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21 / 07 / 2015 | 16 vues
Jean-Claude Delgenes / Membre
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Reconnaissance des pathologies psychiques liées au travail : préparons la prochaine étape

Au début de l’année 2014, Technologia publiait une étude sur la progression de l’épuisement professionnel en France. Celle-ci a permis l’ouverture d’un débat national. L’appel lancé en faveur de l’amélioration de la reconnaissance de l’épuisement professionnel au titre des maladies professionnelles (MP) a, à ce jour, recueilli plus de 10 000 signatures (www.appel-burnout.fr). Cette campagne a été ensuite reprise par un certain nombre de médecins du travail qui ont proposé leur propre texte qui a lui aussi reçu plus de 1 000 soutiens. Puis est venu le temps des politiques. La première phase de ce débat vient de s’achever avec la finalisation de la loi de modernisation du dialogue social dont plusieurs articles sont en faveur de cette reconnaissance.

Où en est-on aujourd’hui ?


À ce stade, la loi fait entrer la notion de « qualité de vie au travail » dans le droit du travail en lui donnant une valeur législative et plus simplement réglementaire. Il restera à poursuivre l’effort pour étendre cette avancée aux agents de la fonction publique.

La loi précise par ailleurs que « les pathologies psychiques peuvent être reconnues comme maladies d’origine professionnelle dans les conditions prévues aux quatrième et avant-dernier alinéas du présent article. Les modalités spécifiques du traitement de ces dossiers sont fixées par voie réglementaire ». 
 
Cette reconnaissance est-elle simplement une précision d’ordre sémantique ? Sans doute, mais il est intéressant que celle-ci soit enfin apportée. Il s’agit d’un jalon de plus vers l’amélioration de la prévention et de la prise en charge des victimes. Marisol Touraine, ministre de la Santé, a d’ailleurs pris position pour cette caractérisation professionnelle.

Cette avancée est néanmoins encore largement insuffisante. Si la loi invite à d’autres évolutions, ce texte ne change, pour l'instant, rien dans les faits par rapport à l’existant.

Quel est le cœur de ce problème complexe ?


À l’image d’autres nations (Japon, Allemagne, Belgique etc.), la France est confrontée à une forte progression des pathologies dites du surengagement. Notre dispositif légal de reconnaissance des maladies professionnelles est dépassé pour répondre à ce phénomène. Au risque de simplifier, précisons en quelques mots comment l’instruction d’une reconnaissance de maladie professionnelle se déroule afin de bien comprendre le dilemme actuel.

Le dispositif français prévoit deux procédures

  • D'un côté, un tableau qui recense les maladies professionnelles existe et cela pour une centaine de maladies.

Il permet d’éviter de monter un lourd dossier de reconnaissance. Le tableau décrit la maladie. Si après examen médical, la victime présente tous les symptômes exigés et réunit les conditions décrites dans le tableau de la maladie (par exemple, le cancer de la plèvre suite à une exposition à l’amiante), elle bénéficiera pour sa demande de reconnaissance en maladie professionnelle d’une présomption d’imputabilité professionnelle qui favorisera sa prise en charge rapide. Ce dispositif n’est pas propre à la France. Ainsi, il existe au Danemark un tableau qui intègre le stress post-traumatique. D'ailleurs, nous demandons à nous inspirer de ce dernier en France. Outre ce premier tableau, nous demandons la création d’un second tableau pour traiter les dépressions suite à épuisement professionnel.

Il faut bien comprendre que la marche vers un tableau des maladies professionnelles est un chemin ardu et éprouvant, pas simplement pour des raisons scientifiques ou médicales mais bien plus pour des raisons de négociation sociale entre les syndicats et le patronat. Il en a toujours été ainsi depuis le saturnisme. À l'époque, cette intoxication au plomb frappait surtout les salariés. Elle concerne aujourd’hui surtout les gens qui vivent dans des lieux insalubres. Cette maladie a été la première reconnue dans le tableau publié au décret du 25 octobre 1919, il y a presque un siècle. Cette inscription a permis aux victimes (comme celles de toutes les maladies inscrites au tableau par la suite) de bénéficier de cette présomption d’imputabilité. Ce dispositif évite de facto de lourdes démarches médicales, administratives, voire judiciaires aux victimes. Entre autres, cette reconnaissance du caractère professionnel de la maladie leur offre la possibilité de conserver leurs rémunérations variables, d’assurer la prise en charge de tous les soins nécessaires et peut, le cas échéant, donner lieu au versement d’une rente.

  • De l’autre côté, il existe un système complémentaire pour traiter toutes les maladies qui ne bénéficient pas du tableau.

C’est le cas pour les pathologies psychiques en lien avec le travail. Dans ce cas, la victime doit constituer un dossier exhaustif et déposer une demande auprès du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP). Pour que son dossier soit retenu, la victime doit alors démontrer que sa maladie est en lien direct et essentiel avec le travail et qu’elle pâtira d’une incapacité permanente très importante d’au moins 25 %. À titre de comparaison, un seuil d’incapacité professionnelle pour raison physique de 20 % correspond à une main coupée, un seuil de 25 % à un œil arraché. Sur le plan psychique, un seuil de 25 % renvoie donc à un handicap mental prononcé. Comme l’écrit dans une note du 4 juin 2015, la Fédération nationale des accidentés travailleurs handicapés (FNATH) dont le secrétaire général est signataire de l’appel : « le taux de 25 % prévu pour bénéficier du système complémentaire rend illusoire la possibilité pour une victime d’un « burn-out » d’entrer dans ce dispositif ».

En résumé : d’un côté, il n’existe pas de tableau pour reconnaître l’épuisement extrême en liaison avec le travail ; d’un autre côté, le système complémentaire, en posant d’emblée une condition excessivement difficile à atteindre, refoule à l’entrée toutes les gens en demande de reconnaissance. Précisons qu’en Suède tout le monde peut déposer un dossier sans restriction. Il sera alors analysé pour être reconnu ou pas en tant que maladie professionnelle.

Les victimes de pathologies psychiques exclues de toute possibilité de reconnaissance sont alors niées dans leur état, ce qui renforce par ailleurs la gravité de leur maladie et la durée de prise en charge qui est assumée par le seul régime général de l’assurance maladie financée par la collectivité.

Et maintenant, que va-t-il se passer ?


Remontons un peu le temps : le 22 juin 2011, le Groupe socialiste radical et citoyen et la Fondation Jean Jaurès organisaient à l’Assemblée nationale un colloque consacré à la souffrance au travail. Ce colloque se tenait sous la présidence de Marisol Touraine, alors députée d’Indre-et-Loire et présidente de la mission d’information sur les risques psycho-sociaux au travail. Quelle était la position d’un parti qui allait arriver au pouvoir un an plus tard ? Le rapport avance 15 propositions.

Citons simplement la proposition 14 : « Nous proposons également de supprimer le seuil d’incapacité de 25 % nécessaire à la reconnaissance du caractère professionnel d’une maladie en dehors du tableau des maladies professionnelles… Il n’est pas juste que les travailleurs aient à subir un tel parcours du combattant… »

De fait, qui peut prétendre que notre système de reconnaissance et la loi de modernisation du dialogue social voté récemment présentent plus de justice aujourd’hui qu’hier ? Qui peut affirmer que le système complémentaire joue vraiment son rôle ?

Après ces temps forts de la mobilisation dont on doit se réjouir car le débat a raisonné fort dans la Nation (et en premier au sein de l’Assemblée nationale), il sera difficile à l’avenir de faire comme si de rien n’était.

Lors des débats à l’Assemblée le gouvernement et les députes sont tombés d’accord pour retenir une modalité de travail adoptée par amendement. « Le gouvernement remet au Parlement, avant le 1er juin 2016, un rapport sur l’intégration des affections psychiques dans le tableau des maladies professionnelles ou l’abaissement du seuil d’incapacité permanente partielle pour ces mêmes affections ».

La prochaine étape se dessine. Une réflexion approfondie sera menée soit par un organisme spécifique, soit par un  groupe de travail dont on ne connaît pas encore la composition. Cette dynamique vise à procéder à une réelle mise à plat afin de revenir vers l’Assemblée et le Sénat et d’enrichir le dispositif existant. Il serait cocasse qu’un rapport soit diligenté pour simplement aboutir à ce que rien ne change sur une question centrale pour les univers de travail, appelant des réponses. Dans un sondage récent, les trois quarts des Français étaient pour une meilleure reconnaissance de l’épuisement professionnel au titre des maladies professionnelles.

Par ailleurs, Technologia, en partenariat avec l’IAE de Lyon - Université Jean Moulin, organise à Lyon le 24 septembre 2015, de 15h00 à 18h00, une rencontre publique consacrée à l'épuisement professionnel.
IAE de Lyon - Université Jean Moulin - amphithéâtre Malraux
Manufacture des tabacs
16, rue du Professeur Rollet

Enfin, le dirigeant du Parti socialiste, Jean-Christophe Cambadelis, a proposé au député des Yvelines Benoît Hamon de présenter une proposition de loi en titre sur le sujet plutôt que de procéder à des amendements sur le texte de la loi Rebsamen. Benoît Hamon a publiquement accepté cette responsabilité qui, espérons, aboutira à l’enrichissement du  tableau des maladies professionnelles et à l’application de cette fameuse « proposition 14 » contenu dans le rapport de Marisol Touraine.

Restez mobilisés !


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