Organisations
Les organisations matricielles sont-elles performantes ? Faut-il en revenir à l'unité de commandement ?
Plus  encore qu’en économie et en sociologie, la pensée managériale semble  fonctionner par modes successives et grands mouvements de balancier au  sein d’une tendance longue.
      
                  Henri Fayol a longtemps dominé la pensée managériale en prônant l’unité de commandement. L’administrateur, devenu gestionnaire, manager puis leader conserve globalement les mêmes rôles :
- prévoir : anticiper et planifier ;
 - organiser : munir l'entreprise de tout ce qui est utile pour son fonctionnement, ressources humaines, financières et matérielles ;
 - commander : indiquer les tâches et instructions aux membres du corps social ;
 - coordonner : mettre l'harmonie entre tous les actes d'une entreprise de manière à en faciliter le fonctionnement et le succès ;
 - contrôler : vérifier que tout se passe conformément au programme adapté aux ordres donnés, aux principes admis et signaler les fautes et les erreurs afin qu'on puisse les réparer et en éviter la répétition.
 
Dès la fin du XIXème siècle, Frederich Winslow Taylor était partisan d’une forme d’organisation qu’on appellerait aujourd’hui matricielle au niveau de l’encadrement de proximité (ce qu’il appelait des « functional foremen  ». Pourtant ce n’est pas par ce biais que l’organisation matricielle  s’est progressivement installée dans le paysage des entreprises.
Sa  mise en place a débuté avec le développement de l’organisation par  projet, initialement pour accélérer le lancement de nouveaux produits.
L’accroissement  de la taille des entreprises, les nouveaux outils de partage des  informations et des pratiques ont conduit à un pilotage matriciel  croissant de la part des sièges sociaux, les directeurs fonctionnels  (RH, finance, qualité, environnement, informatique, directions  techniques) animant fonctionnellement leurs homologues de sites.
La  création des centres de services partagés a contribué à la progression  du matriciel. Là où les directeurs de site disposaient d’équipes  fonctionnelles (RH, formation, informatique, gestion) en appui à leur  politique, ces dernières ont été regroupées dans des centres de service  partagés. Ces centres de services partagés, une fois créés, ont tendance  à poursuivre l’optimisation de leur fonctionnement en uniformisant les  pratiques, ce faisant ils accroissent fréquemment les contraintes sur  les opérationnels.
L’unité  de commandement s’appliquait dans les entreprises au sein de directions  métiers et de directions de site disposant d’une forte autonomie, le  fonctionnement matriciel s’impose peu à peu en lieu et place, pour la  coconception des projets (directeur métier/ directeurs de projet) et  pour la gestion en local des contraintes multiples (CSP, DRH, RSE,  qualité, pilotage fonctionnel métier…).
Cette  évolution vers le matriciel semble créer des difficultés croissantes au  sein des entreprises. Trois types de problèmes ressortent des échanges  que nous avons régulièrement avec nos adhérents (et en particulier les  plus internationaux d’entre eux).
L’organisation matricielle est critiquée par les salariés, au premier rang desquels les managers (perte de légitimité de la hiérarchie ou même perte de la capacité à identifier la hiérarchie « on ne sait plus qui est le chef »  écrivait en 2002 un ancien d’E&P). La situation semble s’être  tellement dégradée que les postes de manager n’attirent plus : voir  notre étude récente « manager de proximité, non merci ».
- Les syndicats sont également très critiques sur ce type d’organisation. Lubiku Mankieba de la CFDT d’Alcatel Lucent en donnait une illustration parlante lors du colloque 2011 de l’observatoire des cadres : « Sur le site de Lannion, dans le pôle regroupant des activités liées à la réalisation des contrats grands comptes, la CFDT a recensé 286 personnes dépendant de 49 managers répartis sur 17 sites dans le monde ». Ils le sont d’autant plus qu’elle vient limiter leur capacité à négocier les changements au niveau local avec une direction locale qui, désormais, n’a plus de pouvoir.
 
Cette  évolution perturbe enfin les États qui ont plus de difficultés à  identifier et, le cas échéant, poursuivre les responsables du non-respect  de la législation nationale. 
Est-ce à dire qu’il faut revenir sur l’organisation matricielle ? La question semble en tout cas désormais ouverte.  Si l’organisation matricielle ne parvient pas à trouver les compromis  conduisant à son acception par le corps social, elle sera abandonnée.
Le  livre de Vineet Nayar, Les employés d’abord, les clients ensuite (éditions Diateino) ouvre une autre piste.  Pour Vineet Nayar, il est  primordial que les salariés opérationnels au contact des clients aient  confiance dans le soutien qu’ils pourront obtenir de leur entreprise  pour répondre aux attentes de leurs clients. Les services fonctionnels  doivent donc être clairement au service des opérationnels. Il ne faut  pas en effet se méprendre sur le titre du livre de Vineet Nayar. Si pour  ce dernier, le dirigeant d’entreprise doit s’occuper en priorité de ses  employés, c’est que le véritable hiérarchie des salariés est le  client. Le dirigeant d’entreprise a essentiellement une mission  d’organisateur du support technique aux opérationnels.
Comme l’écrit un autre ancien d’E&P, Eric Delavallée, la transformation à opérer est peut-être moins du côté de l’organisation que du côté du  management :  le manager doit se mettre au service de ses collaborateurs, parce que  leurs vrais hiérarchies sont leurs clients. L’unité de commandement  peut ainsi être restaurée.
On comprend alors mieux que l’organisation matricielle se développe  davantage dans les métiers de service dans lesquels le travail avec le  client est essentiel que dans les sites de production industriels.
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