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11 / 03 / 2022 | 39 vues
Fabien Brisard / Abonné
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Et si la pleine santé était l'horizon de nos engagements mutuels ?

Alors que, dans le contexte électoral actuel, beaucoup s'interrogent sur le devenir de notre système de protection sociale, avec des approches pouvant sérieusement remettre les principes et les valeurs qui ont présidé à sa création en question, Éric Chenut, président de la Mutualité Française, qui vient d'animer un « grand oral » avec plusieurs candidats, a bien voulu livrer ses réflexions au CRAPS (*)...

 

Malgré des décennies de chômage de masse, il n’y a pas de fatalité à ce que notre pays ne renoue pas avec le plein emploi. Il doit donc en être de même pour la santé. L’espérance de vie sans incapacité très moyenne dans notre pays (63 ans pour les hommes et 64,5 ans pour les femmes), l’augmentation exponentielle depuis vingt ans des affections de longue durée, les inégalités d’espérance de vie entre catégories socio-professionnelles ne sont pas des fatalités.

 

Si nous avions pour ambition de placer le complet bien-être physique, psychique, social et environnemental comme horizon commune au cœur des politiques publiques, de l’action publique ? Si nous évaluions l’action publique à la capacité de progresser collectivement vers la pleine santé ? Et si pour prendre toutes décisions collectives, nous questionnions leurs effets en termes d’externalités pour la santé de la population ?

 

Nous savons tous que 80 % des déterminants de santé dépendent d’éléments exogènes au système de santé lui-même. Or, quand il s’agit de la santé, l'essentiel du débat public se concentre sur l’organisation du système de santé et, trop souvent même sur l’hôpital seulement. Or, ce dernier gagnerait à ce qu’on lui donne les moyens pour assumer et assurer ses missions et que tout soit fait, en matière de politiques publiques et d’organisation sociale, pour éviter le recours à l’hôpital, toutes les fois que c'est possible.

 

Pour pallier l’insuffisance de nos efforts en prévention, nous sommes collectivement contraints de toujours davantage financer le curatif. Au-delà du coût économique et social que cette perte de chance représente, les conséquences humaines sont considérables. Elle altère la perception du bien-être collectif et accentue les inégalités entre ceux qui peuvent investir sur leur bonne santé, leur alimentation, la pratique d’activité physique et sportive régulière, qui peuvent travailler dans des secteurs professionnels moins délétères pour leur santé et ceux qui ne le peuvent pas. Cela explique en grande partie l’écart d’espérance de vie entre catégories socio-professionnelles, qui constitue probablement la première et la plus choquante des inégalités dans notre pays.

 

Il est temps que nous mettions collectivement la même énergie à viser la pleine santé que nous en mettons à converger vers le plein emploi.

 

L’augmentation des dépenses de santé est utile si elle permet de se soigner mieux et plus. À un moment où la médecine se technicise, innove et où la population vieillit, il est illusoire d’imaginer que nous pourrions dépenser moins. Pour autant, il n’y a pas de fatalité à ce que les dépenses de santé augmentent plus vite que la richesse nationale, que l’effort à consentir pour se soigner et surtout rester en bonne santé nous oblige à arbitrer entre des dépenses de réparation, en privilégiant toujours le curatif.

 

Pour notre maintien en pleine santé et pour agir sur nos environnements personnels et professionnels, nous avons intérêt à investir sur la prévention ensemble, à travers l’éducation, la culture, les transports, le logement, le travail etc. Nous y avons individuellement intérêt pour que la facture n’augmente pas plus vite que nos ressources et collectivement pour le bien-être de la population et pour faire reculer les inégalités.

 

Il est nécessaire que ces choix ne soient pas des orientations arrêtées par des experts mais, au contraire, des priorités partagées et démocratiquement débattues. La démocratie en santé est un levier pour rendre ceux à qui les approches territoriales et de population vont s’appliquer acteurs. C’est un levier pour faciliter la bonne appropriation des prescriptions préventives et pour répondre aux besoins des gens tout simplement.

 

Notre culture de santé publique est largement perfectible (la crise sanitaire l’a montré), comme elle a prouvé qu’il était possible, en France et ailleurs, que les gens s’emparent des préconisations et les appliquent dès lors qu’elles sont comprises et accessibles, aussi contraignantes soient-elles.

 

À l’aube de transitions essentielles au plan environnemental, démographique et numérique, plutôt que de miser sur le « nudge » (qui est une forme de conditionnement socio-comportemental), où l’on fait de la prévention « à l’insu du plein gré » des bénéficiaires finaux, il semble au contraire plus utile de miser sur l’intelligence collective et sur la participation citoyenne en développant les capacités psycho-sociales de la population. Traiter les assurés sociaux comme des enfants immatures en s’appuyant sur du conditionnement comportemental est une forme de manipulation qui, à terme, peut être contreproductif en ce que ces pratiques altèrent la confiance dans l’action publique.

 

Chacun doit pouvoir décider en responsabilité de l’utilisation qu’il souhaite pour ses données de santé, sa participation à des programmes de recherche ou à des suivis de cohorte, sa contribution à l’émergence d’une médecine prédictive, préventive, participative et personnalisée. Mais pour cela encore faudra-t-il se donner les moyens de la nécessaire confiance des assurés sociaux en expliquant les enjeux et le champs des possibles, en contribuant à leur éducation populaire et citoyenne en matière de numérique en santé.

 

Si nous voulons que la responsabilité individuelle et collective se concrétise autrement demain que par des contraintes comptables pénalisantes pour ceux qui sont malades et, au contraire, privilégier et encourager la « pleine santé », il faut permettre à chacun d’être acteur et de ne pas être seulement sujet voire objet de soins.

 

En misant sur la démocratie en santé, en expliquant à chacun le sens de la protection sociale et en faisant progresser la compréhension de la citoyenneté sociale, nous permettrons l’émergence de comportements vertueux pour soi, et pour les autres. Nous nous prémunirons quant aux incompréhensions qui se sont faites jour entre l’individu et la société et entre sa liberté individuelle et la préservation de l’intérêt général.

 

Dans un système de protection socialisée, où l’essentiel des dépenses est mutualisé, il est indispensable de davantage consacrer de nos ressources pour prévenir les risques et à promouvoir la pleine santé, pour éviter des dépenses futures, le maintien en bonne santé et pour éviter les replis individualistes où certains ne veulent plus contribuer à la couverture de certains risques estimant que le comportement des autres n’est pas cohérent avec les intérêts collectifs.

 

La protection sociale garantit l’émancipation individuelle et collective en permettant à chacun de s’extraire du risque de misère/pauvreté suite à un aléa, à un problème de santé ou un accident de la vie et à la survenance d’un handicap ou de la perte d’autonomie. Par les couvertures en santé, par la prévoyance, par l’épargne retraite ou les couvertures de dépendance, la protection sociale est un facteur de cohésion. Pour ce faire, il faut que cette protection collective soit garantie dans le temps. Elle s’exercera et sera performante le jour où le besoin se fera hélas ressentir. Il est donc fondamental de l’inscrire dans la durée et d’en expliquer les finalités pour garantir la confiance indispensable à l’acceptabilité de son financement.

 

La méconnaissance du sens de la protection sociale ne doit pas aboutir à l’altération du vivre ensemble sous couvert de replis identitaires ou individualistes. Par la responsabilité individuelle et collective et par un engagement puissant sur la prévention, nous devons donner les moyens à tous de s’impliquer dans la prévention pour soi et pour les autres. C’est cela qui garantira la soutenabilité du système de protection sociale et fera en sorte que, en cas de risques inéluctables, la prise en charge, en soins et accompagnements, soit collectivement assumable.

 

La prévention est donc un engagement citoyen, un levier de préservation des solidarités et le moyen de réduire les inégalités à terme. Elle doit être un critère de fixation des orientations des politiques publiques et la pleine santé à l’horizon de nos engagements mutuels pour en évaluer les performances solidaires.
 

 

(*) Conçu dès sa création, il y a onze ans, comme un lieu de rencontres, d’échanges, de réflexions et de propositions, le Cercle de recherche et d’analyse sur la protection sociale (communément appelé CRAPS) est par nature indépendant de toute attache politique, philosophique et religieuse. Il a pour vocation opérationnelle de réunir les membres de la société civile les plus représentatifs dans son domaine d’action, en favorisant les échanges sur ce qui est constitutif de notre pacte républicain à savoir, la protection sociale.

Le CRAPS entend ainsi répondre à la seule question qui déterminera l’avenir de ce patrimoine commun : comment concilier les exigences économiques avec les principes d’égalité et de solidarité sur la base d’une répartition équilibrée des richesses ?

Ce think-tank est donc l'un des rares lieux où la protection sociale est appréhendée à travers toutes ses composantes : de l’Assurance-maladie à la médecine de ville en passant par l’hôpital, la famille, la vieillesse, la retraite, la dépendance, le handicap, l’emploi, le chômage, la formation professionnelle, les jeunes ou le logement social, sans bien sûr occulter son financement. Est-il besoin de souligner que cette quête serait vaine si elle n’était pas concomitante à sa conviction que seul le dialogue social est porteur de progrès, qu’il doit être permanent et qu’il convient donc de le renforcer ? L’enjeu est primordial : il en va de la survie de notre pacte républicain, de notre modèle de société donc de notre démocratie. La tâche est exaltante : participer à l’écriture d’une nouvelle page de l’histoire de la protection sociale afin de renforcer les amortisseurs sociaux face aux conséquences dramatiques d’une crise pérenne.

https://www.thinktankcraps.fr/

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