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19 / 10 / 2018 | 11 vues
Sébastien Busiris / Membre
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Privatiser la Française des Jeux : un risque direct sur les équilibres fragiles du secteur des jeux d’argent

L’Assemblée nationale a validé, en première lecture, l’article 51 de la loi PACTE, relatif à la croissance et à la transformation des entreprises. Les mesures « phares » de ce texte sont assurément la privatisation de la FDJ et la mise en place d’une autorité de régulation élargie.

Nous considérons que cet article est une mauvaise mesure, faisant courir un risque direct sur les équilibres fragiles du secteur des jeux d’argent, dans sa globalité. Voici notre argumentaire.

Sur la privatisation et le risque de renforcement du trouble à l’ordre public

Notre organisation syndicale a toujours milité en faveur d’une approche d’un jeu responsable et vertueux. Nous avons constamment considéré que les jeux d’argent n’avaient nullement pour vocation de devenir des produits de consommation courante, au regard des risques potentiels liés notamment à l’augmentation du nombre des dépendances et à l’accès de ces jeux aux mineurs.

En l’état actuel, les différents rapports annuels, tant de la Cour des comptes que de l’Observatoire des jeux démontrent, à l’évidence, que la situation actuelle est particulièrement préoccupante sur ces deux thématiques. L’absence totale de contrôle d’identité dans les points de vente physiques de la FDJ est en grande partie responsable de cette situation, autant que le déploiement de distributeurs en libre-service de tickets à gratter ou la possibilité de préparer ses jeux par flash-codes.

Nous ne pouvons nous satisfaire de cette situation qui démontre à l’évidence les lacunes de notre système actuel, puisque 30 % des mineurs ont joué à des jeux d’argent en cours d’année. Mais chez qui ont-ils pu jouer ? La banalisation du produit chez les jeunes est un enjeu majeur de santé publique car elle génère les dépendances de demain. Nous ne pouvons cautionner une telle philosophie purement mercantile qui s’affranchit de toute forme de contrôle efficace.

La privatisation va incontestablement entraîner une quête de rentabilité optimisée, ce qui présente un risque majeur à l’avenir. En effet, comment faire cohabiter de manière efficace une gestion économique exacerbée et une obligation de résultat sur de potentiels troubles à l’ordre public ? De plus, la privatisation est difficilement compatible avec le maintien d’un monopole strict, ce qui ne ferait que brouiller un peu plus la situation et contribuerait à une déstructuration totale du secteur.

Enfin, sachez que certains pays de la Communauté européenne ont opté pour une privatisation de leur loterie d’État. Comment considérer qu’une partie d’entre eux revienne sur ce principe, en reprenant une participation majoritaire dans leur capital ? C’est, pour nous, l’aveu que ces privatisations génèrent plus de problèmes qu’elles n’en résolvent.

Sur l’effet au niveau de l’emploi des casinos et des finances des collectivités locales

Sur l’aspect purement concurrentiel : le simple fait de privatiser entraînera également une concurrence accrue entre les différents acteurs du secteur de l’industrie des jeux d’argent. Ces pratiques commerciales agressives ne manqueront pas de déstabiliser un marché fragile et les équilibres entre les différentes filières qui le composent. Les casinos français sont le secteur le plus pourvoyeur d’emplois et ce secteur ne saurait être pris en otage d’une telle situation. Les 15 000 emplois directs de nos entreprises doivent être protégés.

Sur l’exploitation d’une offre de jeu potentiellement illégale par la FDJ : si l’on observe l’offre de jeux sur internet actuellement dispensée par la FDJ, nous pouvons constater qu’une partie de ces derniers ressemble, à s’y méprendre, à des machines à sous déguisées. Une partie de l’offre illiko (express, aventure, action et super jackpot) internet repose sur des jeux automatiques dispensant, en fonction des combinaisons, un gain potentiel. Ce mimétisme total rappelle le modèle exploité par les bandits manchots des casinos. De plus, ces jeux peuvent également dispenser un jackpot progressif complémentaire, incrémenté par les mises, ce qui dissipe encore un peu plus le doute qui pourrait exister. Nous pourrions citer des jeux tels que l’Eldorado, Rain diamonds, les jeux ou autres qui pourraient relever de cette offre concurrente potentiellement déguisée.

En l’état actuel, de véritables doutes existent sur la légalité d’une partie de l’offre de jeux exploitée sur le site de la FDJ, créant un préjudice direct pour les casinos français. Rappelons que la législation sur les machines à sous est claire, elles sont exploitées dans les seuls casinos, raison pour laquelle ces derniers disposent d’un monopole d’exploitation, qui est d’ailleurs l’une des conditions à la pérennité de leur modèle économique. Ce monopole strict doit être maintenu. En l’état actuel, de véritables doutes existent sur la légalité d’une partie de l’offre de jeux exploitée sur le site de la FDJ, créant un préjudice direct pour les casinos français. Toute la lumière doit être faite, et nous vous demandons de créer une commission d’enquête parlementaire sur la régularité des jeux exploités en ligne par une société d’État. Cette situation, si elle s’avérait corroborée, devra être dénoncée et combattue avec la plus grande virulence de manière à ce que les casinos ne subissent plus, à l’avenir, cette concurrence pour le moins déloyale. Non, la FDJ n’est pas au-dessus des lois et il convient de remettre le clocher au milieu du village, s’il y a lieu de le faire.

Par ailleurs, ce besoin de transparence doit s’exprimer avant toute forme de privatisation. En effet, qu’adviendrait-il alors si des recours judiciaires étaient entamés ? Serait-il équitable que le ou les repreneurs dussent assumer la responsabilité tant pénale que financière des erreurs de leurs prédécesseurs ?

Nous pensons donc que la seule mesure pertinente est de surseoir au projet, en l’attente des résultats sur la légalité de l’offre de jeux telle qu’actuellement exploitée. Un véritable doute raisonnable existe.

Sur la contribution des casinos au financement des politiques locales : les recettes des casinos contribuent directement au financement des politiques locales par le biais des redevances versées aux communes. Toute difficulté financière des casinos aura donc des répercussions immédiates sur ces prélèvements et ne manquera pas de déstabiliser l’assiette de prélèvement des municipalités. Les élus locaux, que vous représentez, ont donc un intérêt direct à voir le niveau d’activité des casinos se maintenir, sans être exposés à une concurrence anarchique et non maîtrisée. Rappelons également que les employés de casinos sont des électeurs dans ces communes et que leur mise en danger professionnelle ne pourrait qu’être vécue que comme un fort irritant social.

Sur l’inadaptation de la structure de régulation proposée et le risque de conflit d’intérêt

Sur notre vision de la régulation : Force Ouvrière a toujours œuvré pour la mise en place d‘une autorité de régulation unique, permettant de trouver les points d‘équilibre nécessaires afin qu’aucun acteur du secteur de l’industrie des jeux d’argent ne phagocyte le marché. Nous avons donc réfléchi à une structure qui permettrait à chacune des composantes d’être un acteur de construction et nous vous transmettons nos réflexions. Nous pensons qu’outre les aspects de surveillance, l’autorité de régulation doit être une structure d’échange de tous les acteurs du secteur. Ce n’est qu’au prix d’une telle organisation que nous serons en capacité de gérer la cohabitation des différentes filières et d’envisager un développement serein et équilibré des différentes offres de jeu. La régulation doit donc également intégrer une régulation réglementaire (par proposition au gouvernement) et une régulation économique (en évitant tout chevauchement des activités).

Sur l’exclusion des casinos de l’autorité de régulation : nous sommes aujourd’hui stupéfaits de la structure proposée qui exclut les casinos du périmètre de la régulation, considérant que notre activité est potentiellement à risque. Cet argument est d’autant plus fallacieux que notre activité est assurément la plus sécurisée du secteur. Chez nous, les mineurs ou interdits ne peuvent jouer, nous suivons les flux financiers, ce qui n’est assurément pas le cas dans les officines commercialisant des jeux à gratter, loteries, paris sportifs ou hippiques. Quels sont les moyens de contrôle déployés ? La réalité est que l’on exclut de la régulation, la seule activité qui applique des solutions efficaces, ce que nous ne pourrons tolérer. Nous pensons au contraire que notre modèle de contrôle doit être étendu à toutes les composantes des jeux d’argent : agrément des exploitants, contrôle systématique d’identité avant l’achat d’un jeu d’argent, déclaration obligatoire sur les volumes de jeu des clients… Les casinos sont considérés comme les parents pauvres du segment des jeux d’argent au seul regard de la surface financière de la FDJ et la proposition actuelle relève du principe « diviser pour mieux régner ». On ne régule pas en excluant !

Sur le potentiel conflit d’intérêt : le fait qu’une société dont le capital sera en partie détenu par l’État ou contrôlée par un organisme d’État posera un véritable questionnement sur l’indépendance de l’institution. De fait, l’État serait actionnaire d’une société soumise au contrôle de l’autorité de régulation et décideur créant de manière incontestable un conflit d’intérêt majeur. Ce constat ne pourrait déboucher que sur d’inévitables procédures judiciaires qui discréditeraient de fait l’autorité de régulation.

Par conséquent, nous vous demandons de prendre la pleine mesure de cette situation afin de ne pas ouvrir la boîte de Pandore, déclenchant ainsi une série d’événements dont vous porteriez l’entière responsabilité. Nous nous tenons à votre entière disposition afin de détailler notre vision et vous exposer, au regard de notre maîtrise sur le sujet, les éléments qui pourraient nourrir votre propre réflexion.

Pour toutes ces raisons, nous resterons extrèmement vigilants sur l’évolution de ce dossier.

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