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17 / 07 / 2020 | 1362 vues
Olivier Brunelle / Abonné
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Le monde d'après des fonctionnaires des finances : changement de rythme sans changement de cap

Nous y sommes ! Le monde d’après pour les fonctionnaires de la Direction générale des finances publiques (DGFIP), c’est la reprise des réformes comme si de rien n’était ; changement de rythme sans changement de cap. Pire, en utilisant la crise pour conforter les soubassements de la réforme.


Une sorte de Saint Thomas à l’envers : on ne voit que ce qu’on croit. Il est vrai qu’en cette période, la chose est, elle aussi, contagieuse. Nous l’avons signalé au comité technique de réseau, nous tirons des enseignements radicalement différents (pour ne pas dire orthogonaux) de cette crise.

 

Nous pensions cette réforme dangereuse avant, elle l’est encore après. Quoi que le directeur général en dise, elle reste l’histoire des trois petits cochons : les maisons en paille, en bois et en brique. Il peut bien en effet faire passer les petits cochons de l’une à l’autre sous prétexte de les protéger, cela ne change en rien les intentions du loup et, au regard de leur âge moyen, les agents des finances publiques ont passé l’âge des histoires pour enfants.

 

L’objectif principal reste la réduction du réseau et la DGFIP a bel et bien l’intention de supprimer plus de 1 000 structures et pas toutes de petite taille, malgré vos dénégations. Tout cela après qu’on en ait supprimé un très grand nombre par le passé et parfois même au rythme d’une structure tous les quatre jours.

 

Nous nous accordons sur l’absolue nécessité de renforcer le rôle de conseil auprès des collectivités locales mais, comme d’autres, nous ne comprenons toujours pas les bénéfices de la séparation de la gestion et du conseil.
 

Que n’a-t-on tout simplement misé sur l’effet réseau en décloisonnant, en renforçant les coopérations et en faisant monter les pôles de soutien en puissance puisque le DG appelle de ses vœux des décloisonnements, des modes projet et des fonctionnements plus horizontaux qui sont autant de leçons de la crise sanitaire. Mais pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?
 

La mise en place des conseillers aux décideurs locaux, un peu en deçà du nombre d’EPCI d’ailleurs, derrière l’idéal affiché, dissimule mal la nécessité de réemployer des comptables auxquels, du fait de cette même réforme, il ne vous est plus possible de garantir un emploi de même nature, réalisant au passage quelques substantielles économies de rémunération.
 

Avec les services de gestion comptable, la DGFIP poursuit sa logique de concentration des tâches à la recherche de gains de productivité jamais démontrés dans des structures de taille plus importante à rebours de la résilience dont les petites structures ont fait montre. On nous agite la taille critique pour condamner les structures de moins de cinq agents en faisant mine d’ignorer que les vagues précédentes ont eu raison des structures de moins de trois et en évitant soigneusement de souligner que les unes comme les autres n’ont pas toujours été de cette taille. Il est vrai qu’un mensonge par omission n’est déjà plus tout à fait un mensonge.
 

Les points de contact (comme les verres du même nom) sont sans doute plus modernes, moins chers et remplissent partiellement le même usage, avec quelques inconvénients supplémentaires au passage, mais c’est oublier que leur principal office est de faire disparaître les lunettes, pas d’améliorer la vue. D’ailleurs où étaient ces points de contact pendant la crise ?

 

En quoi des permanences, que les agents expérimentés ont autrefois connues avant que les coupes dans les effectifs ne mènent à les abandonner, sont-elles une ébouriffante innovation, fûssent-elles négociées avec les élus ? On sait bien ici que leur espérance de vie est faible, même si les élus font quelques fois mine de l’oublier. Elles sont au service public ce que les « pop-up shops » sont au commerce de proximité : des opérations commerciales à vocation publicitaire.

 

Si encore ces points de contact constituaient des instruments de reconquête, vous avez délibérément choisi, la plupart du temps, de les substituer aux structures existantes, sans compter l’aveu bien tardif que constitue la réimplantation d’un point de contact dans des localités désertées à peine quelques années auparavant.
 

S’il s’agissait de réinvestir les territoires perdus de la République en renforcement du réseau actuel ou, ici ou là, d’inverser la logique en accueillant nous-mêmes certains opérateurs dans nos locaux, nous pourrions éventuellement en discuter. Mais la réalité est plus prosaïque : les dépenses liées à l’immobilier sont l'un des tout premiers postes de dépenses dans les budgets départementaux.
 

C’est sans doute ce qui nous vaudra bientôt de passer directement de l’« open space » aux espaces de « coworking » également sous prétexte de développer le télétravail. Dans le monde de l’entreprise, cette politique porte un nom, le « downsizing », qui consiste à réduire la taille des groupes ou unités opérationnels, afin de rendre l’ensemble du système plus rentable. On est bien loin des nobles principes affichés !


On est assez loin aussi du service public augmenté ou renforcé, de la proximité confortée. Ce n’est pas le réseau 2.0, c’est le réseau un point c’est tout. On est loin de la modernisation tant la motivation est en réalité vieille comme le libéralisme : réduire la dépense publique. C’est en cela (et en cela seulement) que cette réforme est dans l’air du temps.
 

C’est ce que le personnel qui s'est mobilisé à l’appel de l’intersyndicale a compris. C’est ce qu’ont compris certains élus qui ont refusé les agences comptables privant ainsi votre réforme d’un pan important et qui ne jouent guère le jeu de ces conventions qui n’engagent que nous, comme le démontrent vos propres statistiques. Bien sûr, on nous jure le contraire mais les chiffres affichés sont largement en deçà de vos réelles espérances. D’autant que, dans le même temps, d’autres politiques visant à dissuader le public de se rendre dans nos services se développent.
 

La crise sanitaire a ainsi permis d’installer la version maximaliste de l’accueil sur rendez-vous, celle ou plus aucun accueil physique n’est assuré. L’impatience de la population à retrouver un service plus traditionnel va toutefois vous obliger à y renoncer au moins temporairement. Mais il n’en reste pas moins que la stratégie multicanale a été quasi abandonnée au profit du tout numérique et que le public n’est plus le bienvenu dans nos services.
 

C’est si vrai que même le « zéro cash » s’est dépouillé de ses attraits d’allègement de tâches, d’amélioration des conditions de travail ou de lutte contre l’économie clandestine puisque le Ministre lui-même confiait un peu caricaturalement à la représentation nationale que le paiement en numéraire était le principal motif de visite à nos services. Il faudra tout de même se poser la question de ce qu’est un service public qui n’accueille plus de public.

La réponse ?

Un service ! Lequel peut évidemment être rendu par d’autres. Car le plus désagréable de l’affaire est là. Tous les services que nous ne rendons plus sont abandonnés à d’autres. Les officines de toutes natures, start-ups et autres « webhelps » prospèrent sur notre faiblesse ou assoient leur prétendue expertise sur les données que nous leur fournissons, faute de les exploiter nous-mêmes, la plupart du temps gratuitement qui plus est !

Nous sommes sûrs que notre fonctionnement ne vide pas les caisses mais notre départ remplit en revanche quelques poches. Si encore le besoin avait disparu... Nous croyons au contraire qu’il n’a fait que se renforcer et qu’il justifie une ambition renouvelée et des moyens confortés, pas des abandons successifs. C’est sans doute là que nous divergeons.
 

Nous ne pensons pas n’accueillir qu’un « public résiduel » dans un « réseau morcelé ». Personne ne met plus les pieds dans son agence bancaire mais les banques françaises qui ont des applications, des sites internet, des plates-formes et des centres de contact conservent le maillage le plus dense d’Europe et ses ajustements sont limités.
 

Certaines ont même théorisé le « phygital » alliant les meilleures pratiques d’accueil physique et les apports complémentaires du numérique avec des investissements ambitieux.
 

On peut le déplorer mais c’est ainsi, la DGFIP reste une administration du coin de la rue, l'un des derniers services publics de proximité là où beaucoup d’autres sont déjà partis. En ce qui nous concerne, il n’est pas question d’y renoncer. Mais notre discussion est peut-être déjà un peu datée et la réforme envisagée probablement dépassée alors que beaucoup entonnent l’air de la faillite de l’État par excès de concentration, rigidité structurelle, manque d’agilité et appellent à de profondes simplifications.
 

Le Président de la République lui-même semble avoir initié un renforcement du rôle et des responsabilités des acteurs locaux dont on distingue encore mal les contours mais dont on croit deviner le sens. Les maires prétendent avoir mieux géré la crise que l’État et réclament davantage d’autonomie. Les préfets ont retrouvé du lustre à la faveur de la gestion de crise et retrouvent de l’appétit.
 

Tout le monde s’accorde sur l’héroïsme du personnel de l’hôpital public mais, au lieu de remettre les réformes successives en cause ou de travailler à une reconnaissance concrète, certains en pointent déjà la prétendue hypertrophie administrative. De là à les débarrasser tous de ces tracasseries de comptable public, il n’y qu’un tout petit pas que certains n’hésitent plus à franchir.
 

Plus besoin d’agence comptable, de nouveau réseau de proximité (NRP), plus de convention, plus de responsabilité personnelle et pécuniaire… Mais, ne nous y trompons pas, plus de DGFIP non plus ! Nos querelles seront bien vaines. Est-ce là l'ambition de la direction ? Être le dernier directeur (même plus général) des finances publiques ? Une discussion, pourquoi pas... Mais une discussion pour quoi faire ?

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