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27 / 02 / 2013 | 5 vues
Jean Louis Bally / Membre
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Les risques psychosociaux du projet de loi sur l'emploi

article rédigé par un collectif de l'observatoire 

L'analyse du texte du « projet de loi sur la sécurisation de l'emploi » (dans sa version du 11 février 2013) montre deux choses : d'abord qu'il ne s'agit pas d'une « transposition conforme » des négociations mais d'une réécriture qui va bien au delà des bases de la négociation posées le 14 novembre 2012 par le MEDEF lui même (voir les dérapages de l'ANI).

Ensuite, l'analyse de ce texte, au vu du fonctionnement actuel des entreprises, montre que cette rédaction introduit ou conforte quatre mesures qui ont toutes les chances de contribuer au harcèlement et à la dégradation de la santé et de la sécurité des travailleurs les plus fragiles.

Nous analysons ici les trois premières mesures qui concernent les mobilités forcées et le temps partiel. La quatrième, qui concerne les CHSCT, fera l'objet d'un second article.

La « mobilité forcée », professionnelle ou géographique (art. 10 du projet de loi)

 

  • Qu'appelle-t-on mobilité forcée ?


C'est le fait pour l'entreprise de déroger à l'article L5411 du Code du travail, en contraignant ses salariés, par la force du contrat, à une mobilité « non raisonnable » définie par le code (30 km, 45 mn de trajet...).

Rappelons que l'observatoire du stress à France Télécom s'est constitué pour réagir et dénoncer les ravages et les suicides provoqués par les mobilités forcées, tant professionnelles que géographiques, imposées par l'entreprise et validées dans un accord conventionnel signé par les syndicats (France Télécom étant loin d'être la seule entreprise à pratiquer cette politique).

On connaît les résultats : « liquidation » de 5 à 10 % des travailleurs à chaque « réorganisation », destruction des vies professionnelles, familiales et personnelles de milliers de foyers, allant jusqu’au suicide. Rappelons que Didier Lombard a été mis en examen pour avoir harcelé et mis en danger la vie d'autrui alors qu'il appliquait un accord conventionnel dérogatoire au Code du travail.

  • Que propose le texte de loi ?


Supprimer la validité de fait du L5411 en permettant d'y déroger par accord conventionnel (minoritaire de surcroît). Autrement dit, exonérer l'entreprise des conséquences juridiques et financières d'une mobilité forcée, en autorisant le harcèlement de ses salariés les plus fragiles.

Ce texte fragilise aussi les futurs chômeurs qui devront se conformer à ces nouvelles rêgles d'embauche.

Il s'agit d'un recul qui n'était même pas au programme de la demande initiale du MEDEF, puisque le patronat lui-même démarrait la négociation le 14 novembre 2012 en faisant explicitement référence au Code du travail pour borner la définition des offres raisonnables d'emploi.

Extrait du texte du MEDEF : « Les refus par les salariés des modifications de contrat ou transformation d’emplois seront traités dans le cadre de plans de redéploiement dès lors que les dites modifications se situeraient dans les limites de la définition des offres raisonnables d’emploi, donnée par le Code du travail » (art. 5411).

Autrement dit, toute dérogation de l'entreprise à l'article 5411 devrait être traitée comme une décision économique de l'entreprise et le refus du salarié équivaut à un licenciement pour cette cause.

Qu’une entreprise veuille supprimer ses activités et son personnel est une chose mais qu'elle en assume alors les responsabilités.

Prendre appui sur une loi pour s’exonérer de ses responsabilités et d’un plan de redéploiement, en retournant la faute sur le salarié qui n’y peut rien, est une source inépuisable de drames et de futurs suicides pour le personnel qui en fera les frais, comme nous l’avons tristement constaté dans nos entreprises.

Les effets de ces drames ne se limitent pas à l’entreprise, ils concerneront aussi bien son personnel sous-traitant, que les habitants des communes touchées par un tel déni de la responsabilité sociale de l’entreprise.

La « mobilité dite volontaire » (article 3 du projet de loi)

C'est permettre à un travailleur de chercher du travail ailleurs pendant un an, contre la promesse de réembauche à son retour.

Cette mesure d’apparence équitable doit être appréciée au regard de son application dans les entreprises et son apologie montre à quel point certains dirigeants n'ont plus connaissance de la réalité du fonctionnement d'une entreprise.

Dans la période de récession que nous traversons, l’expérience prouve que cette mesure est utilisée pour se débarrasser du personnel indésirable, à commencer par les seniors.

Car cette mesure existe, elle a été mise en œuvre, entre autres, à France Télécom et bien d’autres entreprises pendant plusieurs années, principalement pour pousser les seniors hors de l'entreprise : humiliés et harcelés jusqu’à accepter cette mobilité sous n'importe quel prétexte, avec 90 % de chances de retour dans une situation bien pire qu'au départ, la mise au placard étant la plus douce des issues qui leur sont imposées.

L'humiliation profonde ainsi imposée à cette catégorie de travailleurs, aussi bien pour les pousser à partir que lors de leur retour, est un motif reconnu d'atteinte à leur dignité et à leur sécurité et une source de RPS.

La dérogation aux délais de prévenance, au nombre et à la durée des interruptions du temps partiel (art. 8)


Le projet de loi donne à un accord conventionnel (minoritaire) le pouvoir de déroger à un socle minimum défini pour protéger la vie personnelle, familiale et professionnelle des travailleurs les plus précaires et les plus démunis (bien souvent des femmes).

C'est laisser libre court au harcèlement et à la destruction de la vie quotidienne de ces travailleuses et c'est leur rendre impossible de planifier leur existence, leur vie familiale (et la recherche d'un second emploi), ne serait-ce qu'à l'horizon d'une semaine.

De toutes les mesures qui, dans ce projet de loi, attentent à la dignité des travailleurs, celle-ci est l’une des plus injustes, des plus inacceptables et lourde de conséquences à venir.

Si la dignité et la santé des travailleurs est une obligation, elle ne peut pas être soumise à la dérogation d'accords conventionnels ; en la circonstance, la protection des travailleurs suppose de réaffirmer son socle non dérogatoire : prévenance des horaires une semaine à l'avance au minimum et une seule interruption journalière.

À noter que les autres dispositions de cet article sont un leurre (la majorité des embauches actuelles se fait avec des contrats de travail de moins de 6 semaines) et ne changent en rien les conséquences désastreuses de la mesure incriminée sur la vie quotidienne des plus précaires des travailleurs.

Une quatrième mesure du projet de loi concerne les CHSCT et attente aux capacités des salariés de faire reconnaître leurs demandes de prévention des risques : nous la traiterons dans un second article.

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