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07 / 10 / 2008 | 19 vues
Eric Alonso / Membre
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Booster l'emploi des seniors : une opportunité pour les entreprises

Les répercussions indiscutables du vieillissement de la population sur les entreprises

En France, le taux d'emploi des seniors, chaque année plus nombreux, reste un des plus faibles d'Europe : 38, 3%  pour les 55-64 ans, alors qu'il est de 44,6% en Espagne, 51,5% en Allemagne, 57,4% en Grande Bretagne, et 70% en Suède, la moyenne européenne se situant à 46,6%.

L’éviction des salariés les plus âgés est la norme dans notre pays : dispense de recherche d’emploi pour les plus de 55 ans, préretraites financées par l’Etat… Ainsi, les entreprises ont longtemps été encouragées à se débarrasser de leurs salariés les plus âgés. Au niveau macro-économique, l’objectif visé était de faciliter les restructurations des sociétés ou de favoriser l’insertion des jeunes dans le marché du travail ; mais du point de vue des entreprises, il s’agissait également de ne pas conserver des salariés jugés trop coûteux et moins dynamiques.

Les problématiques de financement des retraites ont renversé la donne : plus question d’aider les salariés de plus de 55 ans à raccrocher, d’autant plus que l’Agenda de Lisbonne fixé par l’Union Européenne donne un objectif de 50% pour leur taux d’emploi à l’horizon 2010. Il est dorénavant nécessaire de prendre conscience  que la mise à l’écart précoce des seniors n’a pas seulement un coût pour les caisses de retraite, mais également pour les entreprises.

Renverser les préjugés


Le frein principal à l’emploi des seniors est manifestement leur coût supérieur à celui des salariés plus jeunes. Cependant, managers et DRH s’accordent sur leurs atouts, principalement leur recul, leur compétence, leur expérience et leur vision ; avantages qui poussent les entreprises à ne plus envisager si vite de se séparer de leurs seniors.

Mais au delà de ces avantages, certaines entreprises ont rapidement vu dans les seniors une réelle opportunité en termes de rentabilité. C’est le cas chez Grand Optical par exemple, où la productivité d’un salarié s’évalue sur le long terme : « Les seniors ont certes des salaires plus élevés, une rapidité de service peut-être moindre, mais annuellement, ils sont plus utiles à l’Entreprise que les autres parce qu’ils parviennent à fidéliser la clientèle » affirme Manuel Conjereo, son Directeur Général. De la même manière, Deutsche Telekom, qui cherche à cibler le marché des seniors au niveau des téléphones mobiles et des lignes Internet, compte sur un plan d’embauche de commerciaux de plus de 50 ans dans ses magasins T-Punkt pour se rapprocher de sa clientèle et la rassurer.

Les plus gros doutes des RH au sujet des seniors concernent leur mobilité, leur adaptabilité et leur dynamisme. Doutes justifiés ? Il semble qu’il existe de fait une réelle volonté chez les plus de 55 ans d’aménager leur temps de travail. S’inspirant du modèle Suédois avec des entreprises comme Vattenfall, qui propose le programme « 80-90-100 » pour conserver les salariés âgés de plus de 58 ans aussi longtemps que possible (80% du temps de travail, 90% du salaire et 100% de retraite ; une politique qui contribue à un taux d’emploi des seniors supérieur à celui des autres pays d’Europe), certaines sociétés françaises innovent. C’est le cas des laboratoires Boiron par exemple qui, dès 1976, ont mis en place des accords d’entreprise sur la préparation de la retraite. Ces accords ont évolué depuis, et leur principe actuel est de proposer une réduction du temps de travail par paliers, à partir de 6 ans avant la retraite. Le financement de ce système est produit par les salariés eux-mêmes, via un accord sur le partage des gains de productivité au sein de l’entreprise. Selon Renée Husson, DRH des laboratoires Boiron, les salariés choisissent majoritairement ce régime dégressif.

Le dernier préjugé envers les salariés les plus âgés concerne leur productivité. Mais selon Claude Jeandel, président du Comité scientifique et médical de Médéric, « rien ne permet statistiquement d’affirmer que les seniors sont moins productifs que les plus jeunes. » Son principal argument : la population des seniors a bien moins tendance à se plaindre des conditions de travail ou à être soumis à un stress intense que les plus jeunes, alors que l’intensification du travail est observée à tout âge

La formation, un enjeu clef


A l’heure actuelle, on constate que peu d’entreprises encore ont compris l’enjeu de la formation chez les seniors. Bien souvent, on les croit suffisamment formés, et inaptes à recevoir une formation. « L’aversion pour la formation participe d’une représentation erronée du senior au travail. Différentes enquêtes montrent en effet que les salariés de plus de 50 ans n’y sont pas rétifs, bien au contraire, mais qu’ils souhaitent des formations moins scolaires et davantage centrées sur des pratiques concrètes de travail », explique Eléonore Marbot, docteur es Sciences de Gestion et maître de conférence au CNAM.

Cependant, dans nombre d’exemples cités plus haut (en particulier celui de Grand Optical), la volonté d’offrir aux seniors une réelle formation adaptée à leurs besoins spécifiques a été une des principales raisons de leur efficacité et de leur rentabilité supérieure. En Grande Bretagne, l’accent a été mis sur l’amélioration des compétences également, via la campagne gouvernementale Age Positive : sensibilisation des employeurs et incitations financières à la formation professionnelle. Selon les statistiques du ministère du Travail de février 2008, 71.9% des hommes entre 50 et 64 ans et des femmes entre 50 et 59 ans travaillent au Royaume-Uni.

Beaucoup de gestionnaires RH partent également du principe qu’à partir d’un certain âge, la formation d’un salarié n’est plus intéressante du point de vue de l’entreprise. Mais cette vision de la rentabilité d’une formation par rapport à la période restant à travailler est à mettre en regard du turnover des salariés : à l’heure où certains jeunes salariés changent de société parfois tous les 3 ans, il est pertinent de se demander si un senior ne peut pas être plus facilement considéré comme une « valeur sûre » dans laquelle investir en formation. En effet, les seniors sont une population plus loyale à leur entreprise : à l’heure actuelle, il est rare et pas forcément aisé de changer d’employeur en fin de carrière.

Les seniors peuvent également être particulièrement utiles à l’entreprise comme vecteurs de formation. C’est ce qu’ont très bien compris un certain nombre de firmes comme par exemple GMAC Banque. Cet établissement financier a mis en place à 2003 le « mentoring » , une méthode qui consiste à faire coacher chaque jeune recrue commerciale par un senior, sans lien hiérarchique entre le mentor et son coaché. Au delà de la formation d’un nouvel embauché, la mise en œuvre du tutorat présente énormément  d’intérêt. D'une part, c'est une occasion d’observer le senior en situation d’encadrement et d’évaluer ses aptitudes ou ses talents pédagogiques : si l’essai est concluant, ce peut être une possibilité de le faire évoluer vers un nouveau poste.  C'est également un  moyen de motivation, qui peut être financier  avec la mise en place d’objectifs précis évalués par des critères quantitatifs ou quantitatifs (dans le cas des commerciaux par exemple, en intéressant un senior au chiffre d’affaires de son junior), mais aussi psychologique car touchant à  la reconnaissance à laquelle les seniors aspirent au sein de l’entreprise.  Enfin, la mise en place du tutorat apporte généralement un nouveau dynamisme aux équipes en créant un lien intergénérationnel fort.

Quelle mise en œuvre concrète ?


A l’heure actuelle, une grande majorité d’entreprises françaises n’a pas encore réellement entamée de réflexion sur la gestion des seniors. Souvent, ces sociétés ne connaissent même pas leur pyramide des âges. C’est le cas en particulier pour nombre de PME, chez qui la fonction RH n’est guère développée : seules 19% d’entre elles considèrent que la gestion des seniors est un enjeu majeur, selon une étude d’Opcalia, organisme spécialisé dans la formation professionnelle des salariés. 


Les entreprises se heurtent avant tout au manque d’investissement et d’accompagnement, et craignent le coût important de la formation. Si les grandes firmes peuvent financer de telles politiques, les plus petites structures n’en sont pas capables sans l’impulsion et l’appui d’aides publiques. Selon Anne-Marie Guillemard, Professeur des universités en sociologie à Paris V – Sorbonne, auteur de l’Age de l’emploi et spécialiste des comparaisons internationales retraite et emploi, « la conception de la mobilité en emploi doit se penser au niveau du bassin de l’emploi. Il est primordial d’insérer tous les acteurs. » 


Mais au-delà de la mise en place d’incitations à l’embauche et d’aides à la formation, c’est un changement radical des mentalités qu’il faut opérer dans les entreprises pour promouvoir l’emploi des salariés les plus âgés. En Allemagne, où le vieillissement de la population est un sujet de préoccupation majeur depuis de nombreuses années (on estime qu’en 2020, 40% de la population active allemande sera âgée de plus de 50 ans), le ministère du travail a mis en place le projet Rebequa visant à former près de 300 conseillers en démographie [11]. Leur rôle : sensibiliser les entreprises et leur permettre de s’adapter à ce phénomène, non pas en leur apportant des solutions préformatées, mais en les aidant à réfléchir aux moyens de valoriser les seniors : système de parrainage, adaptation du temps de travail, valorisation de l’expérience, programmes de formation, accent sur les programmes de remise en forme… De nombreuses sociétés allemandes ont lancé des programmes liés à la gestion des salariés seniors, faisant passer le taux d’emploi de cette population de 37% à 52,5% depuis 2000.

Ceci passe donc par une réflexion globale au sein de l’entreprise. Loin d’être uniquement des « salariés sortants », les seniors peuvent devenir pour les entreprises les plus innovantes des piliers de la fonction RH et de la Gestion Prévisionnelle des Emplois et des Compétences. « En prévoyant le remplacement de nos salariés seniors, nous avons pu aussi mettre en place des systèmes de tutorat au cas par cas qui permettent une passation de pouvoir sans à-coups », explique Renée Husson des laboratoires Boiron. Les seniors ne doivent  plus être considérés comme poids que l’entreprise doit gérer, mais comme des partenaires qui contribuent à sa pérennité.


En collaboration avec Clément Briday et Laurent Fourmy, Sia conseil

 

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