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31 / 01 / 2019 | 294 vues
Didier Cozin / Membre
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Développement des compétences : une obligation de résultat pour les entreprises de plus de 50 salariés ?

Face au manque de compétences de certains salariés et à la faible compétitivité de notre pays, les lois de mars 2014 et de septembre 2018 ont introduit de nouvelles obligations de formation pour les employeurs de plus de 50 salariés.
 
La réforme de la formation du 5 septembre 2018 modifie les obligations des employeurs.
  1. L'obligation première d'adaptation des salariés à leur poste de travail perdure. Que ce soit via des obligations règlementaires (comme des permis ou des habilitations) ou l'obligation de maintien de l'employabilité à travers une jurisprudence renouvelée depuis 1992 (et encore réaffirmé par la Cour sociale par un arrêt rendu le 20 septembre 2017), l'employeur doit avoir réalisé tous les efforts d'adaptation et de formation pour que son salarié puisse occuper son poste de travail et ne pas être licencié ou déclassé pour cause de progrès technique ou de changement dans son travail.
  2. Une nouvelle obligation (posée dans la réforme de mars 2014 puis reformulée et précisée par la loi du 5 septembre 2018) : avoir organisé les 3 entretiens professionnels et un état des lieux récapitulatif sur six ans (mars 2014-mars 2020) et avoir mené une action de formation (autre qu'obligatoire) sur une durée de six années (mars 2014-mars 2020).

Cette nouvelle obligation implique à la fois une prise de conscience et des changements d'organisation pour toutes les entreprises (y compris de celles de moins de 50 salariés) mais aussi un renouvellement de leurs pratiques éducatives.

Le plan de formation (devenu plan de développement des compétences) s'élargit donc à toutes les actions participant au développement des compétences (formation classique, en situation de travail, à distance, tutorat, VAE...).

Premier écueil : les modifications des conditions pour la pénalité de formation

En mars 2014 l'entreprise devait :

  • organiser les trois entretiens professionnels sur six ans (une fois tous les deux ans, distinct des entretiens annuels d'évaluation, qui ne sont d'ailleurs pas inscrits dans le code du travail) ;
  • remplir au moins deux conditions sur les trois énoncées par la loi (une formation quelle qu'elle soit, une progression salariale ou une promotion professionnelle, une formation diplômante ou une formation certifiante).

Réagissant à ce premier texte (à la rédaction assez ambiguë), de nombreux employeurs en avaient déduit qu'ils remplissaient leurs obligations sans difficulté ou formation nouvelle, les entretiens avaient déjà lieu chaque année et on ajouterait un formulaire formation et les NAO + une quelconque formation d'une journée (ou moins) suffirait à remplir la seconde partie de l'obligation.

Depuis la loi du 5 septembre 2018, les obligations de formation ont à la fois été clarifiées et simplifiées :

  • les entretiens professionnels tous les deux ans (sauf accord d'entreprise ou de branche conclu depuis le 1er janvier 2019 et changeant la périodicité) restent de mise (et devront être tracés et communiqués à chaque salarié avant le 7 mars 2020) ;
  • la seconde obligation est simple et tient dans une formule : « une formation autre qu'une formation obligatoire ».

Deuxième écueil : l'effet de seuil (50 salariés)

Les lois de formation de mars 2014 et de septembre 2018 distinguent les obligations des employeurs en fonction de la taille des entreprises :

  • cotisation de formation allégée pour les entreprises de moins de 11 salariés ;
  • obligation de formation et de développement des compétences sanctionnées par une amende automatique (appelée « abondement correctif ») de 500 €/an, soit 3 000 € pour six années qui doivent être versées à chaque salarié sur son compte de formation (CPF).

Ce seuil de 50 salariés choisi par les pouvoirs publics soulève une série de questions.

Alors que le seuil de 50 salariés pour les représentants du personnel et les comités sociaux a été allégé, ce seuil demeure pour la formation et implique un risque financier important pour les entreprises de taille intermédiaire (une entreprise de 150 personnes n'ayant pas rempli ses nouvelles obligations devra payer une « amende » de 450 000 € au maximum).

  • Les salariés des entreprises de moins de 50 salariés seront finalement désavantagés : seules les entreprises de plus de 50 salariés leur verseront 3 000 € (sur leur CPF) ou formeront (probablement). Les TPME, qui sont déjà les moins formatrices en France, estimeront que la loi ne les oblige en rien à former ou à développer les compétences.
  • Le seuil de 50 salariés pourrait être difficile à déterminer dans les entreprises approchant ce nombre : pendant six ans, faut-il avoir 50 salariés ou l'obligation est-elle effective dès l'année du passage à 50 ? Les travailleurs en CDD ou intérimaires font-ils partie des effectifs à former (et à abonder de 3 000 €) ? Comment gérer cette obligation en cas de transfert des contrats de travail (l'ancien employeur peut-il être dégagé de toute responsabilité) ?

Troisième écueil : le versement pratique de la pénalité de 3 000 € en mars 2020

Dans la réforme de 2014, c'est l'entreprise qui se déclarait en faute (auto-sanction) et envoyait la somme de 3 000 (ou 3 900 € pour les temps partiels) à son OPCA en même temps qu'elle devait créditer le compte CPF de son salarié de 100 (ou 130) heures.

Dans le texte de loi du 5 septembre 2018, le mécanisme du versement de la « pénalité de formation » est différent :

  • le versement devient individuel (une pénalité par personne, versée individuellement sur le CPF de chaque salarié) ;
  • la Caisse des dépôts (qui gère le CPF) est informée et reçoit le montant de la pénalité (pour chaque salarié) ;
  • le salarié reçoit individuellement l'état des lieux complet de son parcours de formation depuis mars 2014 : les dates et contenus des trois entretiens professionnels, les formations suivies et la décision de l'employeur de lui verser ou non les 3 000 € d'abondement correctif.

La pénalité elle-même de 3 000 € pour non-gestion d'un parcours professionnel pose, elle aussi, de redoutables questions.

  • Qui va juger de la pertinence de la décision de l'employeur (abondement correctif ou non) ? Le patron, les représentants du personnel, le salarié, le manager, le service de RH/formation, la DiIRECCTE, l'OPCO, la Caisse des dépôts...
  • Quelles seront les instances et les délais de recours contre une décision de non-paiement jugée infondée par le salarié ?
  • Que se passera-t-il chaque année à la date du 8 mars pour les salariés ayant six ans d'ancienneté ? L'obligation de formation sera-t-elle examinée de fait chaque année pour les seuls nouveaux embauchés ou pour l'ensemble des salariés ?
La somme de 3 000 € versée sur le compte personnel de formation de chaque salarié ferait très vite « déborder » les compteurs CPF des salariés (limités à 5 000 € au total et souvent déjà pourvus de 3 000 € depuis janvier 2019).
  • Le CPF de 500 € pour 18 millions de salariés est financé à hauteur de 5% (900 millions pour un provisionnement total de 9 milliards)
  • Y aura-t-il une comptabilisation à part avec les abondement correctifs et cette comptabilisation donnera-t-elle lieu à un réel provisionnement des sommes payée pa l'employeur ou, plus surement, ces 3 000 € seront sans doute versés dans un pot commun, risquant de ne pas être utilisables ni disponibles très longtemps dans l'année

Un autre abondement correctif de 3 000 € est aussi prévu (pour un salarié licencié suite au refus d’une modification de son contrat de travail résultant de l’application d’un accord d’entreprise de performances) art. R6323-3-2 du code du travail, ce qui pourrait porter à 9 000 € le CPF (pourtant limité à 5 000 €) de certains salariés.

La nouvelle obligation formation soulève de très nombreuses questions :


- d'interprétation des obligations anciennes et nouvelle de formation ;
- de définition et de catégorisation des actions de formation (qui ont elles-aussi évolué cette année) ;
- de versement des pénalités de formation ;
- d'équité entre catégories de personnel (précaires ou stables) et entre entreprises (plus ou moins 50 salariés) ;
- de provisionnement de ces milliards d'euros : si 5 millions sur 10 millions de salariés des entreprises de plus de 50 salariés bénéficient d'une somme de 3 000 € (soit 15 milliard d'euros), où seront placés ces fonds ? Ne serviront-ils pas à d'autres usages que la formation de ces mêmes salariés ?

Développer les compétences : une obligation de résultat pour l'employeur

L'obligation de développement des compétences peut désormais être comparée à l'obligation de l'employeur pour les accidents du travail. Il ne s'agit plus d'une simple obligation de moyens (j'ai payé ma cotisation formation et j'ai un plan de formation) mais d'une obligation de résultats : tous les salariés des entreprises de plus de 50 salariés doivent développer un projet de formation et de développement de leurs compétences, dans un monde du travail présentant souvent une faible culture de formation l'enjeu est capital et redoutable (une épée de Damoclès pour les entreprises de plus de 50 salariés selon Jean-Marie Luttringer).

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