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24 / 03 / 2011 | 2 vues
Denis Garnier / Membre
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C’est extraordinaire : j’ai rencontré une salariée ordinaire

De risques psychosociaux en plans de licenciements, le visage du monde du travail s’enlaidit, se fige, se ride de milles fissures et empreintes de la souffrance des années qui s’abandonnent dans le désespoir d’un monde fatigué. 

Or, dans cette jungle, j’ai rencontré Laurence. Elle est secrétaire dans un grand hôpital du sud-est de la France. Elle est radieuse, souriante, belle comme le printemps qui s’éveille. Le simple fait de la croiser embellit la journée de ceux qui la rencontrent.

On boit un verre ? Quel est votre secret ?

Devant les bulles de mon soda et sa menthe à l’eau,  elle me raconte son travail.

Pile… 

Son hôpital est comme les autres. Aux suppressions de postes succèdent les recrutements d’emplois précaires. Dans les services de soins, le stress refroidit la chaleur du regard.

Dans les services administratifs, les situations sont diverses. Il y a des collègues tristes et fermés. Il y a aussi des gens agréables et souriants.

Au cours de notre échange, Laurence m’explique que la barrière entre les deux tient à peu de choses. Elle-même a été triste et angoissée. Dans son précédent poste, son travail était plaisant et varié, au début. « Mais progressivement, lorsqu’il se réalise pleinement, le supérieur en ajoute chaque jour un petit peu de plus. Et comme on veut toujours être à la hauteur, ne jamais décevoir, on s’organise. Le travail s’invite à la maison. Et comme il est rendu à temps de nouvelles tâches s’ajoutent aux précédentes ».

Le doute s’installe sur la capacité à faire. Sur les compétences. La peur de se tromper est quotidienne. Les initiatives passées sont anéanties par les directives qui se succèdent. La réaction devient impossible. Le sommeil s’étiole etc.

Le trouble psychosocial s’installe.

Face…

À l’occasion d’une restructuration, Laurence quitte son statut de secrétaire principale pour habiter l’anonymat des services financiers. C’est son choix. Cela fait maintenant un an.

Elle s’occupe des marchés publics sous la responsabilité d’un cadre et d’un directeur. Le bonjour est aussi régulier que l'aurore. « Ce qui me plaît, c’est de suivre toutes les opérations de mon travail. Mon cadre a confiance. Il me laisse seule parfois pour rencontrer les équipes afin de leur faire choisir leurs équipements, leurs accessoires, leur mobilier, enfin tout le matériel qui fait l’objet chaque année, ou à l’occasion de chaque transformation de service, d’un achat sur appel d’offres. Je suis même invitée aux inaugurations lorsque tout est en place. C’est sympa. Mon travail est simple et intégré dans l’équipe », dit-elle.

Ce matin mon directeur est passé pour me dire : « Demain j’apporte les croissants, on va faire un petit déjeuner de service ». C’est souvent ? « Non, seulement de temps en temps, comme ça, lorsque ça lui prend. Il passe souvent au bureau, simplement pour savoir si ça va. Comme c’est pour moi un poste nouveau, que je n’y connaissais rien, il s’inquiète. Moi ça me rassure, ça m’encourage. L’autre jour il y avait en prévision un travail important. Il m’a demandé si le lendemain je pouvais rester un peu plus tard. Pas de problème. J’ai eu le temps de m’organiser ».

Elle n’a presque plus rien à dire parce que tout est devenu ordinaire. Sa situation est devenue aussi évidente que le jour qui se lève et le soleil qui se couche.

Et tranche !

De retour à mon clavier je voulais raconter ce bien-être. Le contraste est évident avec les précédentes rencontres qui ne sont que le fruit de plaintes et d’alertes. Alors m’est apparu la difficulté de raconter l’ordinaire. On ne remarque que l’extraordinaire, le malheur, l’information qui fait pleurer les chaumières, qui fait vibrer les sensations les plus introverties. Mais raconter que Laurence est bien dans son travail ne peut faire aujourd’hui la une des journaux télévisés.

Peut-être un jour y aura-t-il un reportage sur le bien-être au travail, comme ceux qui traitent des dernières baleines de l’océan Pacifique, du lynx d’Espagne ou de l’albatros des Galapagos ? Les salariés n’aspirent pas à devenir extraordinaires pour faire la une de l’actualité. Ils veulent simplement vivre dignement d’un travail, convenablement rémunéré, reconnu dans un collectif qui les intègre. En attendant... Bonjour, Monsieur le directeur, vous voulez un café ?

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