Participatif
ACCÈS PUBLIC
05 / 03 / 2014 | 20 vues
Gérard Brégier / Membre
Articles : 6
Inscrit(e) le 06 / 12 / 2007

Pourquoi le rapport Verkindt passe à côté des CHSCT

Remis le 28 février au ministre du Travail, le rapport de Pierre-Yves Verkindt passe globalement à côté des CHSCT et ne présente que très peu d’intérêt pratique.

« Longtemps discrète, peu discutée et somme toute rarement source de conflits ou de contentieux, l’institution a pris, depuis une quinzaine d’années, une place centrale dans le paysage français de la représentation du personnel ».

Je partage ce constat mais puisqu’en l’état actuel, le CHSCT tient une place centrale dans le paysage de la représentation du personnel, ce n’est pas forcément une mauvaise chose et cela est sans doute signe que ses forces sont plus importantes que ses faiblesses. Dès lors, ceux qui souhaitent réformer le CHSCT veulent-ils renforcer  encore le CHSCT. Ou bien l’affaiblir ?

Institution ou instance

La vision limitative des CHSCT que produit ce rapport, à une proposition près, emboîte le pas des employeurs au détriment de la représentation du personnel. Notons qu’au début Pierre-Yves Verkindt parle avec respect de « l’institution » puis ne parle plus que de « l’instance ». Cette appellation limitative est généralement véhiculée par le patronat.

Nous allons voir que les propositions du professeur de droit à l’école de la Sorbonne n’apportent rien de très nouveau ni de très positif aux CHSCT mais il fait en revanche de sérieuses concessions aux employeurs pour limiter le pouvoir des CHSCT.

Pour le professeur Verkindt, « La question de sa place dans les relations sociales et dans les politiques de santé au travail est cependant apparue suffisamment importante pour que se multiplient de propositions de réforme qui pour l’instant n’ont pas vu le jour et qui, désormais, doivent être replacées dans le contexte plus général des transformations attendues, souhaitées ou redoutées de la représentation du personnel ».

La place importante du CHSCT dans les relations sociales et dans les politiques de santé au travail justifie-t-elle des réformes visant à lui couper les ailes ?

Les propositions du professeur ont l’avantage de ne coûter pratiquement rien aux entreprises. Elles ont l'inconvénient de ne pas apporter grand-chose de positif aux CHSCT, bien au contraire.

D’après moi, une bonne question à se poser est : quels sont les objectifs de ce rapport et des propositions du professeur ?

Le rapporteur ne répond pas clairement à cette question. D’après ce rapport, les principales questions « clivantes » au sujet des CHSCT sont les suivantes.

  • Faut-il maintenir en l’état le mode de désignation des membres du CHSCT ?
  • Faut-il mettre en place des CHSCT (ou toute autre formule) sur une base territoriale de nature à couvrir les entreprises de petite taille ?
  • Faut-il proposer la mise en place d’un CHSCT central dans les entreprises à forme complexe ?
  • Faut-il donner au CHSCT un budget de fonctionnement ?
  • S’agissant de l’expertise, comment lever les incertitudes relatives à la durée de la mission ? Comment assurer un contrôle et une limitation du coût des expertises ?
  • Faut-il maintenir le principe d’un agrément administratif préalable des experts, adopter un contrôle a posteriori ou au contraire « libéraliser » le recours à l’expert sous le contrôle a posteriori des tribunaux ?

Une bonne nouvelle au moins, Pierre-Yves Verkindt est hostile à la limitation du budget de fonctionnement des CHSCT par l’attribution de la gestion d’un budget de fonctionnement pré-déterminé.

Voici la première partie des commentaires sur les 33 propositions contenues dans ce rapport.

PROPOSITION 1 :
Privilégier la branche professionnelle comme niveau pertinent pour l’organisation d’expérimentations sectorielles ou territoriales de formes simplifiées d’institutions représentatives du personnel en y incluant la spécialisation d’élus sur la santé et les conditions du travail. Pallier les éventuelles défaillances de la branche par une intervention réglementaire imposant la création de ces instances à titre subsidiaire.

Derrière cette première proposition mystérieuse et les expérimentations de formes simplifiées d’institutions représentatives du personnel, il y a juste un grand pas vers la vieille revendication patronale : fusionner toutes les institutions représentatives du personnel. Nul besoin d’en dire davantage.

 

PROPOSITION 2 :
Inviter les partenaires sociaux et les entreprises à se saisir plus souvent des opportunités offertes par l’article L 4611-6 du Code du travail pour créer des CHSCT interentreprises.

Cet article prévoit la possibilité pour les entreprises de moins de 50 salariés de se regrouper pour mettre en place un CHSCT interentreprises. Cette proposition prête à sourire lorsque l’on sait que les employeurs militent justement pour l’abaissement des seuils. Le fait syndical n’est pas réellement accepté en France, il est considéré comme une contrainte et un frein à la libre entreprise. Le CHSCT, particulièrement craint des employeurs, n’est pas souhaité et si certaines entreprises restent en dessous de 50 salariés, c’est justement pour éviter CE et CHSCT.

 

PROPOSITION 3 :
Sans qu’il soit nécessaire d’abaisser le seuil d’effectifs de l’institution, doter les délégués du personnel qui exercent les missions du CHSCT dans les établissements occupant de 11 à 49 salariés d’un complément de crédit d’heures de 2 heures.

Mesure sympathique au demeurant, mais complètement inefficace. Ce n’est pas avec deux heures par mois en plus que la pratique des délégués du personnel va changer.

Pour que les délégués du personnel exercent des missions du CHSCT, il faudrait simplement leur donner des moyens spécifiques d’un CHSCT, au choix : le droit de réaliser des enquêtes sur les risques graves qu’ils peuvent constater, le droit de provoquer une réunion (à la demande motivée de deux délégués du personnel), le droit de recourir à l’assistance d’un expert, le droit d’alerte en cas de danger grave et imminent.

 

PROPOSITION 3 alternative :
Dans le cadre d’une négociation globale portant sur la santé au travail, confier à la branche le soin de renforcer les capacités d’action des délégués du personnel lorsque le seuil de 50 salariés n’est pas atteint.

Au niveau des branches professionnelles, les « partenaires » sociaux attendaient justement que cette négociation globale leur soit confiée. On croit rêver !

Les employeurs ne veulent pas étendre mais éteindre le pouvoir des IRP.

 

PROPOSITION 4 :
Autoriser et faciliter la négociation dans les établissements et entreprises d’au moins 50 salariés d’expérimentations tendant à la fusion dans une même instance du CHSCT et des délégués du personnel.

Là en revanche, les patrons vont se réjouir. Si l'on pouvait tout fusionner et ne faire qu’une réunion par an, les relations sociales seraient vraiment fluidifiées et le métier de DRH moins stressant.

 

PROPOSITION 5 :
Favoriser la mise en place d’instances de coordination par voie d’accords collectifs, organiser et capitaliser leur suivi et écarter toute idée d’imposer la mise en place d’un CHSCT central constitué sur le modèle d’un comité central d’entreprise.

Pierre-Yves Verkindt ne prend pas complètement en compte le fait qu’entre « instance de coordination » et « CHSCT central », il peut y avoir et il existe déjà souvent un CHSCT de coordination et ce n’est pas seulement une question du choix d’un mot. La loi prévoit déjà dans les établissements de plus de 500 salariés, en cas de décentralisation du CHSCT en plusieurs CHSCT par secteur d’activité, que le CE prend les mesures nécessaires à la coordination de l'activité des différents comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail.

Cette proposition ne doit donc pas être strictement limitée aux entreprises composées de plusieurs établissements au sens du CHSCT.

 

PROPOSITION 6 :
Mettre en chantier une modification législative du Code du travail sur les obligations réciproques de l’entreprise de travail temporaire et de l’entreprise utilisatrice s’agissant de leurs CHSCT respectifs. Cette modification ne pourra se faire qu’à partir d’un état des lieux établi à l’initiative ou sous le contrôle des acteurs du secteur de l’intérim.

Très bien mais ce n’est pas pour tout de suite.

 

PROPOSITION 7 :
En cas de sous-traitance ou de mise à disposition du personnel sous quelque forme que ce soit, prévoir que les CHSCT de l’entreprise utilisatrice et de l’entreprise contractante (ou les structures en tenant lieu) recevront communication : de leurs ordres du jour respectif et du plan de prévention, l’initiative appartenant à l’entreprise donneur d’ordres

La communication des ordres du jour des éventuels CHSCT, voilà une mesure qui ne coûte pas plus qu’elle n’est utile. La communication du plan de prévention. Voilà une idée novatrice, si le Code du travail ne prévoyait déjà :

"article R4514-2" :

Lorsque l'établissement d'un plan de prévention par écrit est obligatoire, en application de l'article R. 4512-7, ce plan est tenu à la disposition du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail de l'entreprise utilisatrice et de ceux des entreprises extérieures.

Ces comités sont informés de ses mises à jour.
Ce plan et ses mises à jour leur sont communiqués sur leur demande.
Ils reçoivent toutes les informations nécessaires à l'exercice de leurs missions ».
La loi va donc ici plus loin que la proposition !

 

PROPOSITION 8 :
Imposer dans le contrat servant de support à la sous-traitance ou à la mise à disposition une clause organisant l’information réciproque du donneur d’ordre et de l’entreprise exécutante sur les conditions de travail et les risques inhérents à l’activité en cause. Le contenu de cette clause sera communiqué à chaque CHSCT concerné.

Imposer la consultation du CHSCT du donneur d’ordre (en cas de sous-traitance) sur le plan de prévention ainsi que la consultation des CHSCT du donneur d’ordre et de l’entreprise intervenante sur la coordination du plan de prévention, du document d’évaluation des risques et du programme annuel ou pluriannuel de prévention. Les avis de chaque CHSCT sont communiqués à l’autre à l’initiative du secrétaire du CHSCT.

La première partie de cette proposition fait déjà partie du Code du travail. La deuxième partie de la proposition manque de réalisme. Elle est impossible à réaliser. Organiser une consultation du CHSCT de l’entreprise utilisatrice sur chaque plan de prévention ! Pierre-Yves Verkindt n’a certainement aucune idée du nombre de plans de prévention réalisés mensuellement dans une grande entreprise. C’est certainement une galéjade pour voir si nous suivions l’exposé.

 

PROPOSITION 9 :
Aligner la durée du mandat des élus du CHSCT sur celui des élus du comité d’entreprise ou des délégués du personnel, soit quatre ans pour tous. Toutefois, si une durée moindre est fixée par accord collectif, cette durée est automatiquement applicable aux élus CHSCT.

Voilà une mesure qui n’apporte rien au CHSCT, au contraire.

Une durée trop longue, si elle n’est pas revalidée, rend plus suspecte la réelle représentativité de l’individu élu. S’engager dans un CHSCT pour deux ans mérite déjà le respect de tous. Bien sûr, le mandat étant renouvelable et le fonctionnement du CHSCT étant complexe, il est intéressant que les membres de la délégation du personnel au CHSCT fassent plusieurs mandats consécutifs ou non. Mais demander d’emblée un engagement pour 4 années, c’est pousser le bouchon un peu loin et cela ne garantit rien, sinon d’avoir plus de démissions au cours du mandat et plus de peine à trouver des candidats. Les entreprises voient avec peine l’avenir à plus de six mois, les représentants du personnel, eux, doivent s’engager pour 4 ans.

 

PROPOSITION 10 :
Abandonner le collège désignatif et recourir à l’élection directe pour la désignation des membres élus du CHSCT. En cas de fusion entre IRP, appliquer cette même règle à tous les membres de la nouvelle instance afin de garantir leur égale légitimité.

Voilà une mesure qui affaiblit gratuitement les CHSCT.

En effet, des représentants du personnel, élus par des grands électeurs lors d’une élection au deuxième degré ; ne sont pas moins légitimes que des représentants du personnel élus directement par les salariés eux-mêmes. Les sénateurs seraient-ils moins légitimes, aux yeux du professeur de la Sorbonne que les députés ?

Les membres des CHSCT actuels ont une confiance au carré, ils ont la confiance de salariés qui sont élus donc qui ont eux-mêmes obtenu la confiance des salariés qui les ont choisis. Les membres des CHSCT actuels ont donc la confiance de personnes déjà impliquées dans le fonctionnement de l’entreprise et qui sont au carrefour de l’information. Ce n’est donc pas une élection au rabais.

Pour le reste, les CHSCT rendent déjà compte, de leur mieux et avec leurs moyens actuels, de leurs actions aux salariés dont, depuis 1982, ils sont bien évidemment les représentants. La façon dont ils sont désignés n’aura aucune influence positive sur ce fait.

Élections piège à con(currence)

L’élection directe des membres des CHSCT par les salariés, aurait au contraire pour conséquence, si ce n’est pas son but, de propager la concurrence et la division syndicale dans une institution qui, jusqu’alors, en était un peu abritée. L’abandon du collège désignatif prive aussi les élus du CE et les délégués du personnel d’une responsabilité originale et très intéressante pour le bon fonctionnement du CHSCT.

À vrai dire, cette mesure constitue un pas de plus vers l’institution représentative du personnel unique dont rêvent les employeurs. S’ils pouvaient, comme en 1941, choisir eux-mêmes les délégués du personnel : champagne !

 

[À suivre : les commentaires des propositions 11 à 20 jeudi 6 mars]

Pas encore de commentaires