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04 / 02 / 2014 | 5 vues
Ghislaine Peneaut / Membre
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Réformer l’épargne salariale

Syndex apporte sa contribution au débat sur l’épargne salariale alors que le Parlement s’interroge sur une éventuelle réforme.

Ce point de vue est nourri des nombreux travaux des experts de Syndex sur l’intéressement et la participation à la demande des élus de comités d’entreprise : examen des rapports sur la participation remis au CE, étude du mode de calcul de la réserve spéciale de participation, de la gestion et de l’utilisation des fonds, vérification des calculs et de l’application des accords, assistance à la négociation d’accords d’intéressement.

Les trois volets de cette réforme, esquissés en début d’année par le gouvernement, porteraient sur la simplification des dispositifs, l’élargissement des bénéficiaires et l’orientation vers le financement de l’investissement productif. Le second volet vise l’élargissement aux salariés des très petites entreprises (TPE) ou petites et moyennes entreprises (PME), dont la majorité ne bénéficie d’aucun dispositif d’épargne salariale. Le troisième s’inscrirait dans la même logique que le plan d’épargne en actions (PEA-PME) instauré dans le cadre de la loi de finances 2014, en promouvant le drainage de l’épargne salariale vers d’autres supports que ceux majoritairement choisis à l’heure actuelle, les organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM) ou les titres de grandes entreprises cotées. Le besoin est également criant en ce qui concerne le volet simplification.

Un « empilement » historique

Ces dispositifs ont été mise en place il y a plus de 50 ans : en 1959 pour l’intéressement et en 1967 pour la participation et les plans d’épargne entreprise (PEE). Par la suite, les fondations « gaullistes » ont été régulièrement modifiées, notamment par les ordonnances Séguin en 1986 puis à deux reprises en 1990 et 1994. Depuis 2000, le rythme s’est considérablement accéléré. Benoît Hamon, Ministre délégué en charge de l'Économie sociale et solidaire et de la Consommation, soulignait au cours des débats au Parlement « qu'il y a eu dix lois depuis 2001 », regrettant « un empilement considérable de règles nouvelles ». La dernière décennie a notamment vu la création du plan partenarial d’épargne salariale volontaire (PPESV), des plans d’épargne interentreprises (PEI) en 2001, du plan d’épargne pour la retraite collectif (PERCO) en 2003, la création du supplément de participation et d’intéressement, et la possibilité de percevoir la participation sans blocage quinquennal en 2008, rapprochant par là même les deux systèmes de partage. Sans compter l’instauration du forfait social en 2009, progressivement augmenté de 2 jusqu’à 20 % actuellement.

Or, les objectifs dynamisés par les législateurs successifs apparaissent parfois contradictoires : meilleur partage de la valeur ajoutée au profit des salariés, élément de flexibilité salariale, développement de l’actionnariat salarié, incitation à la performance, enrichissement du dialogue social, constitution d’un complément d’épargne retraite, alternative à une relance de type keynésien dont la dernière en date, autorisant le déblocage anticipé de juillet à décembre 2013, n’a rencontré qu’un écho très limité... Si bien qu’aujourd’hui l’épargne salariale apparaît comme un mille-feuilles rendu indigeste par ses incohérences et sa complexité.

Revoir la formule de calcul

  • Plusieurs tentatives de réformes, notamment en 2008, n’ont finalement modifié les dispositifs qu’à la marge. Mais aucune ne s’est attaquée à la formule de calcul de la participation dont l’obsolescence est patente.


Cette formule, assez simple sur un plan arithmétique, s’avère rapidement complexe en prenant en compte le bénéfice fiscal, une rémunération des actionnaires évaluée à 5 %, et la part des salaires bruts versés aux salariés dans la valeur ajoutée dégagée par l’entreprise. La formule date de 1967. Depuis, la fiscalité, l’organisation des entreprises et l’environnement économique et financier ont totalement changé et se sont compliqués.

Beaucoup d’entreprises sont des filiales de groupe et leur bénéfice fiscal est « optimisé » par la mise en place d’organisations internationales complexes, d’un pilotage des résultats par les prix de transfert, la création de centres de services partagés, de société civile immobilière, de groupement d’intérêts économiques…
Effort des salariés et performances de l’entreprise

L’assiette de la participation, en l’occurrence le bénéfice fiscal, a profité de l’imagination de nos gouvernants depuis 1967 : lois fiscales contradictoires, régimes spécifiques (mère-fille par exemple), plafonnement de la déductibilité des frais financiers ou d’autres charges, intégration fiscale, taxation de certaines plus-values à des taux d’imposition différents, variation des règles de report des déficits, imputation puis exclusion des crédits d’impôt [1].

  • Dans beaucoup de sociétés, le bénéfice fiscal ne traduit plus les performances de l’entreprise et ne correspond donc plus aux efforts déployés par les salariés.

En outre, de plus en plus, les directions des ressources humaines négocient avec les partenaires sociaux un paquet « intéressement plus participation » plafonné en fonction d’un pourcentage de la masse salariale, ce qui limite d’autant l’efficacité de l’intéressement et/ou l’intérêt de la participation. Les représentants des salariés au sein du comité d’entreprise, à qui l’entreprise doit présenter chaque année un rapport sur le calcul de la participation, ont des difficultés à s’y retrouver. Quant à l’intéressement, il s’avère régulièrement redondant avec la participation en prenant principalement en compte des agrégats financiers : résultat d’exploitation, résultat opérationnel, résultat courant...

 

Fusionner participation et intéressement

Il serait donc opportun de simplifier les dispositifs de calcul d’épargne salariale en fusionnant les mécanismes de participation et d’intéressement. Les partenaires sociaux auraient obligation, dans toutes les entreprises, de négocier un accord d’épargne salariale appuyé sur une formule comprenant obligatoirement un premier agrégat calculé à partir d’un pourcentage du résultat d’exploitation, plus deux ou trois indicateurs non financiers permettant de mesurer les performances des salariés sur le plan de l’activité mais aussi de la responsabilité sociale et environnementale. Le tout en lien avec la stratégie de l’entreprise.

Négocier en confiance

La négociation entre partenaires sociaux, simplifiée, pourrait porter sur le pourcentage de résultat d’exploitation à prendre en compte et sur les autres indicateurs non financiers. Ces accords, comme les accords d’intéressement actuels, seraient négociés pour trois ans. Par sécurité, le législateur pourrait prévoir le taux minimum de résultat d’exploitation à verser aux salariés.

  • La législation permettant au comité d’entreprise de nommer un expert-comptable pour l’assister dans la compréhension du rapport annuel sur la participation devrait perdurer et s’appliquer au nouveau dispositif. C’est un élément de sécurisation indispensable à la confiance des salariés et de leurs représentants dans le dispositif et son application.

Alors que le financement des retraites soulève des difficultés, il serait également intéressant de rendre obligatoire la mise en place d’un PERCO dans tous les plans d’épargne salariale, ainsi que son alimentation. Le législateur pourrait fixer le pourcentage de la somme annuelle que le salarié doit verser au PERCO et celui de l’abondement versé par l’entreprise.

Réorienter l’épargne salariale

L’épargne salariale doit aussi être réorientée, en partie, vers le financement des TPE/PME au travers de supports intégrés dans les PEE et les PERCO. De tels supports pourraient être mis en place avec l’aide de la BPI (Banque publique d’investissement), avec une labellisation comme ce qui existe avec le CIES (Comité intersyndical de l'épargne salariale).

L’augmentation importante du forfait social porté à 20 % a poussé certaines sociétés à dénoncer et renégocier leurs accords d’intéressement ou de participation dérogatoire, au détriment des salariés. Ce taux est très proche du taux total de prélèvement des cotisations salariales, alors que le salarié ne profite d’aucun revenu différé supplémentaire lié à ce prélèvement (maladie, chômage, retraite). À cela, il faut ajouter les multiples réformes d’imposition des plus-values mobilières (hausse des prélèvements sociaux désormais à 15 %) qui touchent aussi les PEE.

  • Dans le cadre de la remise à plat de la fiscalité promise par le Premier Ministre, le taux du forfait social sur l’épargne salariale devrait être revu. Puisque l’économie française a besoin de financement à long terme, on pourrait moduler le taux de ce forfait social en fonction de la durée d’immobilisation des fonds : 20 % sur un versement immédiat et un taux plus faible sur les sommes qui seront investis et bloquées dans les PEE et PERCO.

Si la négociation d’une nouvelle formule de calcul de l’épargne salariale est rendue obligatoire pour les entreprises de plus de dix salariés, il faudra développer les plans d’épargne inter-entreprises (PEI et PERCOI) qui ont jusqu’à maintenant rencontré peu de succès. Il faut donc réfléchir à une sécurisation des PEI /PERCOI qui pourrait passer par un adossement à des organismes comme la BPI ou la CDC (Caisse des Dépôts et Consignations).

Il semble donc que le moment est venu d’entamer une réforme de l’épargne salariale qui vise la simplification des calculs et orienter davantage les sommes versées vers le financement à long terme de l’économie et des retraites.

Auteurs : Jean-Pierre Laporte, Fabien Poujol, Frédérick Renault,
experts Syndex, spécialistes de l’épargne salariale.

[1] La règle d’imputation des crédits d’impôts (conformément à une doctrine administrative constante) a été annulée par le Conseil d’État en 2013 puis réintroduite à travers un article de la loi de finances 2014 qui a été censuré par le Conseil Constitutionnel.
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