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05 / 02 / 2018 | 5 vues
Denis Garnier / Membre
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La prévention de la santé au travail doit s’émanciper

De la médecine à la santé au travail ou inversement...

Depuis quelques années, un frémissement se remarque pour que la santé publique s’élargisse au domaine de la santé publique ou inversement. Comme affirmé dans un précédent article, la médecine du travail est certainement la spécialité la plus complète en matière de prévention de la santé de la personne. Mais la santé au travail est pour le moment le domaine réservé des seuls employeurs en matière de financement.

La stratégie nationale de santé 2018-2002, le plan de santé au travail 2016-2020 et le plan d’actions de santé au travail dans la fonction publique 2017 sont des vecteurs de ce frémissement. Mais comment cela peut-il se traduire sur le terrain ? Est-ce que ces programmes de bonnes intentions vont se traduire en espèces sonnantes et trébuchantes ? À défaut, des propositions peuvent s’exprimer.

Stratégie nationale de santé 2018-2022

Dans une volonté de maître d’œuvre de la politique de santé en France, le ministère de la Santé veut « promouvoir la santé au travail, développer une culture de prévention dans les milieux professionnels et réduire la fréquence et la sévérité des pathologies liées aux conditions de travail » (voir ici page 22).

À cet effet, cette stratégie nationale préconise pour les prochaines années de :

  • mettre en place une politique globale de santé et de qualité de vie au travail dans l’ensemble des milieux professionnels publics et privés ;
  • développer la prévention en milieu professionnel dans une approche globale de la santé en améliorant la coordination des acteurs, en intégrant mieux les services de santé au travail dans le parcours de santé, en prenant en charges les pratiques addictives et en renforçant la prise en compte de la prévention des risques professionnels dans la formation des futurs salariés et dirigeants des entreprises.

Plan de santé au travail 2016-2020

L’élaboration du PST 3 (ici) a montré avec succès la capacité de tous les acteurs à se mobiliser sur des objectifs communs. Il est le fruit d’une méthode originale et d’une concertation étroite entre les acteurs de la prévention, un peu à l’image de ce qu’a pu réaliser la fonction publique avec ses accords de 2009 sur la santé au travail et 2013 pour la prévention des risques psychosociaux.

Dans ce contexte, la santé n’est plus abordée uniquement à travers le prisme de la pathologie mais selon une approche qui privilégie la promotion de la santé et le bien-être des travailleurs.

Enfin, le plan vise à dépasser une approche segmentée des risques, qui s’adresse souvent en priorité à des spécialistes, pour adopter une approche plus transversale, en croisant les politiques publiques. C’est ce qu’illustrent par exemple les actions sur la prévention des addictions au travail ou celles sur les maladies cardio-vasculaires, qui abordent à des risques multifactoriels à l’interface de la santé au travail et de la santé publique.

Feuille de route gouvernementale, le PST vise à traduire une ambition partagée et de constituer un socle commun pour la définition et la programmation des actions de l’ensemble des partenaires institutionnels, notamment des principaux réseaux de prévention, qu’il s’agisse de l’État et de ses services déconcentrés, de la branche accidents du travail-maladies professionnelles (AT-MP) de la CNAM, dont la convention d’objectifs et de gestion (COG) pour 2014-2017 renvoie elle-même au plan de santé au travail, ou des services de santé au travail.

Plan d’action de la santé au travail dans la fonction publique

La santé au travail est devenue une nouvelle catégorie dans la fonction publique.

Deux accords majoritaires ont été signés pour ses trois versants (État, territoriale et hospitalière) en matière de santé et de sécurité au travail (22 novembre 2009) et de prévention des risques psychosociaux (20 octobre 2013). Un plan d’action pluriannuel en matière de SST a été publié par la DGAFP (28 mars 2017).

Ce plan est un nouveau pas qu’il faut saluer car il prolonge ces accords par une volonté affichée de faire de la santé au travail un axe prioritaire de la politique des ressources humaines de la fonction publique qui porte sur plus de 5 millions de travailleurs.

Un décret du 22 décembre 2016, donne à la Direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP) un rôle nouveau et tout à fait central pour élaborer les règles relatives à la santé et à la sécurité au travail, ainsi qu’à la prévention des risques professionnels et à l’amélioration des conditions de travail dans les trois versants de la fonction publique. Elle assure aussi les missions de direction des ressources humaines de l’État pour définir les orientations en matière de promotion de la qualité de vie au travail et de protection de la santé et de sécurité au travail des fonctionnaires.

Ce n’est pas encore effectif sur le terrain car les administrations de l’État n’ont pas l’habitude de travailler ensemble sur ces sujets. Mais l’impulsion de la DGAFP devrait permettre ce décloisonnement non seulement entre les différents ministères mais aussi entre les trois versants de la fonction publique. Comme dans le secteur privé, la fonction publique passe de la médecine de prévention à la santé au travail.

Et maintenant ?

Une stratégie nationale de santé, un plan santé au travail pour le secteur privé et un plan d’action pour la fonction publique, la santé au travail est invitée à tous les niveaux et cela va dans le bon sens. Ces différents supports manquent toutefois de stratégie d’ensemble.

La question des moyens consacrés à cette politique reste entière car, jusqu’à maintenant, la santé au travail est une obligation à l’adresse des employeurs, administrée à travers des services de santé au travail qui sont entièrement financés par eux. Si tout ceci va dans le bon sens, les mesures concrètes pour les accompagner ont, pour l’instant, le caractère de bonnes intentions « pour les prochaines années », pour reprendre le titre d’un chapitre de cette stratégie nationale de santé.

Sur le terrain quelles sont les synergies qui vont permettre la mise en œuvre de cette stratégie ? Comment, dans un bassin d’emplois, dans un département ou une région, les pouvoirs publics vont arriver à changer les habitudes lorsque ces dernières dépendent entièrement de la seule bonne volonté et du seul financement des employeurs ?

Ce ne sont ni les lois sur le travail, ni les réductions des dépenses de santé imposées par la dernière loi de financement de la Sécurité sociale, dont baisse des moyens de l’INRS, qui peuvent crédibiliser la volonté affichée par ces documents.

Des bonnes intentions qu’il faut traduire dans les faits

Oui, la santé au travail est un domaine de santé publique. Il ne suffit pas de le dire, il faut le démontrer. À ce jour, la santé au travail et sa prévention sont entièrement sous la coupe de la bonne volonté des employeurs. Même le rapport « Bien-être et efficacité au travail » de février 2010, cosigné par l’actuelle ministre du travail, n’a pas eu de prise sur ce constat.

Dire que la santé au travail est un domaine de la santé publique sans l’assortir de mesures concrètes et financées, c’est un peu comme si l’on voulait se convaincre de la généralisation prochaine des généreuses entreprises citoyennes.

La prévention des risques professionnels dans un cadre de santé publique doit sortir des murs de l’entreprise et connaître des sources de financement complémentaires.

Quelques propositions pour l’émancipation de la prévention de la santé au travail

La démarche de santé au travail est interdisciplinaire, associant employés et employeurs, dans le but de créer un lieu de travail favorable, à la santé pour les travailleurs, à la productivité pour l’employeur et à lutter contre la « discrimination » selon l’état de santé. Elle doit être la résultante des politiques publiques portées par l'État, la CNAM et les services de santé au travail. Elle doit reposer sur des acteurs internes à l’entreprise (IPRP, CSST, etc.) et des acteurs externes, le service de prévention de la santé au travail. (médecin du travail à la tête d’un équipe pluridisciplinaire et organismes divers).

Les propositions ci-dessous sont des pistes pour que la prévention de la santé au travail ne dépende pas seulement de la bonne volonté des employeurs.

  • La cotisation accident du travail doit répondre à la fois à l’indemnisation mais aussi à la prévention (taux différenciés).
  • Un taux de cotisation pour la prévention de la santé au travail (services de santé au travail) doit être fixée au plan national.
  • Pour concrétiser la volonté de l’État de placer la santé au travail au cœur des politiques publiques, la cotisation prévention de la santé au travail devra s’appliquer à tous les employeurs de la fonction publique.
  • Création d’un fonds national, régional et territorial de prévention de la santé au travail pour animer un réseau de prévention de la santé au travail au service de la recherche en santé au travail, des entreprises, de la fonction publique et donc des travailleurs de tous les secteurs d’activité, y compris les travailleurs non-salariés. Des rapprochements négociés devront s’opérer entre les CARSAT, SST, SSTI, CROCT, OPPBTP, INRS, ARS, CCPP des CHU, FNP etc. Les services de prévention de la santé au travail se situeront en dehors du site des entreprises, dans un espace géographique limité, intersectoriel et à la disposition des entreprises du secteur privé, du secteur public et de la fonction publique. Ce service sera en relation étroite avec les employeurs et leurs services de prévention internes lorsqu’ils qui en seront dotés.
  • Si la santé au travail est un domaine de la santé publique, elle doit s’ouvrir aux travailleurs non-salariés et aux 3 millions de dirigeants de TPE. 

Ainsi, les ambitions de la stratégie nationale de santé 2018-2002, du troisième plan de santé au travail, du plan d’action santé de la fonction publique, deviendront accessibles.

Le débat est ouvert.


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