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06 / 05 / 2014 | 6 vues
Matthieu Poirot / Membre
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De la génération Y à la question de l'inter-générations

Si vous tapez sur Google le concept « génération Y », vous aurez environ 24 600 résultats… La thématique des jeunes générations est à la mode et j’entends souvent qu’il est devenu « impossible de travailler avec ces jeunes ». Lors d’une conférence récente d’un programme « corporate » d’associés d’un grand cabinet de conseil en stratégie, ils devaient, me dit-on, faire des propositions sur la gestion de la génération Y. J'aifait part de mon étonnement : pourquoi parler d’une seule génération sans avoir de vision globale de l’intergénérationnel ? Après un grand silence, il y a eu comme un soulagement dans le regard de certains participants.

En réalité, la logique même des entreprises consiste bien souvent à distinguer et opposer les générations plutôt que de les rapprocher et les associer. On catégorise et on donne des recettes sur l’autre (le jeune, l’ancien etc.) comme incantation permettant de contrôler le cœur même du sujet : notre peur du vieillissement. Par définition, l’entreprise est le lieu de la répétition. Elle vise sa propre reproduction et sa stabilité. Comment y supporter l’idée que la vie a une fin ? La réponse est sans doute apportée par le grand psychosociologue américain Erikson : la générativité. Ce concept explique que nous supportons plus facilement l’idée de vieillir lorsque nous avons l’occasion de transmettre notre expérience aux prochaines générations. Lorsque cette possibilité est bloquée, l’existence semble avoir moins de sens et l’on se tourne vers une posture défensive et critique du présent. L’individu idéalise alors son passé, d’où le fameux « c’était mieux avant ». 

Une continuité

Le problème du stress dans les entreprises est souvent corrélé au changement auquel beaucoup d’entres elles doivent faire face. Au-delà d’un processus d’adaptation, ce changement entraîne une mutation dans l’ordre naturel de transmission du savoir d’une génération à l’autre. Mead distingue les cultures post-figuratives dans lesquelles les enfants sont instruits avant tout par la génération précédente ; les cultures cofiguratives dans lesquelles les enfants, comme les adultes, apprennent de leurs pairs ; et enfin les cultures préfiguratives dans lesquelles les adultes tirent des leçons de leurs enfants qui sont en quelque sorte des inconnus pour eux et qui vivent leurs propres expériences.

Or pour qu’un parent puisse faire face à l’angoisse du vieillissement, il doit pouvoir avoir l’impression de transmettre un héritage, de s’inscrire dans une continuité. Le changement actuel, parce qu’il valorise souvent les jeunes au détriment des anciens, engendre une entreprise préfigurative, dans laquelle la transmission générationnelle n’est plus possible. C’est précisément dans ce contexte qu’un choc des générations est une source potentielle de tensions relationnelles. Il dépend en grande partie de la générativité permise par l’entreprise. Un système partant du postulat que tous les individus sont égaux dans l’entreprise, risque d’engendrer une compétition entre générations. Paradoxe, un système favorisant une génération au détriment de l’autre peut également entraîner un phénomène de compétition.

La transmission générationnelle est ce qui nous permet de concevoir un avenir en dépit de notre propre finitude. La question n’est pas celle des générations mais celle de leur lien. C’est en oubliant cette question du lien intergénérationnel que beaucoup d’entreprises ont ouvert la voie aux tensions. Là encore, cette situation est souvent accentuée en raison de l’absence d’un véritable accompagnement du changement.

Normes sociales favorisées

Bien entendu, chacun au cours de sa vie a des besoins différents. Comme Jung l’a très bien décrit, « le midi de la vie est l’instant du déploiement extrême où l’homme est tout entier à son œuvre, avec tout son pouvoir et tout son vouloir. Mais c’est aussi l’instant où nait le crépuscule : la deuxième moitié de la vie commence ». Dans ce processus, chacun passe d’un besoin de reconnaissance extravertie (c’est-à-dire fondée sur les normes sociales valorisées) à une reconnaissance introvertie, orientée vers le développement de sa personnalité. C’est souvent dans la résistance à cette transformation intérieure que se dessinent des réactions émotionnelles et comportementales d’hyperactivité ou de dépression.

Dans le premier cas, la personne compense son deuil de la jeunesse pas une tentative désespérée de se prouver qu’il n’en est rien. La notion de passé est insupportable. Seul compte l’avenir qui est portée vers la progression. Dans le deuxième cas, la personne idéalise le passé en refusant de se projeter dans le courant de la vie. Seul compte le passé, porteur des bons souvenirs, refusant les potentialités du futur. La générativité intervient comme un moyen de réguler ces deux réactions extrêmes.

À ce stade, le travail change de fonction psychologique et la générativité permet de mettre en place cette transformation intérieure. À défaut de pouvoir satisfaire cet objectif, les gens changent de voie, de métier ou d’entreprise afin de trouver un environnement social permettant cette introversion. Pour les gens ayant d’importantes ressources sociales, c’est souvent la possibilité d’exercer une profession faisant place à la créativité personnelle qui apporte une solution. Les demandes d’entretiens d’anciens cadres qui souhaitent se reconvertir dans la psychologie ou le coaching ne se comptent plus. Pour ceux qui n’en n’ont pas les moyens, ils subissent cette transformation et s’enferment le discours conservateur du « c’était mieux avant » ; envieux de la jeunesse les entourant. Le manque de générativité entraîne la perte de sens, qui est l'un des grand facteurs de risques psychosociaux.

Cas pratique

Je suis contacté par la direction d’unité régionale d’une entreprise d’électricité afin d’accompagner une équipe technique sur la souffrance au travail. L’équipe est composée de techniciens, spécialisés dans l’entretien et la gestion de poteaux à haute tension. Sur ce type de travail, la connaissance historique des poteaux est extrêmement importante, sous peine d’augmenter un risque grave d’accident du travail. Il y a une dizaine d’année, la direction a légitimement décidé de compléter le travail de l’équipe par une gestion administrative de la distribution électrique. Cette réorganisation du travail nécessitant d’autres compétences, notamment informatiques ; d’autres salariés de niveau BTS ont été recrutés. Afin de les attirer, la direction a décidé de les rémunérer au même niveau que les anciens, souvent autodidactes. Sans qu’aucun accompagnement ne soit mis en place, les nouvelles générations ont été recrutées et c’était aux anciens de leur transmettre leur savoir-faire sur les poteaux.

On peut imaginer leur réaction. Comment accepter de transmettre son savoir-faire à des jeunes rémunérés à la même hauteur ? L’ancienneté ne compte-t-elle pas ? Sont-ils plus utiles que nous ? Très rapidement, ils se sont mis en résistance contre ce qu’ils vivaient comme une injustice. Cette situation a pris une tournure dramatique lorsque l’un des techniciens a eu un accident grave sur un poteau. Les consignes de sécurité n’étaient pas respectées car ce choc des générations avait entraîné un conflit majeur entre les membres de l’équipe : les anciens et les nouveaux, ceux qui résistent et ceux qui acceptent… Le collectif ne pouvait fonctionner en l’absence de générativité.

De nombreuses entreprises ont une courbe démographique en U, c’est-à-dire que la génération intermédiaire n’est pas présente. Nous pouvons retrouver ce type de courbe dans les banques de détail, dans de nombreuses collectivités territoriales, dans des agences commerciales… L’âge moyen y étant élevé, ces entreprises y remédient en recrutant massivement des gens ayant la vingtaine d'années pour ainsi compenser les futurs départs. La génération des salariés entre 30 et 44 ans, elle, a été victime du gel des embauches.

Sommes-nous impuissants face à phénomène ? Non. En concertation avec les IRP, de nombreuses actions préventives peuvent être mises en place par l’entreprise. Attention, nous parlons ici d’investissement ! Ces actions nécessitent l’allocation d’un budget spécifique nécessaire à l’obtention de véritables résultats :

  • vérifier que la gestion des générations et des âges soit dans l’agenda stratégique de l’entreprise ;
  • mettre en place une politique de prévention de l’usure au travail pour favoriser l’emploi des seniors ;
  • mettre en place une politique de recrutement visant à équilibrer les différentes générations, pour éviter une courbe en U ;
  • favoriser la variété des tâches et des compétences ;
  • mettre en place du tutorat et du mentorat ;
  • proposer des temps d’échange entre générations sur la reconnaissance partagée ;
  • favoriser l’équilibre de vie professionnelle/personnelle ;
  • sensibiliser les managers sur l’intergénérationnel et pas sur une seule génération ;
  • équilibrer le système de reconnaissance sur les dimensions de l’égalité et de l’équité, sur les performances individuelles et collectives ;
  • mettre en place une politique d’anti-discrimination de l’âge ;
  • accompagner la carrière en fonction de l’âge. Les besoins varient également en fonction des situations de vie.
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