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09 / 03 / 2020 | 117 vues
Jean Louis Cabrespines / Membre
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Retrouver l'espoir dans le partage d’une vision commune d’une autre économie

Participer, de manière consécutive, à des manifestations diverses dans le champ de l’économie sociale et solidaire peut faire attraper je-ne-sais quelle maladie qui nous aliterait de nombreux jours car c’est comme recevoir une giboulée suivie d’une clarté ensoleillée.

 

Ainsi, entre les universités d'été pour l'économie de demain (« UEED ») et « Droit de Cité », nous avons eu le froid puis le chaud qui nous fait croire que quelque chose est possible, qui nous donne le sentiment de ne pas être isolés dans une société où prédomine une seule parole et qui nous fait retrouver l'espoir dans le partage d’une vision commune d’une autre économie.

La vie associative est une composante essentielle de la vie du territoire et des politiques publiques.
 

Tout le monde associatif a répondu présent fin janvier dernier à la Cité Universitaire, à l'occasion de Droit de Cité. Si besoin était, il est venu montrer et démontrer combien la vie associative était une composante essentielle de la vie du territoire et des politiques publiques.
 

La dérive économiste nous l’avait fait oublier, le retour du partage d’idées, des valeurs républicaines et de la solidarité nous redonne les moyens de repartir dans nos régions avec la conviction qu’il existe encore des possibilités de raisonner autrement et de pleinement jouer le rôle de « fabrique du citoyen » que les associations ne devraient jamais avoir oublié.

 

Merci à l’équipe du Mouvement Associatif de nous donner l’occasion de telles rencontres et de nous permettre de vérifier le bien-fondé de notre engagement car il s’agit bien de cela : de l’engagement et de cette qualité humaine qui nous permet de partager et de ne pas vivre dans un isolationnisme narcissique et égotique.

 

De nombreux intervenants ont su pertinemment nous rappeler la force de notre contribution au lien social, à la citoyenneté et au maintien de ce que nous pouvons mettre en œuvre pour combattre les conceptions d’un individualisme forcené (ce que nous avions qualifié de libertarisme dans un précédent article).

 

  • D’ateliers en tables rondes

 

La richesse et le nombre des ateliers, tables rondes et séance plénières n’ont pas permis d’assister à tout et cela crée une frustration créative qui doit nous inciter à poursuivre nos réflexions. Que ce soit dans les ateliers ou lors de séances plénières, les débats étaient intéressants et pleins de conviction mais pas toujours où nous les attendions.

 

Nous avons participé à l’atelier sur l'« entreprise citoyenne : vers la fin de l’entreprise associative ? » : bonne question qui n’a pas trouvé de réponse complète mais qui a permis de dégager des pistes qui pourront être abordées ultérieurement, tant au sein du Mouvement Associatif que d’autres rencontres de l’ESS. Cette question est centrale, au moment où les modèles en place doivent évoluer mais ne pas oublier aux associations ce qu’elles sont et ce qu’elles représentent.

 

La participation à la table ronde sur « démocratie et citoyenneté » nous a complètement laissés sur notre faim face à une représentante du monde associatif dont le rôle s’est cantonné à faire valoir le débat national alors qu’il y avait beaucoup à dire sur cette question centrale de la relation entre ce qu’est notre construction républicaine et ce qui en est fait. Les représentants des instances constitutionnelles comme la députée Sarah El Haïry ou le président du Conseil économique social et environnemental, Patrick Bernasconi, ont su élever le débat, apporter des pistes de réflexion et parler de ce qui nous occupe notamment de l’éducation populaire.
 

Nous n’aborderons ici que la séance d’ouverture, tant elle a été riche d’enseignements.
 

De l’engagement...
 

Les propos de Philippe Jahshan (président du Mouvement Associatif) à cette occasion ont été de ceux qui donnent envie de poursuivre notre engagement, tout en gardant une vigilance accrue face aux atteintes que subissent bien des associations alors que leur rôle semble plus que jamais nécessaire. Il a souligné l’importance du déploiement d’une politique de soutien de la vie associative alors que la logique financière domine.
 

En effet, dans cette vision où ce qui domine est la rentabilité et le retour sur investissement financier, il convient de rappeler et de marteler que si les associations ne rapportent pas financièrement, elles sont des moyens uniques de vivre ensemble et de créer les moyens d’une cohésion entre les gens et avec tous ceux qui œuvrent pour l’intérêt général.

 

Alors, cette « longue place à la vie associative » est sans doute un combat à mener. Philippe Jahshan alerte sur la dégradation des situations locales des associations (ce que souligne Michel Abherve dans son blog : Chronique de la difficulté associative - janvier 2020), rappelant l’importance d’avoir une assurance plus grande et une meilleure protection du modèle économique des associations : « il ne doit pas y avoir de soumission ou de mimétisme à l'égard de l'État ou de l'économie de marché ». Ces enjeux socio-économiques sont à corréler avec l'évaluation.
 

Il souligne l’importance d’organiser une participation citoyenne et de l’articuler avec les collectifs de citoyens pour permettre la concertation, la consultation et la co-construction des politiques publiques.
 

Faire cohabiter une économie de marché et une ESS facteur de la cohésion sociale est un axe essentiel du maintien d’un vivre ensemble solide.
 

Ses propos se veulent unitaire, au moment où les paroles et les actes des représentants des pouvoirs publics ne sont pas en accord et au moment où de nouvelles orientations sont données risquant de grandement obérer la place des associations sur le territoire.
 

« Du contrat social »
 

Ce premier souffle a été suivi d’une intervention remarquable de Roger Sue (sociologue, administrateur de la FONDA et du Mouvement Associatif). Avec détermination, celui-ci a su nous rappeler que l'association crée la citoyenneté, elle en est la première borne, mais qu’il y a malaise dans la citoyenneté car certains troqueraient la citoyenneté par l'identité.
 

La citoyenneté est née du contrat social (ainsi que le disait Jean-Jacques Rousseau), lequel comporte deux étages qu’il faut articuler : un contrat civil et un contrat politique. Pour lui, la citoyenneté doit être un engagement et une volonté qu'il faut faire vivre. Cet investissement est la pierre angulaire de la citoyenneté.
 

Dans ce cadre, l’apprentissage de cet engagement ne peut se faire que par un apprentissage de ce qu’est la citoyenneté, et les associations en sont le fondement. Vouloir faire de l’engagement à travers un « service national universel » (SNU) est une erreur voire un danger s’il ne s’inscrit pas dans un processus et non comme un moment mimétique du service militaire. Il faut un service civique universel.
 

La voie associative doit s'articuler avec la participation, particulièrement dans ce cadre. Il a conclu en citant Alexis de Tocqueville : « L'association est la science mère de la démocratie, les autres sciences dépendent de celle-là ».
 

Ses propos rejoignent grandement ceux d’Éric Favey (ancien président de la Ligue de l’enseignement), pour qui ce SNU est « un assemblage hétéroclite, incohérent, irréaliste et surtout douteux du point de vue de ses intentions éducatives, formatives, politiques, culturelles et sociales ».
 

Dans son réquisitoire contre le SNU, le président de fédération de la Ligue de l’enseignement de l’Isère constate que, « sollicitées, les associations hésitent (...), interrogatives sur les intentions, parfois intéressées dans un contexte de difficultés de gestion ». Il met en garde : « l’éducation populaire va s’y abîmer » (3).
 

Le discours de l’État
 

Sans que cela ne constitue une réponse aux propos des deux intervenants précédents, Gabriel Attal (Secrétaire d'État auprès du Ministre de l'Éducation nationale et de la Jeunesse) a repris deux axes développés : le SNU et la diversité des financements.
 

Pour le SNU, il souligne l’importance d’une éducation morale et civique qui devrait être confiée à des associations, permettant ainsi aux jeunes de voir ce qu'est l'engagement. Pour lui, le SNU est un moment pivot dans l'engagement. La question de l'accompagnement est importante au moment où la demande aux associations est forte. Les injonctions sont multiples. Sans doute mais pas dans un contexte dont « le modèle est (…) aux antipodes de l’éducation populaire ». Il est « très fortement teinté de dimensions militaires » qui n’ont rien à voir avec « la pédagogie active » dont il [Éric Favey] se réclame. Les journées sont rythmées « autour de rituels compréhensibles dans un cadre militaire (marche au pas, disposition au carré et lever des couleurs) mais incompatibles avec des démarches de l’éducation active » tandis que les groupes sont structurés selon un modèle correspondant « aux organisations de casernement ».

Le militant interroge : « Pourquoi ne pas avoir choisi de promouvoir, soutenir et développer des dispositifs d’engagement qui ont fait leurs preuves avec les jeunes, par exemple les associations juniors, le service civique, les formes de volontariat européen et international ? » (4).

Il parle ensuite de la diversité des financements qui serait une source de liberté pour les associations. Elles doivent être  accompagnées depuis la « maison France service » jusqu’à des dispositifs comme les DLA (5). Mais il ne parle pas du désengagement de l’État, pour certains financements alors que, le matin même, une information inquiétante pour le monde associatif arrive.
 

Ainsi, l’annonce faite dans certaines régions de la fongibilité de fonds qui étaient jusqu'alors bien distincts est une très mauvaise nouvelle : nous avions déjà dit que 25 millions d’euros pour 1,8 million d’associations étaient insuffisants mais nous savions que, pour certaines, les postes FONJEP (1) permettaient de couvrir une partie des frais de personnel sur des missions précises et négociées avec l’État. Il s’avère qu’il y a aujourd’hui fongibilité entre les deux enveloppes, risquant de fait d’entraîner une baisse soit des financements FDVA (2) en région, soit de supprimer certains postes FONJEP. Une fois encore, on voudrait tuer les associations ou au moins ne pas reconnaître leur importance pour le lien social, la cohésion du territoire qu’on ne s’y prendrait pas autrement.
 

L’hybridation des ressources est une antienne qui ressort régulièrement dans l’ESS. Oui, il en faut mais mettre cela en avant comme une sorte de garantie de l’indépendance des associations, alors que les financements par les pouvoirs publics ne garantiraient pas l’indépendance, revient à avoir une vision idéologique de la place des associations ; c’est vouloir croire que les entreprises n’auraient que des intérêts philanthropiques pour soutenir les associations. Qui peut croire encore cela dans un monde où l’intérêt prime sur la solidarité ? C’est un prétexte au désengagement alors que les associations accomplissent souvent des missions de service public.
 

Il conclut en disant : « Le lien social se tisse dans les associations ; c'est la construction de la république du citoyen ». Ouf ! oui, nous sommes d’accord sur ce point.
 

Ce n’est qu’un début !
 

Une journée riche donc, qui nous a donné à réfléchir, qui a remobilisé (si nous en avions besoin) et qui a montré que la vie associative est un élément essentiel de la cohésion de notre pays.
 

Nous n’avions aucun doute sur ce point mais il est plus que jamais nécessaire que la voix des associations se fasse entendre partout et les mouvements associatifs provinciaux sont des regroupements qui doivent se développer et poursuivre régionalement ce qui s’est passé lors de cette manifestation.
 

De nombreux chantiers sont en cours et notre relation aux pouvoirs publics doit être réaffirmée comme un élément constitutif de l’expression citoyenne et de l’élaboration de réponses à tous les problèmes que nous rencontrons dans la construction d’une société avec moins d’inégalités et plus de réflexion et d’actions pour une plus grande justice sociale.

 

(1) Postes FONJEP : ce sont des aides de 7 000 à 8 000 € versées à des associations loi 1901 de jeunesse et d’éducation populaire par l'intermédiaire du FONJEP pour le compte de l'État. Ces aides soutiennent un projet qui nécessite l’emploi d’un salarié qualifié et sont attribuées pour trois ans renouvelables deux fois.

(2) FDVA « fonctionnement-innovation » : depuis 2018, le Fonds pour le développement de la vie associative (FDVA) est renforcé dans son rôle de soutien au développement de la vie associative. En plus du volet « formation des bénévoles », ce fonds de l’État finance également le fonctionnement ou les projets innovants des associations. Ce financement s’adresse essentiellement aux petites et moyennes associations, tous secteurs confondus (y compris associations sportives).

(3) Article Tout éduc' : « Lancement d'une seconde campagne de recrutement pour le SNU, un réquisitoire d’Éric Favey (Ligue de l'enseignement de l'Isère) », paru dans Scolaire, Périscolaire dimanche 2 février 2020.

(4) Idem.

(5) Dispositif local d’accompagnement (DLA) : le dispositif local d’accompagnement a pour objectif de soutenir les structures d’utilité sociale de l’économie sociale et solidaire, créatrices d’emploi, dans leur démarche de développement et de consolidation.

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