Participatif
ACCÈS PUBLIC
19 / 05 / 2015 | 14 vues
Ghislaine Peneaut / Membre
Articles : 18
Inscrit(e) le 04 / 05 / 2012

Mémorandum du Syndicat des experts CHSCT relatif au projet de loi sur le dialogue social

L'équipe des experts CHSCT de Syndex relaient le mémorandum du Syndicat des experts agréés CHSCT, relatif au projet de loi sur le dialogue social.

Catherine Allemand, experte CHSCT Syndex et vice-présidente SEA-CHSCT.

Suite aux négociations non abouties de janvier 2015 entre organisations syndicales de salariés et patronales, le gouvernement a choisi de présenter un projet de loi « relatif au dialogue social ». Le calendrier de ce projet est connu : passage au conseil des ministres le 22 avril puis un début d’examen en séance plénière à l’Assemblée nationale le 20 mai.

Le rôle, la place et les moyens du CHSCT étaient au cœur du désaccord de janvier 2015, le projet de loi annonce l'extension de la délégation unique du personnel (DUP) aux entreprises de moins de 300 salariés et, pour celles supérieures à ce seuil, conserve le CHSCT avec la possibilité d’une fusion à la carte des instances représentatives (CE, DP et CHSCT) par voie d’accord majoritaire.

Représentant les cabinets réalisant l’immense majorité des missions d’expertises réalisées à la demande des CHSCT, le SEA-CHSCT tient à exprimer son point de vue à partir de l’analyse du projet de texte proposé dans ce qu’il peut toucher ses missions d’expertises.

D’abord, il convient de rappeler que les CHSCT créés par Jean Auroux et dont la mission est de contribuer à la protection de la santé au travail des salariés, ont depuis la loi de 1982 créant cette instance représentative du personnel un droit strictement encadré de faire appel à un expert, que cela soit en cas de « risque grave » et depuis 1992 (loi Aubry) en cas de « changement important » susceptible de modifier les conditions de travail. La loi de sécurisation de l’emploi (LSE) de 2014 a étendu ce droit d’expertise aux projets de compression d’effectif (PSE) reconnaissant ainsi les jurisprudences qui, au fil des années, ont conforté la capacité du CHSCT à intervenir sur tous les sujets qui pouvaient avoir des incidences sur les conditions de travail et la santé des salariés dans l'entreprise. Même aujourd'hui, ce droit d’expertise étendu à de nombreux sujets concerne à peine 1 500 missions pour environ 25 000 CHSCT. Ce qui a fait dire au comité d’orientation des conditions de travail (rattaché au ministère du Travail) : « Le recours à l'expertise agréée reste particulièrement faible, ce qui incite à interroger plus avant la manière dont, dans leur pratique régulière, les membres du CHSCT font face aux enjeux de connaissance ». Pour autant, un consensus émerge sur l’intérêt indéniable qu’ont joué les CHSCT ces dernières années pour que la prévention de la santé au travail soit une priorité dans les politiques d’entreprise.

C’est donc en tant qu’experts et praticiens de l’intervention auprès des CHSCT donc « tiers » dans le dialogue social que nous livrons notre analyse de ce projet.

Les dispositions projetées dans les entreprises de moins de 300 salariés

La fusion CE, DP et CHSCT « à la main » de la direction : un risque de dilution des fonctions de prévention de la santé au travail.

Selon la DARES, le taux de couverture des établissements par un CE et/ou une DUP (CE+DP) et ceux couverts par un CHSCT est à la fois dépendant de la taille de l’établissement (environ 60 % pour les 50 à 99 salariés) pour atteindre environ 90 % parmi celles de 200 à 300 salariés) mais surtout il est sensiblement équivalent dans un cas (CE et/ou DUP) comme dans l’autre (CHSCT). Le nombre d’établissements ou seul le CHSCT est présent sans CE et/ ou DUP est très marginal. Autrement dit, la fusion du CHSCT dans une DUP pour les établissements de moins de 300 salariés n’aura pas d’incidence pour une meilleure couverture dans les établissements qui n’en sont actuellement pas dotés et cela même si leur présence est théoriquement obligatoire dans tous les établissements de plus de 50 salariés. La fusion des instances n’améliorera donc pas naturellement le dialogue social.

Quant à la question de l’efficacité des CHSCT, elle n’est plus à démontrer. En revanche, toutes les enquêtes et études montrent que c’est dans la faiblesse des moyens dont disposent actuellement les représentants du personnel notamment de se former, se documenter etc. que résident les difficultés qu’ils rencontrent pour aborder les sujets complexes de la santé au travail. De ce point de vue, en confiant des sujets par nature différents aux mêmes élus représentants du personnel, le projet de loi complique leur mission. À ce sujet, le renvoi à un futur décret dont les éléments connus indiquent que, contrairement à ce qu’affirme l’exposé des motifs, les moyens d’heures de délégation dont disposeraient les membres de cette instance unique ne laisseraient qu’un temps marginal (d’1 à 2 heures par mois et par élu) pour prendre en charge les fonctions du CHSCT.

Dans les déjà trop rares situations où des CHSCT d’établissement de moins de 300 salariés font appel à un expert, cette réduction de leurs moyens en temps altérerait la dimension « pédagogique » de l’expertise qui est l'un des principaux critères demandés aux experts CHSCT par l’agrément. À savoir : « d’une part, le transfert aux membres du CHSCT des résultats de l’expertise et, d’autre part, que l’expertise et son rapport puissent ultérieurement servir de référence méthodologique ».

  • Des modalités restrictives de fonctionnement de la DUP

Certaines modalités envisagées de fonctionnement de cette nouvelle DUP élargie aux missions du CHSCT questionnent quant à la capacité des représentants du personnel de faire leur travail d’enquête de terrain ou de pouvoir prendre des décisions. Il s’agit notamment de l’ordre du jour communiqué 5 jours avant (jours calendaires donc samedis, dimanches et jours fériés compris) au lieu de 15 jours actuellement pour le CHSCT. Dans ces conditions, comment examiner un sujet, se renseigner et voir s’il faut prendre contact avec un expert ? De même, comment les institutions médecine du travail, CARSAT et inspection du travail (qui sont membres de droit du CHSCT) peuvent-elles se rendre disponibles pour y assister dans un délai aussi bref ?

Par ailleurs, la future DUP ne pourrait se réunir qu’une fois tous les deux mois. C’est une forte réduction de moyens par rapport à la situation antérieure d’une DUP se réunissant chaque mois pour le CE et les DP et 4 fois par an pour le CHSCT. Réduire les délais pour l’ordre du jour et en même temps réduire le nombre de réunions semble davantage tenir de la compression de moyens que de la recherche d’efficacité.

Si nous avons noté que le projet de texte indique que cette nouvelle instance unique conserve « l'ensemble de leurs attributions » (nouvel L. 2326-4.), il conviendrait que la DUP dispose clairement de la capacité d’action et soit notamment dotée de la personnalité civile au même titre que la DUP créée par voie d’accord dans les plus de 300 salariés (nouvel L. 2391-1). L’absence de personnalité civile pourrait rendre inopérant l’exercice de certaines attributions comme la mise en œuvre d’une expertise demandée par le CHSCT. De même, la capacité de réunir l’instance à la demande motivée d’au moins 2 de ces membres semble maintenue du fait de la reprise de l’ensemble des prérogatives du CHSCT, il aurait néanmoins été utile de préciser le délai maximum dans lequel l’employeur doit satisfaire à cette demande de réunion extraordinaire.

L’exposé des motifs de projet de loi met en avant que les moyens des CHSCT seraient maintenus. Il nous paraît essentiel de préciser que lorsque la DUP se réunit en instance CHSCT et qu’un contentieux survenait en raison, par exemple, d’un recours judiciaire de la part de la direction pour s’opposer à la nomination d’un expert, la prise en charge des frais de justice soit assurée, comme à présent, par l’entreprise. Cette précision nous paraît essentielle partant du principe qu’un droit qui n’inclurait pas la possibilité et les moyens de le faire respecter ne serait plus un droit et créerait une situation déséquilibrée.

Propositions du SEA-CHSCT
Au moins 10 réunions par an de la DUP
Au moins 7 jours ouvrés pour la communication de l’ordre du jour
Clarifier que la nouvelle instance sera dotée de la personnalité civile

  • L’expertise commune de la DUP : un fonctionnement flou

Le projet de texte prévoit une « expertise commune » sur des sujets relevant à la fois des attributions du CE et du CHSCT. Au-delà d’une formulation qui, si elle n’est pas précisée par décret ne manquera pas de générer un important contentieux car la frontière entre les deux domaines n’est pas toujours pertinente. Se pose alors la question de qui réalisera cette « expertise commune » et dans quels délais. En effet, les méthodologies employées, les compétences et les possibilités d’exercice sont de natures différentes. Agrément ministériel pour les experts CHSCT sur la base de compétences permettant une analyse des risques professionnels, des connaissances en santé au travail ; inscription au tableau de l’ordre des experts comptables compétences en gestion, comptabilité, pour les experts du CE. L’idée d’une double approche sur des sujets communs n’est pas en elle-même dépourvue d’intérêt, mais elle ne peut être réalisable que sous condition d’un dispositif respectant les spécificités de chacune des modalités d’exercices et négocié par les représentants du personnel eux-mêmes.

Proposition du SEA-CHSCT
Conditionner l’expertise « commune » à un expert disposant de l’agrément CHSCT délivré par le ministère du Travail pour les aspects hygiène, sécurité, conditions de travail et leurs évolutions.

Les dispositions projetées dans les entreprises de plus de 300 salariés

  • Un renforcement d’une instance de coordination à la seule initiative des employeurs
L’instance de coordination des CHSCT (créée par la LSE de 2014) a pour seul objet d’organiser la mission d’expertise conjointe à plusieurs CHSCT consultés sur un même projet et n’avait pas pour vocation de se substituer aux CHSCT locaux qui conservaient la prérogative essentielle de donner leur avis sur le projet les concernant. C’est une instance temporaire aux contours variables selon les projets qui la rassemblent. En 2014, moins d’une centaine d’expertises sur environ 1 500 ont été réalisées dans ce cadre. Par notre expérience d’experts agréés, les principaux écueils que nous avons observés à propos de cette instance de coordination, par ailleurs utile dans l’examen de certains projets d’entreprises, sont :
  • la faible marge de manœuvre pour les représentants du personnel. Ainsi, par exemple, à défaut d’accord plus favorable, les élus de l’IC n’ont aucun moyen pour se rencontrer et travailler ensemble le projet qui leur est présenté. L’expert peut n’arriver à rencontrer les représentants du personnel de l’IC que lors de la restitution de la mission d’expertise. Il arrive aussi que des CHSCT concernés par le projet ne soient pas membres de l’instance (si plus de 15 CHSCT) ;
  • le caractère par nature éphémère de cette instance de coordination dans laquelle les représentants du personnel peuvent être différents selon le sujet traité,mais elle entraîne une incapacité à faire le suivi de la mise en œuvre du projet et des préconisations présentées par l’expert ;
  • le manque de relations entre l’IC des CHSCT et les CHSCT locaux pour lesquels le rapport de l’expert était certes communiqué pour qu’ils puissent émettre leur avis, mais dont rien n’était prévu (sauf accord) pour l’implication et la présentation de l’expertise aux CHSCT locaux. Ceci pose une difficulté particulière pour le suivi des préconisations émises lors de l’expertise CHSCT.

Ces aspects conjugués rendent très difficiles des impératifs assignés à l’expert CHSCT par la procédure d’agrément ministériel :
  • d’une part, l’objectif d’instruction de la demande en début d’expertise,
  • d’autre part, l’objectif pédagogique de transfert auprès des représentants du personnel.
Le projet de loi ne corrige pas ces imperfections et au contraire les renforce. En effet, le projet envisage de modifier L. 4616-1 à la fois :
  • pour retirer aux CHSCT locaux la possibilité le pouvoir donner un avis qui ne serait plus que de la seule compétence de l’IC ;
  • pour réduire les attributions des CHSCT locaux qui ne seraient plus consultés que sur les « mesures d’adaptation ». Autrement dit, le CHSCT ne donne plus son avis sur le projet lui-même, mais sur les adaptations locales décidées par le chef d’établissement ;
  • d’amoindrir la relation entre experts CHSCT et représentants du personnel au CHSCT puisque la rédaction du nouvel L. 4616-3 remplace le terme l’expert « remet son rapport » par l’expert « transmet » son rapport.

De notre point de vue d’experts, l’équilibre de la prévention de la santé doit se faire par une analyse concrète au plus près du terrain.


Propositions du SEA-CHSCT
Prolonger la pérennité de l’IC-CHSCT en lui permettant de suivre l’application des projets dans leur ensemble, par exemple en proposant, des règles de fonctionnement, des moyens en temps et des réunions régulières pendant la durée de mise en place du projet.
Instaurer un suivi des préconisations au niveau des CHSCT locaux en coordination avec le suivi des préconisations générales au niveau de l’IC.
Maintenir le lien entre l’expert de l’IC-CHSCT et les CHSCT locaux.

  • Une réduction du champ d’intervention du CHSCT ?
Le projet envisage que « les projets d’accords collectifs, leur révision ou leur dénonciation ne sont pas soumis à l’avis du comité d’entreprise » (nouvel L. 2323-2). Si rien n’est indiqué en ce qui concerne le CHSCT, la logique du texte qui en même temps pousse à la possibilité de fusion des IRP est une nouveauté inquiétante car l’expérience passée comme celle vécue au moment des « accords RTT » montre que la qualité de négociation avait progressé grâce à une articulation entre négociations et consultations des CE et CHSCT.

Cette articulation entre négociation et consultations des CE et CHSCT mériterait même d’être renforcée car dans le chapitre consacré au champ de négociation il y la création.
Pas encore de commentaires