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Les mérites et les défauts du plan Bayrou de redressement des comptes publics
Le Premier ministre a présenté ces dernières semaines un plan de redressement des comptes publics comportant de nombreuses mesures dont les contours sont flous et le rendement budgétaire incertain. Avant de se prononcer sur ses mérites et ses défauts, il faut en préciser, autant que possible compte-tenu de ces incertitudes, les enjeux pour les finances publiques.
L’effort budgétaire prévu pour 2026
Le gouvernement met en avant un effort de 44 Md€ en 2026 comprenant 30 Md€ d’économies sur les dépenses publiques, mais celles-ci sont mesurées en faisant la différence entre des dépenses « tendancielles » ou « à politique inchangée » dont personne ne connait le mode de calcul hors du ministère des Finances et les dépenses budgétées.
Les organisations internationales et le Haut Conseil des finances publiques ne constatent des économies que si la croissance des dépenses publiques est inférieure à la croissance « normale » ou « potentielle » du PIB. A cette aune, les économies affichées s’élèvent à environ 16 Md€, soit 0,5 % du PIB. Les dépenses militaires, les intérêts de la dette et les versements à l’Union européenne devant augmenter de 16 Md€ au total en 2026, les économies sur les autres dépenses devraient être de 32 Md€.
Les mesures fiscales annoncées (gel des barèmes de l’impôt sur le revenu et de la CSG sur les retraites, lutte contre la fraude et l’optimisation fiscales, réduction des dépenses fiscales et taxation des plus riches) pourraient avoir un rendement total d’environ 15 Md€ en 2026, mais la disparition des mesures temporaires de 2025 (majoration de l’impôt sur les sociétés et contribution des hauts revenus) réduira les recettes d’environ 10 Md€. La hausse nette des prélèvements obligatoires serait donc d’environ 5 Md€ ou 0,2 % du PIB.
L’augmentation de 1,0 % de la durée annuelle du travail (deux jours fériés) permettrait d’accroître la production et d’augmenter les recettes publiques de 4 Md€ (0,1 % du PIB).
Au total, l’effort structurel de redressement des comptes publics est de l’ordre de 25 Md€ soit 0,8 % du PIB (16 Md€ d’économies, 5 Md€ de hausse des prélèvements obligatoires et 4 Md€ de recettes induites par l’augmentation de la durée du travail). Il faut souligner que ce chiffrage repose sur les annonces du gouvernement et notamment, s’agissant de « l’année blanche », sur son hypothèse d’inflation.
En décembre 2024, avec Olivier Blanchard, nous avons publié une tribune dans Le Point dans laquelle nous estimions à 120 Md€ (4,0 % du PIB) l’effort nécessaire pour stabiliser la dette publique en pourcentage du PIB (150 Md€ hors défense et environnement si on considère que les dépenses militaires et environnementales doivent augmenter de 30 Md€).
L’effort associé aux lois financières pour 2025 étant déjà de 25 Md€, le cumul des efforts de redressement des comptes sur 2025-2026 est de 50 Md€, soit 1,7 % du PIB. C’est à la fois beaucoup, un tel effort sur deux années successives en France étant inédit, et peu car moins de la moitié de l’effort total nécessaire, mais celui-ci doit être étalé sur plus de deux ans.
Les mérites et les défauts du plan
Sur ces 50 Md€ d’efforts pour 2025-2026, environ 30 Md€ correspondent à des mesures de hausse des prélèvements obligatoires. L’effort nécessaire pour seulement stabiliser la dette est tellement important qu’une augmentation du taux des prélèvements obligatoires est inévitable dans le contexte politique et social français. Elle ne doit cependant pas alourdir significativement les prélèvements opérés sur les entreprises pour ne pas dégrader encore plus leur compétitivité alors que nos échanges extérieurs de biens et services sont structurellement déficitaires. Elle doit donc surtout porter sur les ménages en fonction de leurs capacités contributives.
Les mesures fiscales inscrites dans le plan Bayrou, et donc leurs effets redistributifs, sont encore floues et néanmoins discutables, notamment sur le plan de l’équité, mais l’ordre de grandeur de leur rendement total est raisonnable. Il ne laisse toutefois plus beaucoup de marges pour de nouvelles hausses des prélèvements obligatoires après 2026. Les efforts de redressement des comptes publics encore nécessaires devront vraiment porter essentiellement sur les dépenses publiques.
S’agissant des économies, l’absence de réformes structurelles et l’usage excessif du « rabot budgétaire » dans le plan Bayrou sont souvent critiqués.
Il faut d’abord rappeler qu’une réforme structurelle essentielle, car elle permet à la fois de réduire le déficit public et de relever la production potentielle à moyen terme, est en cours et maintenue malgré une très forte opposition : le recul de l’âge de départ en retraite. En outre, l’indemnisation du chômage a déjà fait l’objet de réformes importantes et le Premier ministre en a annoncé de nouvelles, en renvoyant certes leur contenu aux partenaires sociaux.
Il a également proposé une augmentation de 1 % de la durée annuelle du travail. C’est peu au regard de sa diminution de 10 % au tournant des années 2000 et ses modalités sont discutables, mais c’est courageux au regard des réactions à cette annonce et c’est une évolution souhaitable.
S’agissant des pensions versées au retraités actuels, qui constituent le quart des dépenses publiques, il n’y a pas de technique efficace pour les réduire autre que le rabot consistant à les revaloriser moins que l’inflation.
Les collectivités locales, qui engagent presque 20 % des dépenses publiques, doivent et peuvent contribuer aux économies, mais elles sont autonomes et l’Etat peut seulement les y inciter en maniant un rabot consistant à réduire les subventions qu’il leur attribue et les impôts qu’il leur affecte. Le Plan Bayrou inclut ainsi une réduction de 5 Md€ de leurs ressources, ce qui est raisonnable mais n’entrainera pas nécessairement autant d’économies car elles peuvent aussi relever le taux des taxes foncières ou s’endetter.
La bonne méthode pour réaliser des économies consiste, en théorie, à évaluer les dépenses publiques et à réduire celles dont l’utilité est insuffisante au regard des impôts nécessaires pour les financer. Les données disponibles pour réaliser ces évaluations sont toutefois souvent insuffisantes et leurs conclusions sont rarement assez claires pour déboucher sur des économies consensuelles. A défaut et dans l’urgence, le rabot consistant à réduire légèrement le budget alloué à des services administratifs permet de mettre la pression sur leurs gestionnaires, souvent les mieux placés pour savoir où faire des économies.
Cette méthode ne pourra certes pas suffire pour dégager les 70 Md€ d’économies qui restent nécessaires et des réformes beaucoup plus profondes devront être mises en œuvre. Les personnalités politiques opposées au plan Bayrou à cause de son manque d’ambition pourront soumettre leurs propositions aux électeurs en 2027 : le redressement de nos comptes publics sera loin d’être terminé.
D’autres, au contraire, critiquent ce plan en raison des effets négatifs de la réduction du déficit public sur l’activité économique, l’emploi et le pouvoir d’achat. Une diminution du déficit a certes toujours un impact négatif de cette nature, mais c’est un effet de court terme qui s’atténue, voire disparait, avec le temps. Cet argument keynésien a trop souvent été employé par les économistes français pour renvoyer la réduction du déficit public à plus tard.
L’urgence aujourd’hui est de reprendre le contrôle de la dette publique en la stabilisant. Il y a certes un prix immédiat à payer, économique et social, mais ce prix pourrait être bien plus élevé si nous la laissons filer et si le taux d’intérêt auquel emprunte l’Etat augmente sensiblement.
Le plan proposé par le Premier ministre pour 2026 est la deuxième étape, après les lois financières de 2025, de la conquête de cet Himalaya budgétaire. Il doit être précisé, débattu et amendé mais le montant total de l’effort (25 Md€ avec le mode de calcul indiqué ci-dessus) doit être maintenu.
Si j’étais député et alors même que je ne suis pas d’accord avec toutes les mesures proposées, je voterais pour ce plan.
* tribune que publiée le 24 juillet 2025 dans Le Point