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06 / 03 / 2014 | 5 vues
Gérard Brégier / Membre
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Se prononcer sur le document unique : attention, piège pour le CHSCT !

Suite des commentaires sur le rapport de Pierre-Yves Verkindt (premier article ici), qui passe globalement à côté des CHSCT et ne présente que très peu d’intérêt pratique.

 

PROPOSITION 11 :
Adjoindre à chaque élu au CHSCT un suppléant élu en même temps que lui mais ne siégeant que lorsque le titulaire est empêché.

Bonne idée mais si le suppléant n’existe que lorsque le titulaire est « empêché », c’est une idée tronquée et inutile. Les suppléants CE ou DP ne sont pas attaché à un titulaire particulier. De plus, ils ont le droit de participer à toutes les réunions. Ici, notre bon professeur fait un pas en avant mais nous laisse au milieu du gué. Les suppléants ne pourront pas faire d’inspection ou d’enquête, intervenir dans une situation de danger grave et imminent, sauf si le titulaire est empêché. La notion du titulaire empêché occuperait certainement un bon moment les conseillers de la haute cour.

 

PROPOSITION 12 :
Permettre l’adaptation par voie conventionnelle de la composition de la délégation élue du personnel s’agissant de la représentation du personnel d’encadrement, les dispositions règlementaires constituant une base minimale.

La règlementation prévoit déjà la possibilité d’adapter la répartition des sièges avec une simple autorisation de l’inspection du travail. Cet article (qui, de façon surprenante, échappe au professeur de droit) tend à confirmer qu’en réservant des sièges aux cadres ou maîtrises, le législateur a bien voulu établir une répartition des sièges entre ouvriers (employés et agents de maîtrise ou cadres) et pas seulement un nombre de sièges minimum à réserver aux agents de maîtrise ou cadres.

À Pierre-Yves Verkindt et aux conseillers la Haute Cour, qu’il me soit permis de rappeler l'article R4613-2 :

« L'inspecteur du travail peut autoriser des dérogations aux règles déterminant la répartition des sièges entre les représentants du personnel de maîtrise ou des cadres et ceux des autres catégories de personnel. »

 

PROPOSITION 13 :
Étendre la solution de l’accord national interprofessionnel à toutes les entreprises dotées d’un CHSCT en accordant à chaque organisation syndicale représentative dans l’établissement le droit de désigner un représentant syndical. Ce dernier sera soumis au même régime juridique que le représentant syndical au comité d’établissement.

Je suis entièrement et sans réserve d’accord avec ce bon Pierre-Yves Verkindt. Je ne suis pas sûr que nos amis du MEDEF, eux aussi, soient en accord avec cette belle proposition (validée à l’époque, c’est vrai, par un ANI. Une autre époque).

 

PROPOSITION 14 :
Intégrer avec voix consultative au CHSCT le salarié « compétent » au sens de l’article L 4644-1 ou l’intervenant extérieur au CHSCT.

Ce personnage n’est pas un représentant des salariés, il n’a donc pas à être intégré au CHSCT.

Surtout qu’il est déjà de fait participant de droit aux réunions du CHSCT aux côtés de l’inspecteur du travail, du médecin du travail, de l’agent du service prévention de l’organisme de sécurité sociale, du préventeur de l’OPPBTP le cas échéant et des représentants syndicaux (pour le moment dans les établissements de plus de 300 salariés).

En effet, cette personne ne fait qu’un avec le responsable du service de sécurité et des conditions de travail ou, à défaut, l'agent chargé de la sécurité et des conditions de travail prévu par le Code du travail :

Article R4614-2

« Outre le médecin du travail, le responsable du service de sécurité et des conditions de travail ou, à défaut, l'agent chargé de la sécurité et des conditions de travail assiste, s'il existe, à titre consultatif, aux réunions du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail. »

 

PROPOSITION 15 :
Instaurer aux fins de coordination, la désignation d’un représentant du comité d’établissement ou d’entreprise au CHSCT et inversement.

Cette proposition pourrait être intéressante, si pour ne pas augmenter les lourdes charges des pauvres entrepreneurs, le rapporteur ne prévoyait que « cette participation à l’instance sœur doit être comptabilisée comme heure de délégation ». Dans le cadre de leurs heures de délégations, les représentants du personnel ont l’habitude de n’être guidés que par leur conscience. Cette restriction enlève tout intérêt à une proposition qui, de toute façon, n’intéressait que le CE car, pour sa part, depuis 1941, le CHSCT peut faire appel à titre consultatif et occasionnel au concours de toute personne de l'établissement qui lui paraîtrait qualifiée (L4612-8-1).

 

PROPOSITION 16 :
Permettre au médecin du travail de se substituer un membre du service de santé au travail pour participer aux réunions du CHSCT (ou autres instances dérivées).

Cette proposition est difficilement acceptable.

Bien sûr, elle va dans le sens du vent patronal qui préfère les infirmiers au docteur. Mais, seul le médecin du travail est légalement le conseiller de l’employeur, des salariés et de leurs représentants. C’est cette fonction légale de médecin du travail et sa qualification spécialisée fait du médecin du travail un interlocuteur important du CHSCT. De plus, le médecin du travail a des pouvoirs et des obligations qu’il ne peut absolument pas déléguer.

 

PROPOSITION 17:
Instaurer la consultation obligatoire du CHSCT sur le document unique d’évaluation des risques lors de son élaboration, à l’occasion de sa mise à jour annuelle et lors de toute modification du document. Prévoir par ailleurs la communication par l’employeur du document unique à l’ensemble des nouveaux membres du CHSCT dès la première réunion après leur désignation.

Voici, à mon sens, la pire des propositions !

Elle procède d’une grande incompréhension de la nature du CHSCT ou d’une grande perversité pour entraîner le CHSCT vers une cogestion illusoire et dédouaner l’employeur de ses propres responsabilités.

Cette proposition procède d’une confusion grave et tend à la propager. Dans de nombreuses entreprises les employeurs comprennent bien l’intérêt qu’ils ont à entretenir un amalgame entre :

  • d’une part, l’évaluation des risques qu’ils doivent réaliser eux-mêmes au titre de l’article L.4121-3 du Code du travail et dont les résultats sont portés dans le document unique ;

  • et d’autre part, l’analyse des risques professionnels auxquels peuvent être exposés les travailleurs de l'établissement et l'analyse des conditions de travail exigé du CHSCT par l’article L.4612-2 du Code du travail.

Certains employeurs mettent déjà d’autorité le document unique des résultats de leur évaluation des risques professionnels à l’ordre du jour d’une réunion du CHSCT et ils demandent au CHSCT d’exprimer un avis sur ce document.

S’il paraît essentiel à Pierre-Yves Verkindt que soit reconnue l’aptitude de l’instance et de ses membres à co-construire la cartographie des risques dans l’entreprise et même si je connais bien cette aptitude des salariés et de leurs représentants à construire eux-mêmes une cartographie des risques les plus graves, il faut cependant que chacun (employeurs et représentants du personnel) reste à sa place et conserve son rôle et ses responsabilités respectives.

D’après l’article L4121-3 du Code du travail, compte tenu de la nature des activités de l'établissement, l'employeur doit évaluer tous les risques pour la santé et la sécurité de chaque travailleur, y compris dans le choix des procédés de fabrication, des équipements de travail, des substances ou préparations chimiques, dans l'aménagement ou le réaménagement des lieux de travail ou des installations et dans la définition des postes de travail.

En vertu de l’article R4121-1, l'employeur doit transcrire et mettre à jour, dans un document unique, les résultats de cette évaluation des risques pour la santé et la sécurité des travailleurs à laquelle il procède en application de l'article L. 4121-3.

La circulaire DRT n° 2002-06 du 18 avril 2002 précise que parmi les acteurs internes de l’entreprise, figurent, en premier lieu, les instances représentatives du personnel (CHSCT, ou instances qui en tiennent lieu, tels que les instances représentatives du personnel des établissements publics, et délégués du personnel). Le document unique constitue, d’après le ministre, l'une des sources d’information permettant à ces instances d’exercer leurs prérogatives. La circulaire rappelle aussi que le CHSCT (et les délégués du personnel) procèdent eux-mêmes à une analyse des risques professionnels, comme le prévoit encore l’article L4614-2.

La circulaire indique aussi que les acteurs internes à l’entreprise contribuent à la démarche de prévention. En s’appuyant sur ces apports internes, notamment sur l’évaluation des risques et des conditions de travail réalisée les représentants du personnel, l'employeur pourra assurer la qualité de son évaluation des risques et développer une culture de la prévention dans son entreprise. La circulaire rappelle encore utilement que les CHSCT procèdent eux-mêmes à une analyse de risques qui contribue à la réalisation, par l’employeur, du programme annuel de prévention, pour lequel les représentants du personnel sont consultés.

Le CHSCT n’a pas les moyens, surtout à partir des seuls résultats portés sur le document unique, de contrôler la pertinence de l’évaluation de l’ensemble des risques existant dans l’établissement réalisée par l’employeur.

Pour sa part, le CHSCT va analyser en priorité les risques qui posent problème aux salariés et souvent, son analyse sera réalisée de façon contradictoire avec l’analyse et les mesures arrêtées par l’employeur. Le CHSCT ne doit donc pas se positionner par rapport à l’employeur et aux résultats de l’évaluation des risques réalisée par l’employeur, mais par rapport aux salariés et à partir de ses analyses autonomes (réalisées avec ou sans l’aide d’un expert, mais toujours avec les salariés) pour proposer des mesures préventives efficaces et validées par les salariés.

Si elles ne sont pas prises en compte, les propositions du CHSCT pourront devenir des revendications des organisations syndicales. Le CHSCT n’est pas une institution paritaire, mais une institution destinée à représenter les salariés, le travail d’analyse et de proposition du CHSCT ne doit pas se confondre avec la responsabilité de l’employeur. Ce dernier doit, conformément à l’article L4121-1, prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

Pour un CHSCT, approuver le document unique (résultats de l’évaluation des risques de l’employeur), c’est (sans avoir les moyens de le faire) prendre le risque et la responsabilité de valider la base de la politique de prévention de l’employeur. C’est accepter de partager avec l’employeur une partie de sa responsabilité d’employeur en restant sur une vision superficielle des situations de travail.

En réalité, ce document est très rarement le reflet de la réalité. Dans un document unique « normal », aucun risque grave n’est mentionné. En effet, ce serait reconnaître ce qui dans le code pénal est puni sous le nom de « mise en danger de la vie d’autrui ». Un risque grave avoué dans le document unique serait une circonstance aggravante et ouvrirait au CHSCT non seulement la possibilité de mener son enquête avec des heures en plus du quota (L4614-6, 2°) mais, pire encore, de faire intervenir l’expert extérieur et agréé tant redouté.

Non, en général pour éviter l'écueil, le document unique mélange les résultats de l’évaluation du risque et les mesures à prendre. Cet amalgame permet de ne pas engager trop facilement la responsabilité civile et pénale de l’employeur. C’est également l’objectif réel de la consultation du CHSCT sur le document unique. Le CHSCT ne devrait s’intéresser aux résultats de l’évaluation du document unique, seulement pour appuyer sa propre analyse contradictoire sur les risques qu’il aura lui-même choisis avec les salariés.

Pour un CHSCT, se prononcer sur le document unique est donc un piège à éviter.

 

PROPOSITION 18 :
Modifier l’article L 4614-6 du Code du travail qui visera désormais les visites d’inspection trimestrielles.

Très bien mais, cela a dû échapper au rapporteur, une jurisprudence a déjà laissé entendre en 1997 que le temps de déplacement nécessaire à la réalisation des visites-inspections devait être donné par l’employeur au titre de l’article L4614-9 du Code du travail (à l’époque, le L236-3) « … les moyens nécessaires à la préparation et à l'organisation des réunions et aux déplacements imposés par les enquêtes ou inspections ».

 

PROPOSITION 19 :
Prévoir la libre disposition d’un local pour le CHSCT étant précisé que ce local peut être commun avec celui du comité d’entreprise ou d’établissement.

Inciter entreprises et organisations syndicales à élaborer un accord sur les moyens matériels de l’instance.

Cette proposition qui vise à donner un espace de travail au CHSCT serait très bien si elle ne prévoyait que ce local pouvait être commun avec celui du comité d’entreprise. Cette proposition est donc en retrait par rapport à celle contenue dans une disposition prévue par la circulaire ministérielle, mais annulée par le Conseil d’État le 12 juin 1995. Le partage du local du CE n’est pas toujours possible dans les faits. Ce partage laissera la place du pauvre au CHSCT et cette proposition participe encore à la confusion des institutions représentatives du personnel tant souhaitée par les employeurs.

 

PROPOSITION 20 :
1) Dans les établissements de 50 à 299 salariés, prévoir un crédit d’heures de cinq heures pour les élus.
2) Prévoir la possibilité d’augmenter les crédits d’heures par paliers à définir techniquement mais corrélés au taux mixte ou au taux individuel du compte employeur AT-MP (étant précisé que le taux collectif ne s’applique que dans les établissements de moins de vingt salariés non concernés par l’institution du CHSCT).

Merci pour les 2 heures supplémentaires pour les CHSCT des établissements de 50 à 299 mais, pour le reste, c’est carrément une usine à gaz.

Avant que les membres du CHSCT connaissent le niveau de leur quota d’heure, il faudrait du temps (les cotisations 2014 correspondent aux résultats des années 2010, 2011 et 2012). Ce système de bonus-malus fonctionne à l’envers si l'on se place du côté des représentants du personnel (plus il y aurait d’accidents et de maladies professionnelles, plus ils auraient d’heures) mais il est dans le bon sens si l'on se place du côté des employeurs, avec de meilleurs résultats, ils auront moins de syndicalistes (cela devrait les motiver).

 

[À suivre : les commentaires des propositions 21 à 33 vendredi 7 mars.]

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