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04 / 03 / 2014 | 4 vues
Didier Cozin / Membre
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La réforme de la formation : au-delà de l'emballage, quelle chance de succès ?

Le 27 février dernier, le Parlement a voté en procédure accélérée la troisième réforme de la formation en France depuis 2004.

Einstein a dit jadis : « La folie, c’est se comporter de la même manière et s’attendre à un résultat différent ».

Il est troublant de constater que, réforme après réforme, les pouvoirs semblent s'enferrer avec des solutions technocratiques et inadaptées au temps des réseaux et d'internet. On continue à croire que nos problèmes éducatifs résident dans une mauvaise tuyauterie, des fuites (d'argent) ou une centralisation insuffisante des ressources.

Une loi peu réfléchie...

Même si l'on devrait applaudir la volonté réformatrice des pouvoirs publics, même si dans une époque où tout bouge très vite ne pas changer c'est se mettre en danger, cette loi nous apparaît malgré tout bien peu réfléchie, très improvisée et n'anticipant guère les conséquences (parfois négatives) qu'elle va avoir sur la formation des travailleurs.

Sans être adepte des rapports et commissions d’enquête, il nous aurait semblé judicieux d'apprendre pourquoi le DIF n’avait pas marché en France pendant dix ans, pourquoi il fallait remplacer le droit à la formation par un compteur d'heures et pourquoi aussi les partenaires sociaux ont été une nouvelle fois associés à la rédaction de la loi.

Modifier la donne éducative

Aucun enseignement sérieux des précédentes réformes n’ayant été tiré, il est à redouter que la loi du 27 février 2014 soit le troisième coup d’épée dans l’eau de notre pays en matière d'éducation des adultes : un affichage de bons sentiments et d'intentions généreuses mais bien peu de chances de modifier la donne éducative en France (sans compter le risque de faire bien pire en bloquant pour des années le fragile éco-système de formation français).

1/ Cette loi est certes ambitieuse sur le papier car elle prétend tout à la fois (et cela sans moyens nouveaux) :

  • remettre en selle les 6 millions d’adultes en grande difficulté professionnelle et sociale,
  • requalifier des millions de chômeurs (du moins les 2 millions de chômeurs de longue durée),
  • faire monter en compétence l’ensemble des travailleurs afin que notre pays retrouve sa compétitivité.

2/ Mais cette loi s’appuie sur une réallocation marginale des moyens financiers. Pendant des années, les Français ont cru comprendre que 32 milliards d’euros étaient gâchés ou mal utilisés en formation et ils peuvent se demander pourquoi seuls 3 % des fonds (1 milliard d’euros) seront réorientés pour faire fonctionner le pilier de la réforme, le CPF ?

3/ Mais cette loi n’est pas consensuelle. Depuis 1971, tous les lois et accords sociaux étaient unanimes. Aujourd’hui, la loi réformant la formation est rejetée par la CGT, par les petits patrons (80 % de l’emploi en France) et n’est votée par le Parlement (en procédure accélérée) que du bout des lèvres.

4/ Mais cette loi tourne le dos à 30 années de décentralisation et de dialogue social dans l’entreprise. Le compte personnel de formation est l’inverse du DIF qui était un dispositif décentralisé, diversifié et contribuant au dialogue social. Le CPF, c'est tout l'inverse : l’État renationalise les fonds de la formation et promet à tous un compteur de formation qu'il sera bien en peine de ternir dans 10 petits mois.

5/ Mais cette loi feint d'oublier la responsabilité de l'Éducation nationale. Le plus gigantesque organisme de formation d’Europe ne serait en rien impliqué ou concerné par la réforme. En France, deux millions de jeunes NEET sont sans éducation ni travail ; en France toujours, 50 % des jeunes diplômés ne trouvent pas de travail un an après leur sortie du système éducatif mais l’Éducation nationale n'y pourrait rien.

6/ Par ailleurs, cette loi ignore deux aspects essentiels de la formation des adultes.

  1. Le travail disponible. Dans un univers professionnel bouché, seuls les plus qualifiés souhaitent et peuvent encore se former. Quelle sera la motivation pour se former pour un adulte qui perd son travail en Picardie alors que partout autour de lui règne la désolation sociale ?
  2. La responsabilisation de chacun. Se former pour un adulte, c’est accepter de changer, c’est faire preuve de courage, d’humilité et de confiance. C’est aussi accepter de « sacrifier » du temps libre, d’investir sans compter ses heures dans de nouveaux domaines.

 

Peut-on prétendre avoir plus de temps libre que nos partenaires économiques et ne rien vouloir céder de ce temps pour se former ?

Qui peut croire que les millions de travailleurs non qualifiés de notre pays vont s'investir durant des mois dans des apprentissages théoriques (et souvent sans rapport avec les possibilités d'emploi) juste parce qu'ils disposeront d'heures sur leur compteur de formation ?

La société ne se change pas par décret, comme nous l'a enseigné Michel Crozier. Il faut du temps, de la persévérance et de la constante, toutes choses manquantes aujourd'hui.

Acquis d'après-guerre

Si le terreau et la culture de formation continuent à faire défaut dans notre pays, si la formation tout au long de la vie reste un vœu pieux, un idéal inaccessible pour les Français, alors nos difficultés économiques et sociales iront en s'aggravant jusqu'à remettre en question la plupart de nos acquis d'après-guerre.

Il y a 100 ans, notre pays décrétait la mobilisation générale face à l'ennemi. Aujourd'hui, c'est d'une autre mobilisation générale que nous avons besoin, une mobilisation en faveur du travail, de la curiosité et du goût d'apprendre. Cette nouvelle réforme vite discutée et votée, avant les prochaines échéances électorales, amènera-t-elle les Français à changer et à se former ? On aimerait y croire.

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