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03 / 10 / 2014 | 96 vues
Philippe Pihet / Membre
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Mutualisation des risques prévoyance-santé : les micro-entreprises laissées pour compte ?

Le Défenseur des droits a souhaité recueillir notre analyse sur la question de l’accès à la prévoyance des petites et micro-entreprises.

En l’espèce, il a été saisi des difficultés rencontrées par des associations comptant moins de dix salariés en matière d’assurance prévoyance alors qu’elles embauchaient un travailleur handicapé.

Rappelons que les garanties de prévoyance dont bénéficient les salariés relèvent de la protection sociale complémentaire, c'est-à-dire qu’elles interviennent en complément des garanties de la Sécurité sociale. Elles sont principalement déterminées par voie de conventions collectives ou par décisions unilatérales du chef d’entreprise.

L'une des associations réclamantes avait mis en place, par voie de décision unilatérale, un régime de prévoyance au bénéfice de ses salariés. Elle avait donc souscrit un contrat d’assurance prévoyance pour la mise en œuvre des garanties. Elle souhaitait en faire bénéficier son nouvel employé, lequel a rempli un questionnaire médical à l’intention du médecin-conseil de l’assureur.

Ce dernier, constatant que ce recrutement entraînait une aggravation du risque présenté par le nouvel effectif, a décidé de résilier le contrat de prévoyance. Plutôt que de renoncer au bénéfice de son assurance et craignant de ne pas trouver d’autres assureurs qui accepteraient de le garantir, l’employeur n’a pas renouvelé le contrat de son salarié handicapé.

  • Cette réclamation illustre la situation de choix impossible dans laquelle peut se retrouver un employeur lorsqu’il souhaite recruter un travailleur handicapé ou présentant un risque aggravé.

Il convient de souligner que si un employeur peut décider volontairement de mettre en place un régime de prévoyance, ces régimes, lorsqu’ils résultent d’une convention collective dont ils sont signataires ou qui a été étendue, s’imposent aux employeurs. Face à la possibilité de voir son contrat prévoyance résilié ou lorsque l’assureur augmente considérablement la prime, l’employeur pourra préférer renoncer à l’embauche du travailleur handicapé ou présentant un risque de santé aggravé afin de maintenir le contrat.

  • Ces situations peuvent nuire au recrutement des travailleurs handicapés ou présentant un risque de santé aggravé par les petites entreprises et les micro-entreprises. En effet, les assureurs évalueront (plus particulièrement à l’aide de questionnaires médicaux) les risques présentés par les petits effectifs, dans la mesure où la mutualisation des risques y est plus restreinte.

Également, la taille de l’entreprise conditionne son pouvoir de négociation avec les assureurs. Ainsi, l’accès à l’assurance est plus facile pour une moyenne ou grande entreprise qui pourra faire jouer la concurrence entre les assureurs et négocier avantageusement ses primes.

Les clauses de désignation : un plus pour la solidarité

Les partenaires d’une branche professionnelle, lorsqu’ils souhaitent instaurer une solidarité professionnelle en matière de protection sociale complémentaire (et donc mutualiser les risques à l’échelle de la branche) négocient des accords qui contiennent une définition précise des prestations de prévoyance, du montant des cotisations ainsi qu’une clause portant désignation d’organismes assureurs auprès desquels les entreprises de la branche doivent assurer leurs salariés (clause de désignation prévue à l’article L.912-1 du code de la Sécurité sociale). Le recours à la désignation permet la prise en charge par les organismes assureurs d’un ensemble de salariés d’une branche, dans les conditions définies par la convention ou l’accord collectif.

Au sein d’une branche professionnelle, l’organisme assureur se voit ainsi confier la couverture des garanties de protection complémentaire applicables aux entreprises de la branche concernée.

Cette mutualisation des risques, via les clauses de désignation, permet donc aux petites entreprises d’obtenir de meilleurs tarifs  et niveaux de garanties, en plus de garantir leur accès à l’assurance même lorsque ses effectifs présentent un risque aggravé.
Toutefois, le Conseil constitutionnel a considéré que « si le législateur peut porter atteinte à la liberté d'entreprendre et à la liberté contractuelle dans un but de mutualisation des risques, notamment en prévoyant que soit recommandé au niveau de la branche un seul organisme de prévoyance proposant un contrat de référence y compris à un tarif d'assurance donné ou en offrant la possibilité que soient désignés au niveau de la branche plusieurs organismes de prévoyance proposant au moins de tels contrats de référence, il ne saurait porter à ces libertés une atteinte d'une nature telle que l'entreprise soit liée avec un cocontractant déjà désigné par un contrat négocié au niveau de la branche et au contenu totalement prédéfini (1) ».

Au total, le Conseil constitutionnel juge que les dispositions de l'article L. 912-1 du CSS portent une atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre et à la liberté contractuelle, au regard de l'objectif poursuivi de mutualisation des risques. Il déclare donc contraires à la Constitution ces dispositions et il n’est désormais plus possible pour les partenaires sociaux de désigner un assureur unique pour l’ensemble de la branche.

Supprimer les clauses de désignation, c’est contraire à l’intérêt social !

Pour notre organisation, si la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, relative à la sécurisation de l’emploi, prévoit la généralisation dans toutes les entreprises de la couverture complémentaire de santé, le cas évoqué par le Défenseur des droits est évidemment choquant.

On voit, en premier lieu, que la soi-disant généralisation de la complémentaire de santé (avec son refus de désignation) ne remplira pas le vide créé. Ce cas se renouvellera dès l’instant où le seul outil de mutualisation ne peut être la clause de désignation.

Celle-ci permet de « lisser » le risque sur une population plus vaste que celle de l’entreprise. En fait, c’est tout simplement le principe de la Sécurité sociale.

Le Défenseur des droits a bien cerné la problématique et les carences du pseudo raisonnement du Conseil constitutionnel : celui-ci a placé son analyse, bien aidé par le lobbying FFSA (2), sous l’angle du  produit complémentaire de santé, alors qu’il fallait analyser le sujet sous l’angle de l’élaboration d’un régime de complémentaire santé. À ce moment, il est possible d’appliquer le dispositif de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) sur l’arrêt « boulangerie » (3). Dans cet arrêt, rendu en 2011 à l’issue d’un feuilleton judiciaire qui dura près de 5 ans, la CJUE donnait raison à une institution de prévoyance (IP) contre un boulanger de Dordogne (Beaudout SARL) qui refusait d’adhérer au régime obligatoire de frais de santé, mis en place dans la branche par les partenaires sociaux avec une clause de désignation et de migration obligatoire. Cet accord désignait une IP comme unique assureur pour la branche.

Le verdict de la CJUE déclarait que l’accord en question n’était pas contraire aux règles de la concurrence et légitimait « une position dominante » suite aux avancées sociales que procurerait l’accord, conséquence directe de la mutualisation qui était acquise grâce à la désignation et à la migration obligatoire, ce qui permettait de réduire le coût unitaire des contrats en question et le maintien des garanties dans le temps.

Cet arrêt de la Cour de justice a fait croire à certains acteurs de la prévoyance et de la complémentaire de santé que « le pré carré » des partenaires sociaux était enfin conforté et intouchable.

Pour notre confédération, en deux mots :

  • oui, il y a distorsion de concurrence quand il y a désignation ;
  • non, celle-ci n’est pas disproportionnée car elle répond à un intérêt social général.


La réunion (dite de l’agenda social) du 9 septembre dernier a permis de faire revenir le sujet de la mutualisation en ce qui concerne la prévoyance (invalidité, incapacité et décès).

(1) Décision n° 2013-672 DC du 13 juin 2013.

(2) FFSA : Fédération française des sociétés d’assurance.

(3) Arrêt CJUE nº C-437/09 du 3 mars 2011.

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