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05 / 11 / 2010 | 13 vues
Cécile Seoudy / Membre
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« Reconnaissance et travail : la fin du déni ? »

Le 20 octobre 2010, une conférence-débat autour du thème de la reconnaissance a été organisée par :
  • les étudiants de la deuxième promotion du master MTDS « management, travail et développement social », dirigé par Norbert Alter et Laurence Servel ;
  • l’Université Paris Dauphine ;
  • la CFE-CGC ;
  • l’ANDRH.

Ce nouveau master a été créé il y a trois ans, en partenariat avec l’Anact (Agence Nationale pour l’Amélioration des Conditions de Travail). L’idée fondamentale qui a présidé à la création de ce master est de repenser, de manière constructive, l’articulation entre les contraintes économiques de l’entreprise et les ressources sociales dont elle dispose.

Elle propose une approche pluridisciplinaire qui repose sur les sciences de gestion, la sociologie, l’ergonomie et la psychologie.

Les hybridations

Ce master comme présenté par Laurence Servel traite donc de l’organisation de travail, du rapport au travail, de l’activité de travail, et de la mesure et des résultats du travail. Cette approche est nouvelle car elle consiste surtout à proposer la création d’une série d’hybridations :

   1. hybridation sur le plan théorique, en croisant les différentes approches,
   2. hybridation entre théories et pratiques professionnelles (intervenants issus du monde professionnel …),
   3. hybridation aussi entre les acteurs du champs de la qualité de vie au travail : des DRH, des experts (consultants et juristes), des syndicalistes et des managers,
   4. hybridation, enfin, parce que le master MTDS nourrit des partenariats nombreux et suivis, tels que l’organisation de la conférence avec des partenaires comme la CFE-GCC et l’ANDRH.

La reconnaissance : un angle positif

La question de la reconnaissance est tout à fait centrale pour un tel dispositif.

D’une part, parce que c’est un thème qui traverse toutes les organisations du travail, qu’il s’agisse de structures privées ou publiques, ou encore de grands groupes ou de PME ou TPE, d’entreprises du secteur industriel ou des services…

La reconnaissance est un mode de relation, un processus, une forme de dynamique sociale qui s’élabore dans le temps.


D’autre part, et peut-être surtout, parce que c’est un thème qui permet d’aborder le travail sous un angle positif, surtout si on fait le pari de s’interroger sur la fin possible du déni de reconnaissance

Enfin, parce que traiter de la reconnaissance, c’est aussi traiter du bien le plus précieux au travail. « Ce bien, c’est le lien » (E. Morin). Et, dans cette perspective, il faut souligner que la conférence du 20 octobre 2010 a permis d’explorer en quoi la reconnaissance est un mode de relation, un processus, une forme de dynamique sociale qui s’élabore dans le temps.

La reconnaissance ne peut être appréhendée simplement. Elle suppose de prendre en compte ce que sont les gens dans leur identité au travail, mais aussi dans leur trajectoire, ce qu’ils réalisent dans leur travail au quotidien avec les efforts que cela nécessite, et enfin, ce qu’ils attendent de l’évaluation du résultat de leur travail avec le souci de l’équité de traitement.

Le concept de reconnaissance n’est donc pas unique et peut être appréhendé sous différentes approches complémentaires :

  • Par la philosophie

Axel Honneth a, notamment, mis au jour que l’être humain cherche à échapper au mépris et à l’invisibilité dans trois sphères distinctes (la sphère de l’amour, la sphère juridico-politique et la sphère de l’estime sociale).

Ainsi, pour Axel Honneth la reconnaissance est une condition pour exister, agir, rencontrer.

  • Par la sociologie


Renaud Sainsaulieu a apporté à la fin des années 1970, le concept d’identité au travail en considérant qu’on est pour partie de ce que l’on fait. Cette identité au travail se constitue dans des relations de pouvoir qui permettent l’identification (« à qui je ressemble » et, l’opposition, « à qui je ne ressemble pas »).

Aujourd’hui, Norbert Alter a renouvelé, dans son dernier ouvrage Donner et rendre : la coopération en entreprise, la théorie du don de Marcel Mauss avec la logique du don/contre-don, qui a toute sa pertinence dans nos organisations où une large partie de l’échange social fondé sur la gratuité échappe à la logique marchande.

Donner et rendre permet aux individus de se reconnaître comme engagés les uns vis-à-vis des autres.

  • Par la psychologie

Selon Christophe Dejours, la reconnaissance est un jugement qualitatif proféré sur le travail, qui passe par deux épreuves principales : le jugement d’utilité et le jugement de beauté. Travailler, ce n’est pas seulement produire, c’est aussi se transformer soi-même. Or, l’identité est l’armature de la santé mentale. De sorte que, lorsqu’un travailleur bénéficie de la reconnaissance, il peut en tirer des avantages dans le registre de la construction de la santé mentale.

Yves Clot est plus sensible à l’activité empêchée des salariés et à leur envie de faire un travail de qualité. Les salariés souffrent de ne pas bien faire leur travail (qualité du geste, qualité du produit, qualité du service au client ou à l’usager).

  • Par l’ergonomie

Il existe un écart entre le travail prescrit et le travail réel, un écart souvent ignoré, voire méconnu ou nié, dans l’entreprise. Ainsi, cet écart entre le prescrit et le réel est la manifestation concrète de la contradiction toujours à l’œuvre dans tout acte de travail entre « ce qu’on me demande » et « ce que ça me demande ».

L’analyse ergonomique de l’activité se préoccupe des stratégies mises en œuvre par l’opérateur pour gérer cet écart et en comprendre la régulation.

  • Par la gestion


Très souvent, les indicateurs de la performance sont globaux. Il est donc difficile d’évaluer la contribution d’un individu à une performance qui résulte d’efforts collectifs et donc de la récompenser. Le concept de compétences pose en permanence la question du rapport entre l’individuel et le collectif : il s’agit de savoir comment concilier la reconnaissance de l’individualité avec le caractère collectif du travail.

La reconnaissance se situe donc à la confluence de l’identité, de l’activité et du résultat.
À ce titre, les organisations actuelles sont-elles en capacité d’être reconnaissantes ? De reconnaître les individus dans leur identité ? De reconnaître les efforts fournis dans l’activité ? D’en reconnaître équitablement les résultats ?

Les managers prennent-ils le temps d’apprécier ce que chacun met dans le travail, c’est-à-dire ce que ça lui demande ?

Les points de vues des intervenants

Ce sont toutes ces questions mises au débat sur lesquelles les différents intervenants ont apporté leur point de vue.

Ils ont ainsi pu apporter un éclairage pragmatique sur la question de la reconnaissance au regard de leurs préoccupations propres et de leurs organisations.

  • La quête d’une forme de reconnaissance identifiable pour les agents dans la fonction publique hospitalière pour Michel Dogue, directeur de l’Hôpital Théophile Roussel, vice-président de l’association pour le développement des ressources humaines dans les établissements sanitaires et sociaux.
  • Les limites de l’utilisation des outils financiers comme mesures de reconnaissance pour Catherine Kuszla, maître de conférences à l’Université Paris-Dauphine.
  • La recherche de la reconnaissance du stress des cadres comme une condition de travail comme les autres, pour Bernard Salengro, médecin du travail en charge du pôle « santé et travail » de la CFE-CGC.
  • La mise en place de formes innovantes de reconnaissance dans un groupe à dimensions européenne et mondiale pour Philippe Vivien, DRH du groupe Areva.

Pour la CFE-CGC, l’enjeu actuel est de faire reconnaître, dans le registre des conditions de travail, les conditions psychiques, cognitives et affectives du travail car, d’une part, celles-ci ont un impact identifié sur la santé des salariés et, d’autre part, l’employeur a une obligation de résultat en matière de santé au travail.

Grâce au baromètre Stress, cette organisation syndicale des cadres a su révéler et rendre visible la question du stress en entreprise. Il convient d’ailleurs de souligner que, sur la question de la reconnaissance, 55 % des cadres interrogés estiment ne pas être reconnus au travail.

Or, selon une étude menée par l’Université de Laval, le manque de reconnaissance multiplie par quatre le risque de développer une pathologie liée au stress.

Selon la CFE-CGC, améliorer la reconnaissance au travail constitue donc un enjeu majeur de santé au travail, notamment au travers de l’implication du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) et du dialogue social par la négociation d’accords d’entreprise.

Dans le champ de la fonction publique hospitalière, Michel Dogue a justement pu exprimer, en sa qualité de directeur d’hôpital, ce qu’il a pu mettre en œuvre pour reconnaître l’investissement professionnel des agents.

Tout en rappelant l’origine de la notation des agents, à savoir évaluer la manière de servir du fonctionnaire, et l’importance de la note dans l’avancement de carrière notamment, il en a également évoqué les limites et les dysfonctionnements, la note étant dans les faits déconnectée de l’évaluation.

Au regard de l’autonomie des centres hospitaliers, des formes de reconnaissance peuvent être dans le champ des politiques RH locales de chaque hôpital mais les contraintes de la tutelle financière par le Ministère de la Santé rendent difficile la mise en place de dispositifs innovants, mais pas impossible.

En effet, des formes de la reconnaissance par l’accès favorisé à la formation, la reconnaissance des « agents faisant fonction » (agent exerçant les fonctions d’un grade plus important que le sien) ou encore une exposition d’œuvres artistiques de salariés (l’exposition « Talents de Théo ») peuvent très bien être mises en œuvre.

Selon lui, pratiquer un management bientraitant constitue une source importante de reconnaissance pour le salarié et, au-delà du salarié, pour sa famille.

Ce que confirme d’ailleurs Philippe Vivien à propos de l’organisation de journées portes ouvertes des sites de production et en insistant sur le fait que c’est la façon dont on met en œuvre au quotidien les outils RH qui fait la différence.

De même, selon lui, l'un des éléments majeurs de la reconnaissance repose sur la fierté du métier, une fierté qui s’acquiert sur une longue période, au travers d’un développement professionnel, de la formation, de mises en situation.

C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il envisage la négociation comme une garantie de l’engagement  et de la posture de l’entreprise, même si négocier sur les sujets de la reconnaissance et de la qualité de vie au travail ne paraissent pas, en soi, des sujets évidents en matière de dialogue social. Mais la capacité à négocier dans l’entreprise sur ces sujets et à innover, notamment en termes d’indicateurs de détection, est un élément de la reconnaissance.

Savoir prendre du temps, être à l’écoute au quotidien, savoir reconnaître le résultat professionnel ou encore être bienveillant sont autant de preuves de reconnaissance auxquels les managers de proximité doivent être vigilants.

La question de la reconnaissance n’est pas qu’une affaire d’outils mais une question de posture dans la mise en œuvre de ces outils.

Ce que Catherine Kusla confirme dans son analyse des limites des mécanismes financiers classiques de la reconnaissance.

S’interrogeant sur le rôle des systèmes de contrôle de gestion et du management par la performance sur le déni ou la construction de la reconnaissance, elle fait ressortir que :

  • le champ de la reconnaissance est trop souvent restreint à la rémunération, un outil RH parmi d’autres, et notamment à la rémunération des résultats, par une comparaison mécanique entre ce que les salariés ont fait et ce qu’ils auraient dû faire. Or, la valeur travail ne se mesure pas que par rapport à un résultat, puisque cette seule mesure du résultat ne permet pas de reconnaître ce que font les salariés en plus pour être efficaces ;
  • malgré tout, il existe des outils de gestion qui permettent de s’intéresser à ce que font les salariés et pas uniquement aux résultats : ces démarches peuvent mettre en évidence une reconnaissance de la personne, de ses actes et de ses résultats dans un cadre collectif. Mais ces démarches impliquent un travail transversal par un processus d’identification de la création de valeur, mais pas uniquement financière. Les démarches par processus contribuent à la reconnaissance du travail en identifiant les activités, les interactions entre les activités et en révélant les enchaînements d’activités. Pour révéler la valeur du travail, il faut donc le décrire et le modéliser afin de permettre de donner du sens à l’action de chacun et de s’inscrire dans une perspective collective, puisque la reconnaissance s’établit par rapport à d’autres et vient des autres.


 
En conclusion, Bernard Salengro réaffirme l’intérêt pour les entreprises à implanter des dispositifs de reconnaissance. En effet, « l’implantation d’une gestion de la reconnaissance génère un rendement deux fois plus important pour les actionnaires, un chiffre d’affaires plus élevé ainsi qu’un meilleur climat de travail ».

Pour l’ANDRH, Michel Yahiel, attire l’attention des entreprises sur les modes de reconnaissance mis en œuvre dans les pays étrangers, insiste sur le fait que l’entreprise doit se doter de compétences en matière de santé au travail, et c’est, selon lui, ce à quoi contribue le master MTDS et il rappelle que le dialogue social est éminemment important.

Enfin, Norbert Alter reprend les différentes interventions en identifiant les éléments-clefs, à savoir :

  • la gestion de la reconnaissance n’est pas une affaire d’outils mais une question de posture ;
  • les entreprises doivent favoriser le développement du soutien entre collègues ;
  • la question du temps est centrale : il faut avoir le temps de parler, de se parler, d’échanger pour que l’écoute et l’entraide existent ;
  • reconnaître les salariés et leur travail suppose de connaître ce qu’ils font et d’admettre l’existence de la compétence collective et du collectif de travail ;
  • les salariés s’engagent au-delà du contrat de travail : reconnaître cet engagement suppose de leur manifester plus de gratitude ;
  • ce n’est pas parce que la valeur du travail est inestimable que, pour autant, le travail n’a pas plus de valeur que ce qu’on peut mesurer.
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