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29 / 11 / 2022 | 339 vues
Brahim Aït Athmane / Membre
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Du modèle social au modèle économique

Alors que la réforme des retraites se profile et que la question du pouvoir d’achat est toujours aussi prégnante dans les entreprises, il est utile de se rappeler combien le climat social est un préalable à la compétitivité et non une conséquence de la bonne santé des entreprises.

 

Par Brahim Aït Athmane,

Délégué FO Stellantis Poissy et Secrétaire de FO Val de Seine

 

Depuis la crise sanitaire, les plans de relances français et européens ont été conçus, et surtout présentés, comme des instruments au service de la réindustrialisation. La limitation aussi drastique que soudaine des échanges internationaux a provoqué un véritable électrochoc auprès des décideurs publics et privés. L’hypothèse de nouvelles pandémies couplée à l’instabilité géopolitique renforce la détermination du gouvernement à soutenir l’industrie en accompagnant sa transition vers une économie décarbonée.

 

Climat social et confiance des marchés

 

Responsable du tiers des émissions dans l’hexagone, la mobilité est évidemment un secteur stratégique. Pour un groupe industriel comme Stellantis, la confiance des marchés est indispensable pour construire et mettre en œuvre une stratégie ambitieuse. La qualité du climat social est un indicateur privilégié par les investisseurs. L’absence de mouvement sociaux est analysée comme un signe de performance opérationnelle. Le corollaire est donc que toute dégradation sociale risque d’entraîner des conséquences financières significative.

 

La qualité du climat social repose notamment sur les conditions de travail. Totem pour les uns, épouvantail pour d’autres, elles sont avant tout un pilier de la reconnaissance par l’entreprise de l’engagement et de l’implication des équipes. La pyramide de Maslow s’impose comme une évidence sur les lignes de production. En effet, dès que les besoins primaires ne sont pas satisfaits, les salariés ne se sentent plus respectés. Ainsi, une simple distance mal ajustée entre le poste de travail, les sanitaires, l’aire de repos et la machine à café a des répercussions directes sur la qualité de vie au travail et donc la motivation et l’ambiance générale. En (re)prenant conscience du lien entre climat social et confiance des marché, aucune direction ne devrait prendre la décision de réduire à l’excès les frais fixes.

 

Le péril social du stop and go

 

Le recours croissant au stop and go illustre ce péril social. Outre ses conséquences sur la vie de famille, la modulation du calendrier de travail est un outil de flexibilité dont l’usage implique de savoir raison garder. En effet, en appliquant les conseils des cost killers, les industriels optent souvent pour un voyage en absurdie avec des situations, bien réelles, où il est demandé aux salariés de venir à l’usine pour constater les pannes de l’outil industriel ou observer le travail des maintenanciers sans pouvoir travailler. La modulation ne doit pas rimer avec aberration. Il en va là encore du respect et de la considération de chaque salarié, autant que de la performance et de la compétitivité sur le plan industriel et économique.

 

Savoir d’où l’on vient est utile pour savoir où l’on va. Un groupe comme Stellantis s’est bâti avec un état d’esprit respectueux de la vie personnelle et familiale. La tentation d’un changement de paradigme illustre une américanisation, consciente ou inconsciente, du management et de l’organisation de l’entreprise. Là encore, la prise en compte des spécificités propres n’est pas une démarche optionnelle mais doit s’imposer comme un pilier du modèle social. Cette tendance n’échappe pas aux activités tertiaires menacées par l’émergence du burn in. Les actions de prévention sont incontournables, surtout au sein d’un groupe international et donc sur lequel le soleil ne se couche jamais. Le respect du droit à la déconnexion devient chaque jour un défi plus grand à relever, non seulement dans l’intérêt des salariés mais aussi de l’entreprise. Aussi instable que précieux, cet équilibre entre les salariés, les organisations syndicales et la direction est au cœur de l’ADN de FO.
 

Signaux faibles
 

Dans un contexte général marqué par une tension forte sur les marchés de l’énergie et une inflation qui bat record sur record depuis bientôt un an, ces signaux faibles sont à prendre au sérieux. Si elle se confirme, l’arrivée de la réforme des retraites dans quelques jours ouvre la porte à une crise sociale comme notre pays n’en n’a pas connu depuis bien longtemps. La marmite est sous pression. Le calendrier retenu à ce stade par le gouvernement est incompréhensible. Comment ouvrir un front social au cœur de l’hiver, alors même que les Français n’ont pas de quoi se chauffer, et plus grave encore, se nourrir correctement, c’est-à-dire en consommant des produits frais, de la viande, du poisson, des fruits et des légumes. La tension sociale actuelle ne permettra pas d’absorber un tel choc politique qui ne pourra qu’être perçu comme une provocation. D’autant que le début de l’année civile sera marqué dans de nombreuses entreprises par l’ouverture des NAO, les négociations annuelles sur les salaires, qui s’annoncent difficiles.

 

Cette situation socio-économique doit résonner comme un appel au véritable dialogue social, qui implique la co-construction avec des organisations qui savent négocier et faire appliquer sur le terrain les accords. Les élus ont cette connaissance unique du terrain, sans aucune forme de pression managériale. Savoir négocier implique d’accepter de se remettre en cause et de prendre ses responsabilités. C’est ce qui a permis de redresser des groupes industriels menacés, comme l’était PSA il y a tout juste 10 ans. Que de chemin parcouru depuis ! Mais de nouvelles menaces se font jour, notamment la tentation de la gestion unilatérale qui foule au pied le principe de subsidiarité et le bon sens. Cette expression bien connue est parfois méprisée par certains experts. Pourtant, cette intuition partagée est le plus souvent la meilleure trajectoire vers la compétitivité. Reconnaître que plus les salariés sont formés et compétents, plus ils sont performants n’est pas une vérité de Lapalisse. C’est une réalité incontestable. Il en va de même avec les solutions locales à privilégier, loin des superstructures dogmatiques qui font chaque jour la preuve de leur inefficacité. Qui peut croire sérieusement que des solutions efficaces au Brésil le seront inévitablement en France ? Chez Stellantis comme dans les autres secteurs industriels, la tension monte au sein des usines, en France comme à l’international. Il faut avoir la sagesse de voir cette réalité à sa juste mesure. C’est en effet la qualité de notre modèle social qui est le socle de notre modèle économique. Inverser les choses serait plus qu’une erreur, ce serait une faute

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