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16 / 12 / 2022 | 70 vues
Jérémy Girard / Membre
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Entreprendre par conviction, le pari gagnant-gagnant

Pionniers de l’entreprise à mission, investisseurs à impact, promoteurs de la transition énergétique ou de l’économie circulaire… Il existe des entrepreneurs engagés pour qui l’éthique et l’économie positive ne sont pas des mots creux, mais se traduisent en réalisations concrètes.

 

Aujourd’hui, l’intégration de critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) devient la nouvelle norme et l’investissement socialement responsable (ISR) se développe. Même si la recherche de profit reste l’objectif des entreprises, et la rentabilité des capitaux, celui des investisseurs, la conviction progresse qu’ils peuvent tous deux y parvenir avec un impact positif pour la société et pour la planète. Le monde économique peut contribuer de façon durable au bien commun s’il réussit à introduire l’éthique dans la théorie et dans la pratique.

 

Après la crise financière de 2008, des chercheurs de l’École des Mines ont ainsi théorisé la « société à objet social étendu », et depuis la loi Pacte de 2019, les « entreprises à mission » apparaissent comme le nouveau modèle des entreprises du XXIe siècle. Un modèle qui s’appuie sur la conviction que l’entreprise ne peut pas se limiter à être une boîte à partager le profit, mais qu’elle doit aussi jouer un rôle utile pour la société. En septembre 2022, 731 entreprises avaient adopté ce statut, de grandes entreprises comme Danone ou La Poste, mais aussi de nombreuses PME et micro-entreprises.

 

Camif, pionnier des entreprises à mission

 

La Camif est un pionnier dans ce domaine. La société spécialisée dans la vente en ligne de meubles et de linge de maison a en effet inscrit dès 2017 sa « raison d’être » dans ses statuts. Une mission sociétale qui tient en deux phrases : « proposer des produits et des services dans la maison au bénéfice de l’homme et de la planète » et « mobiliser tout notre écosystème pour imaginer des nouveaux modèles de consommation, de production et d’organisation ». Un choix avant-gardiste qui doit beaucoup à l’engagement personnel de son PDG, Emery Jacquillat, qui préside également la Communauté des entreprises à mission.

 

Cet entrepreneur a repris la Camif en 2009 alors qu’elle était en faillite, puis l’a redressée avec un projet social et environnemental, en misant sur la qualité, la production locale et la consommation responsable. Aujourd’hui, l’entreprise réalise 100 % de son chiffre d’affaires avec des produits fabriqués en Europe et 77 % avec du made in France… De plus, 85% de ses produits sont éco-conçus.

 

« L’entreprise est probablement le plus puissant levier de transformation de la société que nous ayons à disposition, explique Emery JacquillatNous voulions apporter la preuve qu’on pouvait réinventer un modèle très différent de celui de la grande distribution et créer de la valeur tout en répondant à des enjeux sociaux ou environnementaux ». Pari gagné : aujourd’hui, la Camif affiche un chiffre d’affaires en forte hausse de 50 M€, une rentabilité retrouvée et une base de clientèle rajeunie et fidélisée.

 

Cette vision implique parfois des sacrifices, comme tirer un trait sur 5 % de son chiffre d’affaires en arrêtant en 2021 le référencement de mobilier de jardin et d’électroménager venant d’Asie. Mais selon Emery Jacquillat, « le renoncement d’aujourd’hui, c’est le profit de demain ». Car en termes d’empreinte carbone, il n’y a pas photo : entre un canapé fabriqué en France et un canapé fabriqué en Chine, c’est huit fois moins d’émissions de CO2. « Relocaliser, c’est diminuer l’impact carbone de notre consommation… Les entreprises les plus profitables sont celles qui auront prouvé leur utilité. Il n’y aura pas de retour en arrière sur la consommation responsable », estime Emery Jacquillat.

 

Kouros : investir pour la transition énergétique

 

L’impulsion en matière de développement durable vient aussi des investisseurs. Le jeune fonds Kouros, par exemple, se positionne comme un pure player des projets énergétiques d’avenir, et en particulier de la mobilité hydrogène. La société d’investissement souhaite « apporter son énergie et son savoir-faire pour imaginer et déployer largement des solutions plus respectueuses de l’homme et de la nature », explique Alexandre Garese, son fondateur. Celui-ci est convaincu que « si la majorité des investisseurs mondiaux faisaient le même pari, la transition énergétique serait effective en moins d’une décennie ». « Les critères ESG sont devenus structurants dans les stratégies d’investissement. C’est une excellente chose, car nous avons besoin d’un maximum d’outils, à tous les niveaux, pour enclencher la grande migration de capitaux vers un nouveau système énergétique décarboné ».

 

Le fonds se concentre aujourd’hui sur la mobilité lourde et sur l’hydrogène. Un domaine dans lequel il a développé une réelle expertise, avec six investissements et deux nouvelles sociétés créées depuis quatre ans. Kouros a lancé en particulier Hyliko, premier service de décarbonation des flottes de poids lourds. La société propose aux transporteurs une offre intégrée comprenant leasing, entretien des camions et fourniture d’hydrogène produit à partir de biomasse avec une empreinte carbone négative. Une offre unique qui permet d’accélérer l’adoption de l’hydrogène pour les camions. Avec des centaines de véhicules pré-réservés, Hyliko s’est ainsi hissé en moins d’un an parmi les principaux acteurs du camion hydrogène en Europe.

 

« Le développement durable est le plus sûr moyen de rendre pérenne la création de valeur et s’est imposé de façon décisive dans la rationalité économique, estime Alexandre Garese. Ceux qui réfutent depuis des années les arguments philosophiques, éthiques et politiques en faveur de la transition énergétique sont aujourd’hui confrontés à la réalité scientifique, qui se traduit en impératifs économiques. On peut être sensible ou indifférent à l’écologie, mais le verdict de l’économie est clair : le risque n’est plus du côté du développement durable, mais du côté de toute forme de prédation qui détruit les fondements même de la création de valeur ». D’autant que les exigences de rendement ne sont pas incompatibles avec l’investissement responsable, si l’on réintroduit le temps long, en intégrant au calcul d’un rendement la variable de sa pérennité.

 

Phenix, en pointe contre le gaspillage alimentaire

 

Cet engagement sociétal des entrepreneurs est également illustré par le foisonnement de start-up orientées vers des projets sociaux ou environnementaux. C’est le cas notamment dans la lutte contre le gaspillage alimentaire, qui représente chaque année 10 millions de tonnes de nourriture perdues. En France, les conséquences sont lourdes pour l’environnement (3 % des émissions de gaz à effet de serre), l’économie (entre 12 et 20 milliards d’euros par an), et la société (une personne sur dix a du mal à se nourrir). Des entrepreneurs ont compris qu’il était possible de créer un modèle économique gagnant en agissant pour une consommation plus responsable.

 

Parmi celles-ci, figure Phenix, une start-up cofondée en 2014 et présidée par Jean Moreau. Après quelques années dans une banque d’affaires, celui-ci a fait le choix de l’entrepreneuriat social. « Il s’agit de faire prendre conscience de l’ampleur du gaspillage alimentaire dans le débat public et d’imposer Phenix comme un acteur de premier plan pour traiter cette problématique majeure », explique-t-il. Jean Moreau porte également le message de la Tech for good, un modèle d’entreprise qui fait exister l’économie sociale et solidaire (ESS) au sein de l’écosystème start-up. « Pour montrer qu’il y a d’autres voies possibles, qui vont dans le sens de l’histoire et en direction des attentes des jeunes générations ». Phenix accompagne les distributeurs, les industriels et les traiteurs dans la gestion de leurs invendus, et organise la collecte avec les associations caritatives pour les dons. Elle accompagne aussi les entreprises dans la valorisation en alimentation animale, compost ou méthanisation, lorsque le don n’est plus possible.

 

En 2022, cette jeune pousse de l’économie circulaire table sur un chiffre d’affaires de 15 à 20 M€ et vise la rentabilité à l’horizon 2023. Elle revendique avoir « sauvé » quelque 200 millions de produits de la poubelle depuis sa création. « C’est déjà très gratifiant de bâtir une entreprise, de créer 200 emplois et de réunir une super-équipe avec des valeurs qui vous correspondent, souligne Jean Moreau. Mais c’est encore plus gratifiant lorsque l’impact de cette entreprise est positif, quand on a la fierté de sauver des millions de repas chaque mois… Aujourd’hui, ce supplément d’âme fait une grosse différence et permet d’attirer et de retenir les meilleurs talents ».

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