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13 / 07 / 2012 | 6 vues
Yann-Mael Larher / Membre
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Santé au travail, entre bien-être et bien-faire : le dilemme du manager

Le 19 juin 2012, AgroParisTech Alumni recevait deux experts de la santé au travail dans le cadre des mardis du quai Voltaire. La soirée, très enrichissante autour d'Yvon Miossec (psychologue du travail au CNAM) et Virginie David-Cosme (consultante chez Formatys), a permis d'appréhender ce sujet d'actualité grâce à deux approches complémentaires et de très nombreuses questions. 


« Ma spécialité, c’est le bien-faire ». D’entrée de jeu, Yvon Miossec pose son angle d’attaque du sujet. Il poursuit : « On entend parler de harcèlement, de stress, d’usure physique et mentale, de souffrance au travail. Un tableau assez sombre du travail semble s’installer : le travail apparaît comme quelque chose à supporter et endurer avec l’idée que la vie réelle est ailleurs. Or, le travail est au cœur de la vie. On ne peut pas s’en extraire, il nous rattrape. Le bien-être est donc  étroitement lié au bien faire ».

Yvon MIOSSEC, psychologue du travail au CNAM  

Pour illustrer l’importance du travail, Yvon Miossec en détaille ensuite toutes les fonctions.

Le travail est d’abord une fonction sociale. Il exige des sujets qu’ils s’acquittent d’obligations collectives. Henri Wallon définissait le travail ainsi : « contribuer par des services particuliers à l’existence de tous afin d’assurer la sienne propre ».

C’est en ce qu’il impose au sujet de « sortir de soi » que le travail a aussi une fonction psychologique qui contribue au développement du sujet. C’est le cas quand le travail permet de « se reconnaître dans quelque chose de plus grand que soi : un produit, un service, la vie sociale, une culture ».

Pour autant, le travail est toujours une épreuve, c’est-à-dire des contraintes mais aussi des occasions. Le travail est bivalent. Il apporte joie et/ou peine. Il aliène et/ou émancipe. Il apporte souffrance et/ou plaisir. C’est à la fois une source de mal-être et une condition du bien-être. « L’activité est une épreuve subjective où l’on se mesure à soi-même et aux autres pour avoir une chance de parvenir à réaliser ce qui est à faire », selon Yves Clot, psychologue du travail au CNAM.

Pour comprendre comment se construit la santé au travail, on peut s’appuyer sur une définition de Georges Canguilhem, qui écrivait : « Je me porte bien dans la mesure où je me sens capable de porter la responsabilité de mes actes, de porter des choses à l’existence et de créer entre les choses, des rapports qui ne leur viendraient pas sans moi ».

« Faire avec les autres quelque chose de plus grand que soi et faire preuve d’autorité et de créativité sur ce que l’on fait est très important. On ne peut pas se sentir bien si les efforts que l’on fait ne permettent pas de se dire au moins de temps en temps : je fais du bon boulot », ajoute Yvon Miossec.

Avec toute l’importance que le travail occupe au cœur de notre vie, il est pourtant l’oublié des programmes de bien-être au travail et des programmes « vivre mieux » des entreprises. 

En effet, beaucoup de programmes proposent aux employés des ateliers de gestion du stress, des possibilités de faire du sport sur le lieu de travail. Ces programmes partent du principe que le travail est intouchable. Du coup, le sujet est renvoyé à lui-même. Ce n’est pas le travail qui est le problème, mais les professionnels.

Pourtant, c’est bien le travail qui est un problème quand chacun est simultanément invité à prendre des initiatives et à faire strictement ce qu’on lui dire de faire. Dans ces situations, l’alignement a de grandes chances de l’emporter sur la créativité et sur l’initiative. Les salariés sont alors privés des sources de santé que sont l’initiative et la créativité.

  • C’est un des reproches que l’on doit adresser aux démarches de prévention des risques psychosociaux. Elles regardent le travail comme un lieu d’adaptation et non comme un lieu de création.

Il est pourtant possible de soutenir les efforts des professionnels pour qu’ils reprennent des initiatives. Il est possible d’agir pour la santé au travail en ne se concentrant pas sur le « vivre mieux » mais sur le « mieux travailler ». L’inventaire des risques psychosociaux peut laisser place à la construction de ressources psycho-sociales.

On peut prendre l’exemple des groupes de discussion autour du travail dans lesquels se sont engagés des managers en recherche et développement. Dans ces groupes, les professionnels analysent leur situation de travail entre pairs et peuvent débattre des dilemmes de métier. Cela leur permet de travailler sur des questions qui sont bien trop grandes pour être tranchées par des individus seuls.

En s’engageant dans ces débats sur le travail, les managers ingénieurs font l’expérience de leur capacité à reconstruire des marges de manœuvre et à faire valoir le travail bien fait.

En conclusion, « c’est donc le travail qu’il faut soigner », conclut Yvon MIOSSEC, si l’on en juge les résultats obtenus par les groupes de discussions dans des métiers différents, car :

  • quand les professionnels peuvent parler réellement de leur travail, cela leur fait du bien ;
  • les situations de travail peuvent se révéler moins impossibles qu’elles n’apparaissent ;
  • le travail peut redevenir favorable à la santé quand il permet l’initiative et l’exercice réel de ses responsabilités ;
  • les débats sur le travail sont aussi bons pour les directions d’entreprises qui redécouvrent la passion professionnelle des collaborateur.

Quand cette passion est refoulée, c’est mauvais pour la santé mais c’est aussi mauvais pour les entreprises.


Virginie David Cosme, elle, se penche sur les signes de mal-être et les leviers possibles pour les managers à la fois « premiers acteurs de la santé au travail », « relais des situations difficiles » mais aussi « promoteurs de la politique de santé au travail».

Virginie DAVID COSME, consultante chez FORMATYS 

Pour remplir cette mission difficile, les managers, même s’ils ne sont pas médecins,  doivent bien observer les changements de comportements, explique-t-elle : difficultés d’adaptation, absentéisme, erreurs, accidents du travail, angoisses collectives, baisse de qualité, baisse de performance, objectifs non atteints, conflits et tension… La récurrence d’un stress chronique est plus préjudiciable qu’un stress aigu court  parce que cela entraîne la sécrétion de substances qui sont à l’origine d’un épuisement professionnel.

Le manque de reconnaissance est le premier facteur de mal-être. Il y a donc là un levier important. Sur le plan financier, de moins en moins de managers ont un pouvoir sur le salaire. Cependant, la reconnaissance peut s’exprimer autrement : s’intéresser aux efforts au quotidien, apporter de la reconnaissance par les mots, mener des entretiens professionnels constructifs qui ne soient pas des règlements de compte...

La coopération est également un facteur important dans le bien-être au travail. Elle ne se décrète pas, c’est pourquoi, il faut donner aux salariés des possibilités de faire confiance. Les techniques de créativité sont très importantes pour introduire de la coopération.

Le rythme de travail imposé intervient en troisième source de stress, avec des temps de calibrage des tâches souvent très courts.

Autre source de stress : l’envahissement grâce aux nouvelles technologies. Soixante pour cent des Français disent que le travail empiète sur leur vie privée. Beaucoup se font « manger » et se mettent eux-mêmes la pression.

Or, dans la recette du bonheur, plusieurs ingrédients entrent en ligne de compte : l’environnement personnel, le soutien social, l’équilibre entre  la vie privée et la vie professionnelle,  l’environnement de travail, la fierté d’appartenance, la reconnaissance, l’autonomie, la progression…

Pour agir, les managers ont besoin de repères et de savoir jusqu’où ils peuvent aller. Ils doivent être en position d’oser agir et de pouvoir alerter. Ils doivent pouvoir s’entourer d’un collectif composé d’un médecin, des représentants du personnel, des assistantes sociales et des RH. Ils ne peuvent réussir leur mission s’ils sont seuls. « Pour être garants de la santé de leurs équipes mais aussi de leur propre santé, les managers ont besoin d’être soutenus », insiste Virginie Davis Cosme.

Dans la sphère professionnelle, les managers ont un rôle à jouer dans l’épanouissement en veillant à développer les compétences alors qu’ils assument parallèlement des responsabilités difficiles. On attend également d’eux qu’ils soient exemplaires et indulgents. Or, sur ce sujet il y a encore des progrès à faire... Par ailleurs, certains managers sont confrontés à un véritable dilemme et font l’amortisseur entre leur direction qui leurs donne des objectifs irréalisables et leurs équipes qu’ils souhaitent protéger. C’est ainsi que certains d'entre eux prennent des risques en cachant les chiffres à leurs équipes, ce qui les met en porte-à-faux par rapport à leurs valeurs, conduit à des injonctions paradoxales,  et parfois à la dépression.

Cela est d’autant plus important en France où le travail est une condition importante d’épanouissement alors que dans d’autre pays, comme les pays du Nord et chez les Anglo-Saxons, le travail est considéré comme un contrat à remplir. Or, en France, le rôle du manager est souvent mal défini et 46% des salariés trouvent que leur management n’est pas de bonne qualité. Par comparaison, aux Pays-Bas, les managers sont des non-experts formés et expérimentés dans la gestion des gens et avec la capacité à les faire grandir en termes de compétences.

Pour permettre aux managers d’assurer pleinement leur rôle, l’un des premiers leviers consiste à mettre en place des groupes d’expression entre pairs sur les échanges de bonnes pratiques et de favoriser la liberté d’expression. Cette pratique est une bonne alternative aux réunions d’information descendantes où peu osent prendre la parole.

Un autre levier consiste à confier une problématique de l’entreprise à un groupe de salariés. C’est ainsi que, par exemple, Disney France a demandé à ses salariés de réfléchir à l’amélioration de la diversité dans l’entreprise.

Le cadre de travail est également très important. Par exemple, Microsoft revient en arrière par rapport aux open-spaces afin de préserver la discrétion et les lieux de convivialité.

Pour conclure, le bien-être au travail est un équilibre multifactoriel complexe.

On peut toutefois contribuer à prévenir les risques psycho-sociaux en formant des managers à la gestion et au développement des gens, à la détection des changements de comportements et en leur laissant la possibilité d’activer certains leviers.

La mise en place de groupes de discussion autour du travail, l’amélioration du cadre de travail des salariés ainsi que la participation des acteurs impliqués dans les évolutions organisationnelles sont également des leviers pour les entreprises et les organisations, en particulier en période de changement.

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