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28 / 02 / 2022 | 289 vues
Bernard Salengro / Abonné
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La loi sur la santé au travail renforce la balkanisation des différentes institutions

Voici mon intervention à l'occasion des douzièmes rencontres pour la santé au travail, dont le titre était « Renforcer la prévention au travail : on accélère ? ».

 

Les nouveaux textes sont encourageants.

 

Ils sont encourageants parce qu’ils reprennent, en les approfondissant, les fondamentaux sous-entendus de la loi de 1946, mais comme ils n’étaient pas expliqués cela n'était pas à la hauteur des besoins. « Éviter l’altération de la santé », disait la loi de 46 ; c’est une action proactive et cela pouvait effectivement sous-entendre beaucoup d’actions . Maintenant, la loi prévoit :

  • la prévention du handicap avec la création de la cellule pluridisciplinaire dédiée à la prévention du handicap et, avec la visite de mi-carrière, ce sera maintenant indiscutable et il y aura des indicateurs de réalisation ;
  • la prévention primaire qui concerne tous les membres du service de santé au travail :
    • avec l’aide à l’évaluation et la prévention des risques professionnels,
    • avec la participation au DUER des services de santé au travail,
    • avec des modalités de conservation du DUER adaptées,
    • avec l’équipe pluridisciplinaire renforcée,
    • avec le contrôle des produits et outils par les douanes et les agents de la concurrence,
    • avec le rajout du terme « l’organisation du travail » dans les préoccupations de santé au travail rejoignant ainsi enfin l’accord de 2008 sur le stress, qui avait été étendu,
    • avec l’introduction de la notion de poly-expositions aux produits chimiques et de leur effet « cocktail »,
    • avec la surveillance post professionnelle enfin instituée ;
  • et la prévention médicale :
    • la possibilité instituée de plus facilement échanger avec les confrères traitants, ne serait-ce que par le DMP est considérable, rappelons-nous les menaces de pénal si l'on ouvrait le carnet de santé que le médecin les salariés qui ne comprenaient pas tendaient au médecin ;
    • c’est également l’apport des infirmiers quand ils auront pu bénéficier de formations adaptées.

 

En expliquant ces différents aspects, qui semblaient sous-entendus dans la loi princeps, cela permet de souligner des actions qui se pratiquaient déjà plus ou moins.

 

En tant que président de l’INRS et en tant que médecin du travail, je trouve que ces dispositions sont de sérieuses avancées ; elles vont donner une image plus dynamique et moins routinière et devraient améliorer l’attractivité des différentes filières de métiers de la prévention et de la santé au travail.


Voila pour les aspects encourageants…


Néanmoins, ces nouveaux textes sont aussi très décevants.

 

Décevants en ce sens que ce nouveau texte ne résout pas le problème de la coordination des différents acteurs de la santé au travail, tel que le rapport de Charlotte Lecocq le laissait espérer et c’est pourtant central.


Avec l'introduction du document unique, on a pu voir jusqu’à cinq modèles différents sur la table du chef d’entreprise. De même, le port des masques et des visières n’était pas coordonné.


Certes, beaucoup craignaient la fusion avec les pertes prévisibles mais on est passé à côté de la coordination nécessaire des différents acteurs, ce qui est réalisable sans passer par la fusion généralement synonyme de pertes d’efficacité.

 

Bien au contraire, ce texte renforce la balkanisation des différentes institutions :

  • avec des gouvernances différentes,
  • avec des statuts des salariés et des modes d’intervention différents,
  • avec des coordinations très dépendantes des gens et parfois des divergences de positionnement des institutions.

 

Les partenaires sociaux avaient cru résoudre le problème en instituant le régime paritaire avec des représentants nommés au niveau national, là où les coordinations sérieuses peuvent s'élaborer entre partenaires sociaux et là où les déviations sont plus facilement évitées

 

Malheureusement, au niveau de l’Assemblée nationale, le statu quo pour les institutions a été préféré (sauf pour le réseau ANACT-ARACT).

 

Pour la santé au travail en particulier, il a été acté :

  • que les administrateurs des services (pour la partie patronale seulement) ne soient nommés qu’au niveau local, permettant ainsi de peu modifier la réalité actuelle ;
  • en ajoutant la limitation du nombre de leur mandats, on a limité leur capacité d’insertion et de compréhension fine de ce qu'il se passe réellement au sein des services ;
  • de plus, aucun statut ni moyen n'a été rajouté pour les administrateurs salariés déjà en minorité et souvent sur des strapontins puisque le président est toujours patronal.

 

Enfin et surtout, en augmentant considérablement les attributions des directeurs de service de santé au travail, ce qui renforce fortement leur pouvoir et leur emprise.

 

Pendant ses deux mandats, le boulanger d’Armentières fera confiance au directeur, quand il sera présent au conseil, qui prendra lui-même soin de correspondre aux attentes des employeurs du terrain, lesquels ont une vision très souvent de « moins disant » ou de « contrôle », sans penser à la richesse des possibilités de la santé au travail. Ces dispositions n’avaient pas ouvert l’accord des partenaires sociaux.
 

Certes, depuis que la mission a été transférée aux services, il n’est pas illogique d’avoir des directeurs.


L’évolution des techniques, des objectifs, du personnel avec l’équipe pluridisciplinaire, la formation des médecins peu versée vers la gestion et la connaissance des mécanismes économiques et comptables mènent à l'élaboration d’un poste de ce type. Alors pourquoi ne pas avoir donné à ce poste un statut similaire à celui des médecins du travail, leur permettant ainsi d’avoir une distance raisonnable d'avec certaines attentes des employeurs locaux ?

 

Pourquoi ne pas avoir institué une formation garantissant un minimum de compétences, comme c’est le cas avec les directeurs d’hôpitaux (qui passent par l’École de Rennes) ou les directeurs de caisses de Sécurité sociale (qui passent par l’École de saint Étienne) ? Un directeur de service de santé au travail n’a besoin que d’avoir plu au président du conseil ! On serait resté dans l’esprit de la loi originelle. Ce qui fait que l’on risque de voir le pouvoir des directeurs s'instituer car les administrateurs passent mais les directeurs restent.

 

Pour l’INRS, il n’y aura pas beaucoup de différences avec ces nouveaux textes.
 

L’INRS est connu et respectée parce qu’elle a deux caractéristiques essentielles qui lui valent son autorité :

  • elle s’appuie sur la science avec des chercheurs et des formateurs de très haut niveau, s’appuyant sur des faits scientifiques avec toute la rigueur nécessaire ;
  • elle est également validée par une gouvernance réellement paritaire, avec une présidence alternée et qui fonctionne assez consensuellement et, de toute façon, une volonté unanime de faire avancer les choses et de défendre cette institution dont les finances auraient besoin de renfort.


On pouvait craindre une perte de l’originalité de l’institution et de l’engagement des salariés avec une fusion des institutions mais on est passé à côté d’une nécessaire coordination qui pouvait se faire sans fusion toujours inquiétante pour l’efficacité, pour l’engagement des salariés et pour les moyens attribués.

 

L’incompréhension pour les administrateurs de l’INRS est de constater l’immense attente de tous vis-à-vis des analyses et des productions de cette maison ; il suffit de voir la fréquentation colossale du site internet, avec une volonté de restreindre son budget de fonctionnement par les autorités financières de Bercy, ce qui est arrivé lors de la précédente convention d’objectifs et de gestion et que l’on craint de voir se poursuivre pour la prochaine, tant la vision de ces décideurs est mauvaise alors que les besoins paraissent quotidiennement de plus en plus importants.

 

D’autre part, avec la balkanisation des services de prévention et de santé au travail, l’INRS aura les mêmes difficultés pour fonctionner avec ces services que celles qu’elle a actuellement. C’est pourtant essentiel car par ce biais cela lui permet : 

  • de transmettre l’information de la prévention sur le terrain,
  • de recueillir les signaux faibles du terrain,
  • et de réaliser des études et des expérimentations sur le terrain.

 

Mais cette balkanisation sans coordination des services de santé au travail complique approche alors qu'une solution pourrait passer par le biais des CPOM, contrats que les DREET et les CARSAT réalisent avec tous les services de santé au travail. Malheureusement, les DREET et les CARSAT n’ont pas vraiment investi ce nouvel outil alors qu'il suffirait d’une volonté des autorités de tutelle des DREET et des CARSAT.

 

Il est regrettable de ne pas mettre cette armée des services de santé au travail (plus de 15 000 personnes) au contact de toutes les entreprises et tous les salariés de France, en coordination ne serait-ce qu’avec l’INRS, les CARSAT, EUROGIP, l’OPPBTPSanté Publique France et l’ANSES. C’est d’autant plus dommage que l’intérêt devrait d’abord porter sur les PME et les TPE qui ne bénéficient pas suffisamment des enrichissements de la prévention.

 

« Renforcer la prévention : on accélère ? »
 

C’est le titre. Oui mais il y a un point d’interrogation. Si l'on considère froidement ce qui est franchement nouveau, c’est la modification du réseau des ARACT et le renforcement du pouvoir des directeurs des services de santé au travail pour lesquels il manque un minimum de contreparties du statut et des formations.

 

D’autre part, il faudrait enlever quelques freins bien serrés pour permettre cette accélération.

  • La coordination des institutions : on vient de voir une possibilité avec les CPOM mais il peut y en avoir d’autres et cela ne concerne pas que les services de prévention et de santé au travail ; il y a parfois redondance des messages auprès des entreprises voire des messages divergents.
  • Une compatibilité entre les logiciels de santé au travail, ce qui permettrait au ministère d’avoir une vision exhaustive de la santé des salariés en France. Il suffit de le décider.
  • Une adéquation plus réaliste entre l’émergence et l’urgence des besoins en santé au travail pour l’INRS et son financement. Investissement qui, rappelons-le, permet d’éviter des dépenses bien plus importantes en termes de sinistralité et de dysfonctionnement des entreprises. Ce n’est que de la bonne gestion en termes de macro-économie.
  • Le blocage de formation des médecins du travail par la règle obsolète des universitaires exigeant cinq ans d’attente pour les généralistes qui veulent devenir médecins collaborateurs, ce qui crée un bouchon inutile. Sans parler des quatre ans de collaborateur, ce qui paraît disproportionné pour des généralistes diplômés, surtout au regard de l’urgence des besoins que tout le monde signale.
  • Enfin, la formation des infirmières doit être accélérée et le recrutement de médecins inspecteurs dynamisé.

 

En conclusion...
 

S’il n’y a pas de prise de conscience des difficultés prévisibles, le risque est celui d’une évolution vers la prochaine réforme qui pourrait ressembler à celle de l’ANACT et des ARACT, du moins pour les services de prévention et de santé au travail. Je ne suis pas sûr que cela soit le mieux, étant plutôt partisan de la subsidiarité et du vrai paritarisme, comme à l’INRS.
 

Dr Bernard Salengro

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