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Le « reste à charge » (RAC) des ménages après AMO: les dispositifs actuels visant à l’atténuer sont en effet insuffisants et trop complexes.
Le gouvernement vient de décider d’augmenter par décret les franchises sur le remboursement de certains biens et services médicaux. Cette note montre qu’il faudrait d’abord réformer profondément les modalités de remboursement de l’ensemble des dépenses de santé. Les chiffres cités sont, sauf mention contraire, tirés d’un rapport de 2022 du Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie (HCAAM).
La part des dépenses de santé qui est payée directement par les ménages est en France la plus faible de l’Union européenne et il faudrait l’augmenter pour réduire le déficit de l’assurance maladie, mais le reste à charge des ménages modestes serait excessif. Les dispositifs actuels visant à l’atténuer sont en effet insuffisants et trop complexes.
Presque tous les ménages sont certes couverts par des assurances maladie complémentaires (surtout des mutuelles) et la part de celles-ci dans le financement de la santé est particulièrement élevée en France au regard des autres pays européens. Les assurances maladie complémentaires existent cependant seulement parce que la sécurité sociale ne permet pas à chacun d’être soigné en fonction de ses besoins. Leurs coûts de gestion sont très élevés pour une faible valeur ajoutée. Leurs primes sont d’autant plus importantes en pourcentage du revenu des ménages que ce revenu est faible. Les restes à charge après remboursement des assurances obligatoire et complémentaires sont beaucoup plus importants pour les ménages pauvres, en pourcentage de leur revenu, ce qui est un facteur d’inégalité et de renoncement aux soins.
Il faudrait mettre en place un « bouclier sanitaire » garantissant à chaque ménage que son reste à charge de l’année ne dépassera pas un pourcentage raisonnable de son revenu annuel, ce qui ne pose pas de problèmes techniques majeurs. Les ménages modestes étant ainsi protégés, il serait alors souhaitable d’augmenter les tickets modérateurs et franchises pour réduire la part de la sécurité sociale dans le financement de la santé. Le pourcentage du revenu qui déclenche le bouclier pourrait également être augmenté dans le même but. Le Parlement déterminerait ainsi le montant maximal que chaque Français affecterait à ses dépenses de santé en fonction de ses moyens. Ce bouclier rendrait bien moins utile la souscription d’une assurance complémentaire.
Au total, la part de la sécurité sociale dans le financement de la santé pourrait diminuer, celle des assurances complémentaires baisserait et celle des ménages augmenterait en contrepartie, mais ils seraient protégés par le bouclier contre des restes à charge excessifs.
Les défauts du système actuel
La consommation de biens et services médicaux figurant dans les comptes nationaux de la santé s’est élevée à 236 Md€ en 2022 et a été financée à hauteur de 80 % par l’assurance maladie obligatoire (AMO) et l’Etat (complémentaire santé solidaire), de 13 % par les assurances maladie complémentaires (AMC) et de 7 % directement par les ménages.
1) L’assurance maladie obligatoire
L’AMO a toujours laissé une partie des dépenses de santé à la charge des ménages pour les dissuader de recourir à des soins inutiles et pour réduire ses remboursements. Aux « tickets modérateurs », instaurés dès 1930 et exprimés en pourcentage du montant de la dépense, se sont notamment ajoutés un « forfait » hospitalier en euros par jour en 1983 et des « franchises » en euros par consultation ou par boîte de médicaments en 2008.
Cependant, le « reste à charge » (RAC) des ménages après AMO, qui comprend les tickets modérateurs, forfaits et franchises ainsi que les dépassements des tarifs fixés par la sécurité sociale, peut être très élevé, en euros ou en pourcentage du revenu des ménages (celui du 1 % des patients dont le RAC après AMO est le plus élevé s’élève en moyenne à 5 400 € sur un an). Il peut donc conduire les plus modestes à renoncer à des soins essentiels.
Des dispositifs d’exonération ou de plafonnement des tickets modérateurs, forfaits et franchises existent depuis très longtemps pour résoudre ce problème. Le plus important est le régime dit des « affections de longue durée » (ALD), créé en 1945, qui permet un remboursement de 100 % du coût des soins nécessités par une trentaine de « maladies longues et coûteuses ». Il bénéficie à 17 % de la population et coûte plus de 13 Md€ par an (surcoût par rapport au remboursement au taux normal).
Ces dispositifs sont incohérents, des personnes dans des situations équivalentes pouvant être remboursées différemment, selon que leur pathologie est ou non sur la liste des ALD. Ils sont très complexes, les forfaits et franchises faisant, par exemple, l’objet d’exonérations et d’un plafonnement en euros. Surtout, le remboursement à 100 % dans le cadre d’une ALD s’applique seulement aux soins liés à cette affection, ce qui oblige les médecins à distinguer le traitement des autres pathologies dont souffrent une personne ayant une ALD. Les médecins de la sécurité sociale doivent vérifier que cette distinction est correctement faite, ce qui occupe une grande partie des moyens des services de contrôle médical des caisses avec pour résultat une dégradation de leurs relations avec les médecins, la frontière entre l’ALD et les autres affections étant souvent artificielle et contestable.
Les affections connexes à une ALD sont souvent nombreuses et importantes (30 % des dépenses des personnes concernées), si bien que le reste à charge est parfois très élevé malgré le remboursement à 100 % du traitement de l’affection principale (7 100 € en moyenne pour le 1 % de patients en ALD dont le RAC est le plus élevé).
2) Les assurances maladie complémentaires
Les AMC, qui sont surtout des mutuelles, complètent presque systématiquement les remboursements de l’AMO et ne font souvent que les compléter sans valeur ajoutée particulière (hors prise en charge des dépassements tarifaires). Si elles avaient une politique autonome vis-à-vis des professionnels de santé, celle-ci pourrait d’ailleurs être contradictoire avec celle de l’AMO. Leur intervention est un facteur de complexité puisque les ménages et les professionnels doivent avoir des relations avec deux assureurs pour chaque soin. La généralisation du tiers payant a d’ailleurs posé des difficultés pour les professionnels de santé surtout en raison de la nécessité de se faire payer par des dizaines d’AMC différentes.
L’existence des AMC est justifiée par le risque pour les ménages de supporter un reste à charge après AMO très élevé et éventuellement incompatible avec leurs ressources. Elles n’existent que parce que la sécurité sociale ne permet pas à chacun d’être soigné en fonction de ses besoins, contrairement aux objectifs affichés depuis sa création.
Or l’intervention des AMC est coûteuse pour les ménages ou leurs employeurs, qui les financent par leurs primes, car elle se traduit par une duplication des frais de gestion de l’assurance maladie. Les coûts de gestion des AMC (7,8 Md€ en 2022) sont même supérieurs à ceux de l’AMO (6,7 Md€) selon les comptes de la santé. Ils sont constitués pour 22 % de « frais de gestion des sinistres », pour 41 % de « frais d’acquisition » et pour 38 % de « frais d’administration et autres charges techniques ». Les « frais d’acquisition » sont engagés « pour attirer de nouveaux clients (fais de réseaux, publicité, ouverture de dossiers…) ».
Les gouvernements successifs et les partenaires sociaux ont pourtant progressivement étendu le champ d’intervention des AMC au cours du temps. L’accord national interprofessionnel de 2013 a ainsi rendu obligatoire l’affiliation à une AMC pour tous les salariés du secteur privé. La loi de financement de la sécurité sociale pour 2019 a créé un « panier 100 % santé » d’équipements et de soins en optique, aides auditives et prothèses dentaires dont les tarifs sont réglementés et pour lesquels le cumul des remboursements de l’AMO et des AMC doit atteindre 100 % de ces tarifs, le coût de ce dispositif étant partagé entre AMO et AMC.
Dans deux pays européens, les Pays-Bas et la Suisse, le financement public des dépenses de santé est très faible et les assurances privées ont un rôle prépondérant mais elles sont très fortement réglementées. Dans les autres pays, à l’exception de l’Irlande et de la Slovénie, la part des assurances privées est bien plus faible qu’en France (12,6 % en 2022) selon le rapport sur les comptes de la santé : 9,1 % en Allemagne ; 4,3 % au Royaume-Uni ; 2,6 % en Italie ; 7,4 % en Espagne ; 4,5 % en Belgique ; 1,0 % en Suède.
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- Protection sociale parrainé par MNH