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07 / 10 / 2013 | 3 vues
Nicolas Fourmont / Membre
Articles : 11
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Les cadres fragilisés, les oubliés de la formation ?

Dans la droite ligne de l’ANI du 11 janvier 2013, le gouvernement a invité les partenaires sociaux à négocier sur le thème de la formation professionnelle continue. Dans un document d’orientation transmis aux négociateurs et rendu public le 8 juillet [1], le message du gouvernement ne varie pas depuis un an : la priorité nationale est de mettre des moyens financiers sur les chômeurs et les salariés les moins qualifiés.

L’approche se comprend et se défend aisément puisque l’accès à la formation des chômeurs et des salariés peu ou pas qualifiés est alarmant : seul un chômeur sur trois passe par la case formation [2] et le taux d’accès à la formation des ouvriers est 2,5 fois moins important que celui des cadres [3].

Quelle réflexion sur la formation des cadres ?

Le débat actuel n’est pas très nuancé en raison de l’enjeu de la situation : il faut prioriser les dépenses et cibler les investissements. Mais sans renier un instant la réalité décrite, tout en reconnaissant la nécessité d’investir plus massivement sur les populations fragilisées, il nous semble aussi nécessaire de sortir d’une analyse manichéenne qui consisterait à opposer la catégorie des cadres à celle des non-cadres. Dans le débat actuel, la formation des cadres n’est définie qu’en creux.

Il y a pourtant de nombreuses questions qui appellent des réponses. Quelles sont les pratiques d’entreprises ? La population des cadres est-elle homogène ? Est-il légitime de mobiliser des fonds consacrés au développement et au maintien des compétences des cadres ? Est-il nécessaire de mobiliser les fonds OPCA pour la catégorie des salariés les plus formés, à savoir les cadres ?

Au cours de la période 2010-2012, nous avons été amenés à répondre à plusieurs comités d’entreprise du secteur de l’informatique (SSII) qui s’interrogeaient sur l’articulation formation/ GPEC. Dans le cadre de nos missions d'expertise, nous avons saisi l’occasion de mener une étude sur la formation des cadres au sein d’entreprises leaders sur leur marché (+ de 2 000 salariés).

En théorie, la formation est un outil au cœur de la GPEC

Que ce soit dans le secteur de l’informatique ou dans tout autre domaine d’activité, l’objectif central de la GPEC consiste à anticiper d’une part les besoins futurs de l’entreprise (1. approche offensive) et d’autre part, prévoir la perte de vitesse de domaines d’activité (2. approche défensive).

  • Dans le premier cas de figure, l’entreprise doit calibrer les emplois de demain (volumes et compétences) afin de répondre à la demande des clients. Les salariés positionnés sur les postes en devenirs sont « stratégiques », car ils sont souvent porteurs de valeur ajoutée pour l’entreprise.
  • Concernant le volet défensif de la GPEC, l’enjeu est de prévoir le déclin d’une activité afin de sauver des emplois notamment. Par une politique de formation active et renforcée, il convient donc de réorienter des salariés vers des domaines d’activité porteurs. Les postes en sursis sont alors qualifiés de « sensibles » ou de « fragiles ». Paradoxe : les cadres fragilisés sur leur poste accèdent moins que les autres salariés aux dispositifs de formation.

Des cadres déclassés, oubliés de la formation

Les investissements de formation tendent à se porter davantage sur les salariés « stratégiques ». Premièrement, cela se caractérise par un taux d’accès [4] à la formation supérieur à la moyenne des cadres. Deuxièmement, les coûts de leurs formations, aussi bien le coût à la journée que le coût global des stages (durée plus longue des sessions), sont, eux aussi, survalorisés par rapport à la moyenne.

A contrario, les cadres occupant des postes dits « sensibles » sont dans l’ensemble moins bien lotis que l’ensemble de la population. Ils sont moins nombreux à être formés, parfois surreprésentés parmi les salariés non formés depuis trois ans, et le coût à la journée des formations est en moyenne moins élevé. Il y a là un paradoxe qui rejoint le débat national : ce sont les salariés dont l’avenir est le plus incertain qui mobilisent le moins de moyens de formation.

Entre les salariés positionnés sur les postes « stratégiques » et « sensibles », la majorité des cadres bénéficie d’une offre de formation standard qui vise tout à la fois à maintenir la paix sociale dans l’entreprise et garantir, bon an mal an, un niveau de compétences permettant de répondre aux évolutions techniques et environnementales.

L’accès à la formation décroît avec l’âge

Par ailleurs, l’âge est également un facteur discriminant : passé 45 ans, le taux d’accès à la formation décroît avec l’âge des salariés. Et sans surprise, nous constatons que la proportion de cadres non formés depuis plus de trois ans est très conséquente parmi les salariés âgés de plus de 59 ans.

Exemple d'évolution, en fonction de l'âge, du taux de non formation des salariés au cours des 3 dernières années dans une entreprise de plus de 2000 salariés >

Former les cadres fragilisés pour les préserver du chômage et de la précarité

Alors évidemment, il faut remettre la formation professionnelle sur ses pieds et donner aux salariés les plus éloignés de l’emploi les moyens de trouver leur place sur le marché de l’emploi. Mais n’oublions pas de porter une attention toute particulière aux salariés qui peuvent basculer du jour au lendemain dans le chômage. Les outsiders du marché interne de l’emploi méritent que des fonds de la formation soient mobilisés, qu’ils soient ou non des cadres car le statut n’est pas un rempart contre la déqualification professionnelle.
 
Cette contribution est une version révisée de l’article paru dans la revue Cadres CFDT, n° 455-456 (septembre 2013).
[1] Document d’orientation, négociation nationale interprofessionnelle. « La formation professionnelle pour la sécurisation des personnes et la compétitivité des entreprises », 8 juillet 2013, 5 pages.
[2] Source : « La formation professionnelle des demandeurs d’emploi », Rapport du groupe de travail présidé par Jean-Marie Marx, La documentation française, janvier 2010.
[3] Source : INSEE, chiffre 2011. Cf http://www.insee.fr/fr/themes/tableau.asp?reg_id=0&ref_id=NATnon07246
[4] Le taux d’accès à la formation se calcule en rapportant les bénéficiaires de formation sur la population concernée.

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Bonjour Didier, Derrière de fausses apparences, qui relèvent d'avantage de la forme que du fond, je pense que nos points de vue sont proches. Mais je ne parle évidemment pas des "ROIS" dans la contribution (les salariés dits stratégiques) auxquels vous faites références car précisément tous les cadres ne sont pas des ROIS, loin de là. Je parle de ces cadres dont la position dans l'entreprise est précaire. Ceux dont les années de formation initiales sont souvent loin derrière eux, ceux qu'on ne forme plus, ceux qui, s'ils basculent dans le chômage, le resteront longtemps. Il est plus facile de maintenir dans l'emploi un salarié en perte de vitesse que de lui trouver un emploi suite à une période de chômage. Le débat actuel sur la formation professionnelle n'évoque pas cette question. Les idées sont simplifiés. Par ailleurs, on associe trop facilement "cadres" à "privilèges". Ma contribution visait juste à apporter un éclairage sur ce point: la population des cadres est plurielle. Bonne journée. Nicolas.