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04 / 10 / 2012 | 19 vues
Jean-Louis Lascoux / Membre
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Les organisations sont-elles pathogènes ?

Les risques prycho-sociaux mobilisent de nombreux intervenants et observateurs du monde des organisations. L'appellation même n'est-elle pas un parti pris ?

À l'occasion d'une conférence en Corse organisée par la DIRECCTE et l'ARACT, avec le concours de la CPMN, il a été flagrant que dans le domaine relationnel, des points de vue différents s'expriment sur les causes de la souffrance au travail.

Les organisations sont-elles la cause de la souffrance au travail ?

La question aurait pu être de savoir par quel bout prendre la souffrance au travail. Les uns sont tentés de se disperser et pour empêcher cela, des spécialistes choisissent de souligner que l’on n’aborde pas un sujet en traitant les victimes, mais en traitant les responsables. Vu sous cet angle, selon eux, la personne est victime et le système est responsable. Ainsi, il faudrait commencer par examiner les organisations et voir ce qui ne va pas. Comme on constate qu’il y a des choses qui ne vont pas, poursuivant sur cette lancée, on devrait considérer qu‘il y a des dysfonctionnements et s’interroger sur le caractère éventuellement pathogène des organisations. La question est arrivée, via des « on », des approximations et des éventualités. Peu importe sa pertinence. L'engrenage d'inductions et de déductions est tel que l’idée s’impose : les systèmes sont pathogènes, il faut y remédier. Sous cette optique, il s'agirait d'une intervention de type médical : l'organisation doit être soignée. Avant cela, les spécialistes doivent se mettre en ordre de marche : sociologues, psychologues, soutenu par un corps médical conquis. Un travail d’analyse est réalisé et les spécialistes des statistiques mettent en place les batteries (de tests) pour aller à l'assaut des systèmes  contaminant. Le champ d’investigation apparaît sous la forme d’un terrain de chasse aux phénomènes distordus et il faut mettre des traqueurs sur la piste.

Faut-il revenir sur la question initiale ? Vu le corps expéditionnaire en place, cela paraît un peu risqué pour sa propre crédibilité. Il est clair que l'accueil ne saurait être favorable : pourquoi revenir sur l'accroche alors que toutes les portes semblent ouvertes pour rentabiliser les souffrances, au moins en notoriété ?

C’est ainsi, par le biais de l’organisation que Xénophon Vaxevanoglo, ergonome, maître de conférence à l’Université de Lille II, se fait le porte parole de la thèse des « risques psycho-sociaux ». Dans un échange très bref que j’ai eu avec lui, il a convenu que sa question véhicule la réponse : pour lui, c’est l’organisation qui est la cause de tout. D’ailleurs, il n’est pas économe de chiffres, d’affirmations péremptoires, d’intonations et de moues scandalisées. Il puise dans la démonstration sociologique. Il accumule les réponses généralisatrices, questionnaires à l’appui, citations d’auteurs et boutades diverses. Selon sa manière de présenter les choses, il a pour sa thèse toute une avalanche de preuves. Le spécialiste affirme que les organisations sont pathogènes ou qu’elles le deviennent. Ne serions-nous pas en pleine fiction ? N’allons pas plus avant. Il convient de s’arrêter sur cette assertion et d’en comprendre le sens et les implications.

L’anthropomorphisme comme approche des problématiques relationnelles en entreprise


Le point de vue de l’ergonome tend à donner une vie à une organisation, en usant de la proximité avec l’idée de la personne morale. Chemin faisant, il lui prête une conscience, une volonté, une intentionnalité, voire des états d’âme et une mémoire organisationnelle. Le système, combiné de réalisme orwellien et de méandres kafkaïennes, dopé à l'idée de la mémoire collective, empruntererait à l’humain toutes ses caractéristiques en usant d’un mystérieux moyen de transfusion.

Cette manière de traiter d’un sujet est une nouveauté de l’anthropomorphisme sociologique. Elle résulte des analyses systémiques amorcées au XXème siècle. Par exemple, une administration prendrait vie et imposerait des fonctionnements ; le service d’une entreprise, hérité de personnes parties à la retraite, continuerait de fonctionner en imposant ses pratiques à des personnes qui ne pourraient que s’y soumettre. Des personnes en seraient victimes et seuls le diagnostic et le traitement psycho-sociologique pourraient avoir un effet. On boucle, c'est la justification.

Mais il conviendrait de se souvenir que le postulat est métaphorique pour ne pas s’emballer. Trop tard. L’auditoire est embarqué dans l’écrasante source de données chiffrées qui habillent de rationalité cette élucubration autant poétique qu’intellectuelle. Tout le monde est déresponsabilisé : dirigeants, subalternes, salariés, actionnaires, personne n’y est pour quelque chose, c’est le système qui part en vrille. 

  • Cette représentation écarte le rôle et la responsabilité des personnes en leur attribuant une position victimaire. Étendue à l’ensemble de la société humaine, la fable est dotée de multiples courbes à faire plier les contradicteurs.
  • Il conviendrait de se souvenir qu’il s’agit d’une métaphore lorsqu’on attribue des traits de caractères humains aux organisations. Trop tard. L’idée est retenue comme une réalité. Un tour de magie conceptuel passe pour la réalité. Pourtant, c’est avec cette approche que des voies de réflexion sont tracées. La combinaison est faite avec le point de vue psychanalytique qui s’immisce et se répand.


L’organisation aurait un système inconscient, des aspirations, une résistance au changement, des propensions à induire du bien-être ou du mal-être. Les systèmes mis en place selon des lois de type organique seraient porteurs des travers d’autant moins maîtrisables qu’ils seraient amplifiés et dénaturés par le phénomène systémique. L’individu, esseulé face à cette masse polymorphique invisible, ne pourrait qu’en être le jouet. Placé dans cet imbroglio, la personne serait susceptible d’être contaminée par les vicissitudes organisationnelles transformées en virus psycho-sociologiques. Tout le monde est concerné : c'est le système qui est en cause, laissez les spécialistes s'installer. On passe de la souffrance au travail, qui peut provenir autant des conditions de travail que des relations interpersonnelles (génératrices de tensions, de frustrations, de revendications, d’insatisfactions) aux risques psycho-sociaux.

Quand la fiction est appelée à la rescousse des théories poussives


Des observateurs se risquent pourtant à dénoncer ce qu'il se passe. Mais ils le disent en confidence : « il s’agit d’un phénomène de mode, laissons passer la vague ». Pour d’autres, « on plane sur un univers morbide qui s’asphyxiera par manque d’air ».

En attendant, ce phénomène de mode entraîne pratiquement toutes les personnes qui se sont penchées sur leurs propres difficultés relationnelles et la « gestion de leur stress » sans parvenir à se redresser. Il attire tous ceux qui sont prêts à se laisser convaincre par la pertinence de cette approche fantastique de la « psycho-sociologie » où les qualificatifs scientifiques font taire les sceptiques. Les spécialistes élèvent des chaires. Ils nomment laboratoire leur bureau pour créer l’ambiance scientifique de leurs pensées. Ils sympathisent avec l’émotion de ceux qui cherchent à comprendre leurs propres turpitudes et enveloppent de mystère l’univers de leurs montages où la raison emprunte plus au mysticisme qu’à l’observation. Ils racontent à leur manière un nouvel épisode de Matrix, le célèbre film d’Andy et Lana Wachowski.

  • Pris sous cette angle, on pourrait dire que l’on prend des coups de soleil parce que le système solaire est pathogène, que l’on a des accidents de la route, parce que le système autoroutier est pathogène, que l’on se coince le doigt dans le clavier de l’ordinateur parce que les octets participent d’un système pathogène etc. En bref, que l’on est malade parce que notre organisme est pathogène. Le pandémonium n’est pas loin. Pour aller jusqu’au bout de cette conception de l’existence, et ces spécialistes ont les pieds dedans, que la vie, en tant que système organisationnel de la conscience, est un phénomène universel pathogène.

 

... ou faut-il aider les personnes à s'affirmer ?


Pour passer derrière ce genre d’exposé, qui séduit par son côté magique, et refaire poser par terre les pieds de l’auditoire, ce n’est pas simple, surtout quand en plus, les personnes concernées par une problématique bien concrète sont sommées de se taire.

Pourtant, sur le terrain, après les questionnaires et diagnostics coûteux, ce qui reste, c’est de mettre en place des moyens concrets pour accompagner le développement de la qualité relationnelle. Et c’est là que les médiateurs professionnels ont leur pratique d’aide aux organisations avec notamment les conventions ViaMediation et le contrat cadre éthique et médiation.

  • Prochain rendez-vous : conférence le 22 janvier à partir de 18h00, à l’ICG de Bordeaux.

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magnifique démonstration du fétichisme réductionniste et rationaliste, si on trouve la cause, alors on peut intervenir sur les effets. Les effets deviennent l'urgence car une fois la coupable démasqué(l'organisation et son responsable), on peut sortir nos questionnaires biaisés par construction. On oublie la mesure du réel, la probabilité sur un échantillon croupion est suffisante! On oublie l'objectif, le lien et la construction socioéconomique du travail, l'essentiel quoi, avec "sens" dedans