Participatif
ACCÈS PUBLIC
01 / 02 / 2024 | 93 vues
Nicolas Faintrenie / Membre
Articles : 11
Inscrit(e) le 01 / 05 / 2022

Droit aux congés payés : Pacte de sang entre l'exécutif et le patronat

Par plusieurs décisions de septembre 2023, la Cour de cassation a tiré les conséquences des engagements européens de la France en matière de congés payés. Ces décisions ont motivé une organisation patronale à lancer une pétition contre l’acquisition de congés payés au cours des arrêts maladies.

 

Il aura fallu d’une simple mise en ligne d’une pétition pour que le pouvoir exécutif s’empresse de déposer les armes aux pieds d’une organisation patronale. Fin octobre 2023 en effet, la CPME (1) a ouvert une pétition intitulée «  Non aux congés payés acquis pendant les arrêts-maladies ». L’origine du litige pour la France remonte à une directive de l’Union européenne adoptée le 4 novembre 2003 (2) et portant sur la quatrième semaine de congés payés.
 

Aux origines de la révolte patronale : la quatrième semaine de congés payés
 

En creux, cette directive pose la question du droit à congés payés lorsque le salarié a été absent de l’entreprise, notamment en raison d’une maladie. Peut-on réduire sa période de congés à moins de quatre semaines ? Quels sont les aménagements possibles ?

 

Avec vingt années de retard, c’est cette question que la CPME prend de front en déclarant  : «  découpler travail effectif et congés payés est profondément choquant.
 

C’est la valeur travail qui est ainsi attaquée (3)  ». Ce débat oppose en substance la valeur travail et la valeur repos. En effet, la directive européenne a pour objet d’instaurer un certain nombre de règles afin de préserver le repos des travailleurs, motivée par l’idée que « l’amélioration de la sécurité, de l’hygiène et de la santé des travailleurs au travail représente un objectif qui ne saurait être subordonné à des considérations de caractère purement économique (4) ».
 

Ainsi, la directive rappelle que le repos du travailleur est consubstantiel à son travail. La dégradation des chiffres français concernant les accidents et maladie au travail témoignent d’une plus grande attention aux considérations économiques qu’aux considérations sociales. Et la cristallisation des débats sur un droit européen reprenant des acquis français remontant à un demi-siècle en dit long sur la maturité de nos débats sur le travail. La CPME a, en revanche, touché un point sensible en relevant que ces décisions de justice pourraient être lourdes de conséquences financières pour les employeurs français, en raison de l’incurie de l’Etat.

 

La déconfiture de l’Etat

 

En novembre  2003, le gouvernement français animé par Jean-Pierre Raffarin prenait acte de l’adoption de cette directive par le Parlement et le Conseil européens. Cette directive engageait le pouvoir exécutif, ainsi que l’ensemble des autorités de l’Etat français. Or, l’Etat français n’a adopté aucune mesure nationale de transposition, et constitue officiellement le seul pays membre dans cette situation (5) .

 

A l’occasion de litiges, s’est posée la question du droit des travailleurs français à bénéficier d’une période de repos (et notamment des quatre semaines de congés) en présence d’une période de maladie. En l’absence de mesure de transposition et sans règle nationale relative à cette situation, les conséquences du droit de l’Union européenne ont abouti à une solution aussi claire qu’inévitable. Ainsi, le salarié doit bénéficier d’un congé annuel payé d’au moins quatre semaines. Il n’existe pas en droit français de règle permettant de définir une période de décompte des règles des temps de travail prévues par la directive européenne. Par conséquent, tout travailleur doit bénéficier de ses quatre semaines de congés payés dans l’année, peu importe la survenance d’un évènement comme la maladie.

 

Le gouvernement contre la surtransposition

 

Cette solution a été prononcée par le pouvoir judiciaire français, qui a tiré toutes les conséquences de la directive de l’Union (et de la Charte des droits fondamentaux) et des règles constitutionnelles françaises concernant la portée des engagements européens. En réponse, la Première ministre s’est engagée, le 30  novembre 2023, devant des représentants patronaux à ce qu’il n’y ait «  pas de surtransposition  » de la directive européenne.

 

Souhaitait-elle affirmer que le pouvoir judiciaire était allé trop loin ?

Souhaitait-elle indiquer que l’Etat devait procéder à actes de transposition de la directive en droit français ?

Souhaitait-elle annoncer que la solution dégagée par la Cour de cassation allait être contournée par le pouvoir exécutif ?

Souhaitait-elle affirmer que la solution issue des engagements européens était trop conséquente pour notre pays ?

 

Au-delà de cet engagement à préserver les intérêts patronaux, aucune solution concrète n’a été émise, et le ministre du Travail a confirmé qu’aucun véhicule législatif n’était disponible à ce jour.

 

L’Etat face aux intérêts des travailleurs : quel millésime 2024 ?

 

De manière plus pragmatique, la Première ministre souhaitait-elle passer un marché avec les représentants patronaux pour leur indiquer que ni eux ni l’Etat français n’aurait à réparer les préjudices engendrés par l’incurie de l’Etat aux salariés français ?

 

Il s’agit d’une hypothèse sérieuse et qui répond à une part des inquiétudes de la CPME dans sa pétition. En droit en effet, et dans la mesure où la directive européenne prend sa source dans les droits fondamentaux appliqués par le droit de l’Union européenne, les employeurs français sont responsables des préjudices causés à leurs salariés.

 

Une faute de l’Etat ne leur ouvre qu’une hypothétique voie de recours contre celui-ci, en réparation du préjudice causé.

 

Ainsi, la Première ministre scelle un pacte avec les employeurs français, en indiquant que ni eux ni l’Etat ne seront responsables pécuniairement de cette situation. De manière plus fondamentale, l’Etat français est de plus en plus préoccupé par ce qu’il appelle les «  surtranspositions », c’est-à-dire l’écart entre un standard minimum imposé par la directive et l’existence d’une norme nationale plus contraignante.


Le Parlement français avait ainsi commandé au gouvernement un rapport sur ce sujet en 2018. Le gouvernement avait évacué cette question en remettant en 2022 un rapport évoquant un choix politique assumé de se placer au-delà des normes minimales européennes (6).

 

Cette doctrine générale ne semble pas applicable en l’espèce au droit des travailleurs.


Cette intervention de la Première ministre s’inscrit dans un contexte défavorable pour les salariés. Ces derniers paient un lourd tribu au barème Macron, malgré la résistance de quelques Cours d’appel et en raison de l’absence de caractère contraignant de la Charte sociale européenne (7) .

 

La pétition syndicale, et plus globalement la mobilisation sur les retraites, n’ont pas porté leurs fruits.

 

L’année 2023 s’est refermée sur une nouvelle menace pour les salariés, avec la proposition du ministre de l’Economie de réduire le délai de saisine du Conseil des Prud’hommes d’un an à deux mois.  L’année 2024 offrira-t-elle un meilleur millésime ?
 

1. La Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) est l’une des trois organisations patronales représentatives au niveau national et interprofessionnel.

2. Cette directive constitue un travail de codification des règles édictées à l’occasion d’une précédente directive (directive 93/104/CE du 23 novembre 1993) et des évolutions constatées.

3. CPME, Communiqué de presse du 30 octobre 2023. (https://www.cpme.fr/espace-presse/communiques-de-presse/la-cpme-lance-une-petition-non-aux-conges-payes-acquis-pendant-les-arrets-maladies)

4. Directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail, 4ème considérant. (Pour consulter le texte de cette directive : https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:32003L0088)

5. Pour prendre connaissance des mesures prises par les Etats membres : Voir toutefois les informations figurant sur le site Legifrance, ( https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/NIM/?qid=1703344395928&uri=CELEX%3A32003L0088 et indiquant que la directive n’appelle pas de mesure nationale d’exécution mais rapportant l’existence de décrets d’exécution : https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000888204/

6. Rapport relatif à l’adoption et au maintien, dans le droit positif, de mesures législatives ou règlementaires allant au-delà des exigences minimales du droit de l’union européenne, remis par le gouvernement au parlement en application de l’article 69 de la loi ESSOC, 2022.

7. Voir Debout n°155.

8. Pour consulter le texte de cette directive : https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:32003L0088

Pas encore de commentaires