait pas encore été traduit en français. Car si l'on appliquait à cette nouvelle mode de gestion du personnel un esprit cartésien, critique et humaniste, on se débarrasserait au plus vite de ce qui est la plus ignoble et hypocrite fonction des RH d’aujourd’hui : la fonction HRBP.

Apparemment, tout commence par les meilleures intentions du monde. Il s’agit de réformer la fonction RH pour la rendre « partenaire d’affaires ». Les RH d’aujourd’hui ne doivent plus être considérées comme de simples centres de coûts mais comme de véritables « partenaires» stratégiques, créateurs de « valeur ». Les RH doivent parler le langage des affaires (« business ») pour participer à la croissance des revenus (« revenues ») et de la profitabilité (« profitability »). Derrière cette sémantique valorisante pour collaborateurs « pro-actifs » de l’entreprise, se dissimule une nouvelle version de la fameuse « théorie X » exposée par Mac Gregor dans les années 1960, théorie qui conduit à une gestion foncièrement autoritaire, néo-taylorienne et insupportable des salariés.

Dave Ulrich ne s’en cache pas : les équipes RH ne sont pas là pour prodiguer du bien-être dans l’entreprise : les professionnels RH sont là pour mener aux bonnes pratiques qui rendront les employés plus compétitifs mais pas nécessairement plus sereins :
  • « HR departments are not designed to provide corporate therapy or as social or health-and-happiness retreats. HR professionals must create the practices that make employees more competitive, not more comfortable » in Human Resources Champions, page 18).


Dès les premières pages de son livre, Dave Ulrich met les choses au clair :

1.      « HR practices do not exist to make employees happy but to help them become more committed ».

Les procédures RH ne sont pas là pour rendre les salariés heureux mais pour les rendre plus impliqués.

2.      « HR professionals must help managers commit employees and administer policies ».

Les RH doivent aider les cadres à impliquer leurs salariés et à appliquer les procédures.[YE1]

3.     « HR professionals must learn how to translate their work into financial performance ».

Les professionnels des RH doivent apprendre à transcrire leur travail en performances financières.

Le déploiement d’une telle approche dans de nombreuses d’entreprises françaises participe au développement des risques psychosociaux. Les HRBP en sont les plus vils instruments.

Cependant, la brutalité et l’inhumanité fondamentale de la fonction HRBP sont masquées pas un « packaging » social des plus trompeurs et scandaleusement hypocrites.

La mission d’un HRBP

La fonction n’est pas standardisée ; elle connaît de nombreuses versions suivant les sociétés commerciales, où elle s’exerce. Nous retrouvons cependant quelques invariants dans ce « rôle stratégique ».

Le HRBP est en fait une sorte de commissaire politique.
Un HRBP est un cadre du département RH qui travaille en liaison avec un responsable opérationnel, afin que l’équipe, le service ou le département de ce dernier adopte une gestion du personnel « alignée » avec les objectifs globaux de l’entreprise. C’est aussi l’interlocuteur privilégié d’un chef de département pour toutes les questions relevant de la gestion individuelle ou collective des salariés. Sa mission consiste donc principalement à :

1.  s’assurer que les politiques globales et la standardisation des tâches, des compétences et des normes de travails soient bien appliquées dans l’entité opérationnelle considérée ;

2. suivre, analyser et rendre compte auprès de la direction des indicateurs-clefs en matière RH de l’entité surveillée ;

3. apporter un soutien aux responsables hiérarchiques dans la conduite des relations avec leurs équipes, les partenaires sociaux et dans le pilotage des évolutions et des réorganisations.

Le HRBP est en fait une sorte de commissaire politique détaché auprès d’un responsable opérationnel. Il voit tout, entend tout, rapporte ce qu’il voit. Il s’assure que le chef de service ou de département s’inscrive dans la norme en lui prodiguant les bons conseils et les recommandations adéquates. Cela suppose une certaine compétence et une hauteur de vue de la part d’un HRBP. Mais les entreprises ne la cultivent pas outre mesure ; il ne faudrait pas que ce « rôle stratégique » prenne trop ouvertement une forme dominatrice.

Un HRBP pourra donc conserver une certaine incompétence opérationnelle afin que sa relation avec un manager reste équilibrée. D’autre part, pour dissimuler son rôle de surveillance, qui, trop marqué, susciterait la défiance du cadre accompagné, l’HRBP se verra chargé d’une mission plus transverse ou générale : organisation du plan de formation, gestion de l’intégration des nouveaux arrivants, communication des récompenses etc. Un HRBP pourra donc être « en charge de… » (in charge of… dans le jargon de l’entreprise) la relation avec les représentants du personnel.

Le responsable opérationnel, lui, se décharge progressivement de toutes les questions « humaines » pour se concentrer sur son métier « de base ». S’il surgit un problème avec l'un de ses employés, le manager prudent interroge son HRBP avant de risquer une bévue, une réponse hors norme, une non-conformité en regard de la politique globale de l’entreprise. Si une question de formation, de rémunération, de contrat, de congés ou de promotion lui est posée par l'un de ses collaborateurs, le manager interpellé « prend le point » et part interroger son HRBP avant de risquer une mauvaise réponse. On assiste alors à une dé-socialisation du rôle de l’encadrement par un cantonnement des activités RH auprès de l’HRBP. La déshumanisation de l’encadrement de proximité est en marche. La présence d’un HRBP participe de ce nouveau taylorisme qui traduit une certaine défiance sociale des dirigeants envers leur gestion de proximité.

Ainsi, dans ma société informatique, j’ai pu constater que l’HRBP escorte le manager, auquel il est  affecté, dès que celui-ci risque d’engager socialement l’entreprise. Il accompagne le cadre supérieur qui conduit un entretien préalable à licenciement ; il l’accompagne également lorsque celui doit exposer une réorganisation d’équipe ou tout autre sujet soumis à consultation devant le comité d’entreprise (CE).

Il faut souligner au passage (toujours dans mon entreprise) que les véritables décideurs (les dirigeants attitrés ou les hommes de l’ombre dissimulés dans l’organisation « corporate ») ont si peur d’affronter les questions et la dialectique des représentants du personnel qu’ils ont embauché un avocat, docteur en droit, comme directeur des relations sociales (DRS) pour faire face, à leur place, aux élus du personnel. Mais ce dernier n’a pas la connaissance de ce qui se passe réellement dans l’entreprise. Présidant le CE, le DRS confie alors l’exposé des sujets « techniques » à des cadres opérationnels accompagnés de leur HRBP. Ces derniers n’hésitent pas à préciser ou corriger les exposés de leurs binômes opérationnels quand ils ne font pas eux-mêmes d’énormes bourdes sociales. Car les HRBP ne sont pas à l’abri d’incompétences, résultant d’une spécialisation taylorienne ou d’un sentiment prononcé d’impunité arrogante.

On l’a vu, un HRBP n’est pas là pour que les salariés soient heureux.

Ainsi au cours d’un entretien préalable de licenciement, l’HRBP mène une enquête à charge contre le salarié ; au service du manager, il s‘agit pour lui de sécuriser les motifs de licenciements. On a pu voir également un HRBP témoigner en faveur de l’employeur dans le cadre d’une procédure prud’homale. Il arrive aussi qu’un HRBP joue la victime harcelée par un salarié qui lui poserait trop de questions face au silence du manager opérationnel préalablement questionné.

À l’opposé, la communication interne cherche à faire passer un HRBP pour une assistante sociale. L’HRBP d’une équipe est présumé résoudre les problèmes de gestion, répondre aux questions sociales, rassurer et soutenir le salarié confronté à un problème administratif en matière de salaire, de formation ou de mutuelle. Acteur du dialogue, sa fonction ne fait pas longtemps illusion auprès du salarié. Quand un problème épineux surgit, manager et HRBP se renvoient la balle, faisant en sorte que le problème disparaisse au bout d’un certain temps, après résignation du salarié. Dans mon société, on considère qu’il n’y pas de problème de management mais simplement des problèmes de communication. Pour les résoudre, un HRBP prend une posture, assène un discours et s’y tient. C’est tout…

Un HRBP, c’est finalement un cadre à tout faire, plus ou moins compétent, mais dont l’objectif principal est que les salariés de son entité de rattachement soit « alignés » (aligned, dans le jargon snobinard des filiales anglo-saxonnes) pour répondre aux objectifs stratégiques de l’entreprise.

Garde-chiourme 3.0

Oui, il est temps de dénoncer et de supprimer cette fonction ignoble de garde-chiourme 3.0. Il faut redonner aux gestionnaires opérationnels une marge de manœuvre sociale et une autonomie dans l’approche humaine, comme devrait l’avoir tout « chef d’entreprise ».

Or, les modes managériales anglo-saxonnes ne cessent de déresponsabiliser socialement les dirigeants.

Or, les modes managériales anglo-saxonnes ne cessent de déresponsabiliser socialement les dirigeants. Cette évolution existe depuis longtemps avec la fonction de directeur de ressources humaines, gestionnaire de « ressources » et plus de « relations ». Le DRH remplace le PDG ou le DG dans ses obligations sociales et « humaines » pour laisser le DG s’occuper des affaires et de la « stratégie » sans s’embarrasser de leurs conséquences sur le personnel : ça c’est le « rôle » du DRH. Mais le DRH suit la tendance ;  bientôt, par mimétisme, il veut à son tour s’affranchir des contingences sociales pour ne s’occuper que de « politiques » de  recrutement, de formation ou de rémunération. Le « social », c’est pour le DRS ; directeur des relations sociales, spécialisé dans la relations avec les représentants du personnel mais trop souvent ignorant des réalités du terrain pour ne jamais les avoir vécues.

La fonction HRBP participe de cette spécialisation pour détacher l’organisation des métiers des contingences humaines. C’est un retour au taylorisme du début du XXème siècle qui se dissimule derrière une fonction prétendue innovante et s’inscrivant dans l’ère du temps. Mais c’est surtout un révélateur d’un paradigme totalitaire de l’entreprise « globale » se délivrant des réglementations locales. Dans cette entreprise, le plus souvent mondiale, la pensée unique managériale s’exécute, indépendamment des cultures, des traditions et donc de la diversité des hommes et des femmes. La mode de Human Resource Champions est l’antithèse de la prise en compte de la diversité. C’est une idéologie qui s’inscrit dans la globalisation des marchés.

En effet, la fonction HRBP serait-elle un corollaire de la mondialisation de la gestion des ressources humaines, comme le laisse supposer ce passage extrait de Human Resource Champions de Dave Ulirch qui écrit : « Globalisation dominates the competitive horizon... Operating managers and HR professionals wrestling with these issues must create new ways of thinking about organisations. The global organisation will be less concerned with geographic proximity (going to the same office every day) than with the virtual leveraging of global resources» ?

Il est grand temps de réformer les ressources humaines, c’est-à-dire construire un autre monde du travail.

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