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27 / 05 / 2021 | 128 vues
Remy Poulain / Membre
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Peut-on autoriser un licenciement sans faire mention de l’arrêt condamnant l’employeur pour discrimination syndicale ?

La Cour d’appel administrative de Versailles s’est prononcée sur une demande d’annulation d’autorisation de licenciement d’un salarié accordée par l’Inspection du travail et le Ministère du travail. Cette demande était concomitante à une condamnation de l’employeur pour discrimination syndicale sur ce même salarié.
 

  • Cour d’appel administrative d’appel de Versailles n°18VE00172 (18 mars 2021).

 

Peut-on autoriser un licenciement sans faire mention de l’arrêt condamnant l’employeur pour discrimination, sans que le salarié ait changé de poste suite à la condamnation et sans établir le moindre lien avec la discrimination subie par le salarié ?

 

Un salarié a été embauché après des contrats successifs à durée déterminée d’usage et à temps partiel, à compter du 10 mars 2001. Ce salarié a détenu divers mandats, à compter de mai 2002 comme délégué syndical CGT, délégué du personnel et membre du comité d'établissement. Il est également conseiller du salarié depuis 2002.
 

Le salarié a saisi en 2005 le conseil de prud’hommes de Boulogne Billancourt en vue de faire requalifier ses contrats de travail à temps partiel en un seul contrat de travail à durée indéterminée à temps complet. Par arrêt en date du 7 février 2008 ( 05/02273 ), la Cour d'appel judiciaire de Versailles a requalifié la relation de travail en contrat à durée indéterminée et à temps complet et jugé que la rémunération du salarié ne pouvait être inférieure au salaire minimum correspondant à sa classification, qu'il devait bénéficier des accords collectifs d'entreprise à compter du 31 août 2007 et a ordonné la remise par l’employeur de bulletins de salaire conformes du 1er mars 2001 au 31 août 2007.


Le salarié constatant que l’employeur, malgré ses relances, n’appliquait pas l’arrêt du 7 février 2008, a saisi le juge de l’exécution. Par jugement du 5 mai 2009 ( 09/02686 ), le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Nanterre a ordonné à l’employeur de remettre au salarié des bulletins de salaire complémentaires de mars 2001 à août 2007 et a constaté son engagement à régler les rappels de salaires dus.

 

Le 31 juillet 2008, l’employeur a fermé l'établissement dans lequel travaillait le salarié pour délocaliser l'activité à Toulouse. L'autorisation de licencier le salarié pour motif économique a été refusée par décision de l'inspection du travail le 26 janvier 2009, confirmée par le Ministre du travail.
 

  • Lors de l’audition du salarié par l’Inspection du travail lors de la procédure de licenciement, le salarié s’est plaint de discrimination syndicale. L'inspection du travail a conclu, en juin 2010, au terme d'une enquête diligentée dans le cadre de l'article L. 2145-5 du code du travail, qu'il y avait un lien entre l'appartenance syndicale du salarié d'une part et l'évolution ralentie de sa rémunération et l'absence d'évolution professionnelle, d'autre part.

     
  • L’employeur a contesté les éléments retenus par l'inspection du travail en octobre 2010.
     

Le salarié a saisi le conseil de prud'hommes de Boulogne Billancourt le 4 novembre 2010, afin de faire reconnaître les faits de discrimination dans le déroulement de sa carrière. Le conseil de prud’hommes a débouté le salarié dans un jugement rendu le 02 Novembre 2012 ( Formation de départage, Section : Activités diverses, n° 10/02032 ). Le salarié a interjeté appel.


Dans un arrêt en date du 1er octobre 2014 ( n° 12/05122 ), la chambre sociale de la Cour d’appel de Versailles a établi la discrimination, au visa des articles L 1132-1, L 1134-1, L 1134-5 et L 2141-5 du Code du travail, l’employeur ne démontrant pas que les faits établis par le salarié soient justifiés par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.


La Cour a considéré, sur la réparation du préjudice, que la réparation intégrale d'un dommage oblige à placer celui qui l'a subi dans la situation où il se serait trouvé si le comportement dommageable n'avait pas eu lieu, solution déjà donnée au mot près par la chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt du 23 novembre 2005 ( 03-40826 ).


La Cour a condamné l’employeur à payer au salarié des dommages et intérêts en réparation du préjudice financier né de la discrimination, a ordonné son repositionnement professionnel et ordonné la fixation de son salaire en fonction de son nouveau positionnement, le tout à compter du 1er octobre 2010, soit à la date de la saisine. Pour la Cour d’appel, il est peu important que le salarié n'ait pas formulé cette demande de repositionnement au cours des débats sur la requalification de la relation de travail en contrat à durée indéterminée et à temps complet ( 2008 ) et qu'il n'exerce pas effectivement les fonctions correspondant à cette classification.

 

L’employeur s’est pourvu en cassation, mais, tenu par l’arrêt, a réglé le rappel de salaire et les indemnités, changé le coefficient du salarié, changé son salaire de base en fonction du nouveau coefficient. Mais il a maintenu le salarié dans ses anciennes fonctions.

 

La veille de l’audience auprès de la Cour d’appel, l’employeur a ordonné au salarié son transfert d’établissement, dans le même bassin d’emploi. Le salarié a refusé, arguant que le transfert était légitimé par le maintien du salarié dans son ancienne fonction, alors même qu’il contestait le maintien de celle-ci. L’employeur estime que la fonction du salarié reste inchangée et qu’un poste dédié à cette fonction a été transféré dans un nouvel établissement. Devant le refus du salarié d’accepter son transfert, l’employeur a aussitôt engagé une nouvelle procédure de licenciement contre le salarié. Le licenciement du salarié étant soumis à autorisation administrative, l’Inspection du travail a accordé celle-ci le 20 novembre 2014, soit un mois et demi après la décision de la Cour d’appel. L’autorisation de licencier ne contient aucune référence à l’arrêt d’appel du 1er octobre 2014. À noter que la décision de refuser de licencier en 2009 et l’autorisation de licencier en 2010 ont été prises par deux inspectrices du travail différentes. Le salarié a été licencié pour faute réelle et sérieuse le 25 novembre 2014. L’employeur a ensuite abandonné son pourvoi contre la décision de la Cour d’appel de Versailles le condamnant pour discrimination syndicale.


Le salarié a fait appel de la décision de l’Inspection du travail devant le Ministère du travail. La décision de ce dernier a d’abord été un rejet implicite, puis explicite. Le salarié a saisi le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise pour demander l’annulation de ces décisions.

 

Le tribunal a rejeté les requêtes du salarié dans deux jugements en date du 23 novembre 2017 ( 15-05879, 15-06927 ). Le salarié a interjeté appel de ces deux jugements.

 

Le salarié estime que l’arrêt d’appel de 2014 n’a pas été entièrement appliqué, que sa fonction réellement exercée aurait du être changée, en même temps que son coefficient hiérarchique et sa rémunération. Il estime également que la décision de l’Inspection du travail n’est pas motivée du fait de l’absence de mention de l’arrêt de la cour d’appel.


L’employeur estime qu’il a appliqué l’arrêt en appliquant le nouveau coefficient hiérarchique et la rémunération, mais que l’arrêt n’indiquait pas explicitement que la fonction réellement exercée devait changer et être rattachée au niveau hiérarchique  ordonné par l’arrêt.

 

L’absence de la mention de l’arrêt condamnant l’employeur
 

La cour écarte l’argument de l’absence de mention de l’arrêt de la Cour d’appel judiciaire de Versailles de la décision de l’Inspection du travail au motif que la décision relève qu’aucun élément recueilli au cours de l’enquête ne permet de retenir de lien avec le mandat. La cour en conclut que dans ces conditions, cette absence de mention n’est pas de nature à faire regarder la décision en litige comme insuffisamment motivée.


Cette décision est à mettre en regard avec une décision récente du Conseil d’État qui indique que le juge administratif saisi d’un recours à l’encontre d’une décision administrative d’autorisation de licenciement d’un salarié protégé doit tenir compte d’une décision judiciaire condamnant l’employeur pour discrimination syndicale à l’encontre du salarié protégé dont le licenciement à été autorisé (CE, 20 mars 2019, n°408658).
 

L’application de l’arrêt d’appel de la Cour d’appel judiciaire de Versailles
 

La cour écarte l’argument du salarié qui estime que l’arrêt d’appel de 2014 n’a pas été entièrement appliqué, que sa fonction réellement exercée aurait du être changée, en même temps que son coefficient hiérarchique et sa rémunération. Le transfert d’établissement du salarié voulu par l’employeur s’inscrivait dans le transfert de l’activité à laquelle était rattachée le salarié avant la décision de repositionnement du salarié ordonnée par la cour d’appel le 1er octobre 2014. Dans sa décision du 20 novembre 2014, l’inspectrice du travail a considéré qu’en refusant de changer de lieu de travail pour poursuivre sa fonction, le salarié a commis une faute d’une gravité suffisante pour justifier le licenciement. Le salarié soutenait que cette décision méconnaissait l’autorité de la chose jugée par la cour d’appel qui avait ordonné le repositionnement professionnel du salarié à compter du 1er octobre 2010, à un nouveau coefficient de la convention collective applicable, et que son refus n’était en rien fautif.
 

Cependant, pour la cour d’appel administrative de Versailles, l’arrêt qui répare la discrimination du point de vue de la progression salariale n’a toutefois ni pour objet ni pour effet d’imposer à l’employeur un changement de poste de travail, quand bien même les autres salariés exerçant la même fonction que le salarié ne sont normalement pas classés au coefficient qui lui a été attribué.
 

Dès lors, le changement des conditions de travail ne méconnait pas l’autorité de la chose jugée et le refus opposé par le salarié à ce changement des conditions de travail constitue une faute d’une gravité suffisante pour justifier son licenciement.


Le lien entre la discrimination et la demande de licenciement
 

La cour écarte le dernier argument du salarié qui soutenait que l’Inspection du travail n’avait pas retenu le lien entre la demande d’autorisation de licenciement et l’exercice de ses mandats. Elle considère que l’arrêt de la cour d’appel judiciaire de Versailles ne reconnait que la discrimination subie pour le passé, que l’employeur s’est conformé à l’arrêt en repositionnant le salarié à son nouveau coefficient et en lui appliquant un salaire en lien avec son coefficient. Constatant que le salarié ne se représentait pas aux élections professionnelles de juin 2014, et qu’il ne disposait plus que de son mandat de conseiller du salarié, le changement d’affectation lié au déménagement ne l’empêchait pas d’exercer. La cour en tire la conclusion que le moyen lié à la discrimination syndicale ne peut qu’être écarté. Ce faisant, la cour n’a pas cherché si le licenciement était en lien avec les mandats écoulés, comme l’exige pourtant l’article R 2421-16 du Code du travail.

Il convient de noter que, fait peu courant, la Cour a statué à rebours des conclusions du rapporteur public.


À la suite de cet arrêt, frappé de pourvoi, le Conseil d’État devra répondre à la question du contenu de la notion de réparation intégrale lors d’une discrimination, incluant ou non l’exercice réel d’une fonction lors d’un repositionnement professionnel.


Arrêt commenté : Cour d’appel administrative d’appel de Versailles n°18VE00172.

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