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19 / 09 / 2018 | 192 vues
Olivier Sivieude / Membre
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Nouveaux enjeux, nouvelles méthodes : comment lutter efficacement contre la fraude fiscale aujourd’hui ?

L’administration fiscale a vu les moyens dont elle dispose pour lutter contre la fraude fiscale se renforcer, tant sur le pan de la collecte et du traitement des informations que sur celui du contrôle et de la dissuasion. Des progrès sont encore possibles, notamment dans la coordination des moyens en interne et dans les dispositifs de régulation internationale.
 
Depuis quelques années, la liste des scandales fiscaux ne cesse de s’allonger : fraude de type carrousel TVA sur les quotas de carbone, « Swissleaks », affaire Cahuzac, « Luxleaks », évasion fiscale des géants du numérique (GAFA), « Panama Papers », « Paradise Papers », sans compter des affaires moins médiatisées mais tout aussi préoccupantes, comme l’utilisation de logiciels de caisse frauduleux par des commerçants ou la non-déclaration d’activités exercées via internet.
 
Certes, la fraude fiscale (c’est-à-dire ne pas appliquer la loi de façon délibérée pour ne pas payer l’impôt dû) a toujours existé. Mais les exemples ci-dessus montrent qu’elle est aujourd’hui souvent sophistiquée, de plus en plus internationale et, hélas, de grande ampleur.
 
Nous parlons bien sûr de fraude fiscale au sens de la loi caractérisée par la matérialité (la loi n’a pas été appliquée) et l’intentionnalité (elle ne l’a pas été de façon délibérée). À cet égard, il faut se garder des terminologies utilisées par certains pour essayer de minimiser leurs turpitudes, telles qu'« évitement fiscal », « optimisation fiscale» » ou « évasion fiscale ».

La concurrence toujours plus féroce entre les entreprises dans un contexte de mondialisation des affaires, la part croissante de l’immatériel (marques, montages financiers, brevets, logiciels etc.) dans les résultats des entreprises, la concurrence fiscale entre les États et les occasions offertes par les nouvelles technologies (logiciels frauduleux, monnaies virtuelles etc.) sont des facteurs contribuant à l’accroissement de la fraude fiscale.
 
Par suite, depuis la crise financière de 2007-2008 et la volonté des États de mettre de l’ordre dans les finances internationales, la lutte contre la fraude fiscale est devenue un sujet de préoccupation mondiale. Ce thème est régulièrement à l’ordre du jour du G20 et la Commission européenne en a fait l'un de ses « chevaux de bataille ».
 
En France, les responsables politiques sont quasi unanimes pour considérer qu’il faut lutter contre ce fléau. La fraude crée des inégalités, notamment des distorsions de concurrence au détriment des entreprises qui respectent la loi. Elle se traduit par des pertes de recettes considérables alors que l’État doit réduire son déficit budgétaire et néanmoins répondre à une demande forte  des citoyens de bénéficier de services publics de qualité et de payer moins d’impôts.
 
Plus d’une centaine de mesures législatives a été prises depuis dix ans pour renforcer la lutte contre la fraude fiscale. Certaines failles dans la législation dans lesquelles s’engouffraient les fraudeurs ont été comblées, les moyens d’information et de contrôle de l’administration fiscale ont été considérablement améliorés, les sanctions ont été renforcées et l’administration dispose désormais de plusieurs outils pour savoir ce qui se passe au-delà des frontières.
 
Ces mesures sont opportunes et permettent à l’administration fiscale française d’obtenir de bons résultats. Le contrôle fiscal redresse pour environ 19 milliards d’euros de droits et pénalités chaque année. Mais la fraude fiscale évolue. Les fraudeurs s’adaptent. Sur un sujet aussi mouvant et complexe, il faut sans cesse veiller à disposer des bons moyens d’action.
 
Une discussion au populaire « café du commerce » sur la fraude fiscale aboutirait probablement à des solutions du type : « ils n’ont qu’à baisser les impôts comme cela il y aura moins de fraude » ou encore « il n’y a qu’à faire plus de contrôles », voire « il suffit de supprimer les paradis fiscaux ».
 
La première solution, baisser les impôts pour limiter la fraude, c’est régler le problème par l’absurde. Les impôts sont nécessaires pour financer les services publics (santé, école, sécurité, infrastructures, solidarité etc.) qui sont essentiels à la qualité de vie des citoyens. Il faut donc d’abord, dans le cadre du débat démocratique, fixer le juste niveau des impôts et ensuite veiller à ce que chacun paie son dû. Si l'on baisse la garde devant les fraudeurs et que l’on réduit les impôts et donc la qualité des services publics, c’est au détriment de
tous les citoyens. Quelques délinquants en « col blanc » auraient ainsi imposé leur loi.

Contrôler à tort et à travers peut être un remède pire que le mal.
 La seconde solution, intensifier les contrôles, doit être abordée avec prudence. L’idéal est de contrôler à chaque fois que c’est utile et avec des moyens d’investigation appropriés. Contrôler à tort et à travers peut être un remède pire que le mal. Cela risque de susciter de fortes réactions de rejet des contrôles et de l’impôt comme cela s’est produit en France dans la seconde moitié du siècle dernier.
 
Quant à la suppression pure et simple des paradis fiscaux, c’est-à-dire exiger d’eux, en faisant fi du principe de souveraineté fiscale, qu’ils aient un niveau d’imposition similaire au nôtre, cela paraît assez illusoire. Comment amener un État qui n’en éprouve pas le besoin parce qu’il a des ressources suffisantes (minerais, pétrole, tourisme etc.) ou qu’il n’y existe quasiment pas de services publics gratuits, à relever substantiellement ses impôts ?

  • En revanche, ce qui est inadmissible, c’est que certains de ces paradis fiscaux acceptent d’accueillir sur leur territoire des sociétés off-shore (sans activité économique) et refusent de fournir aux autres États les informations dont ils ont besoin pour taxer les bénéfices ou revenus qui ont été indûment transférés. C’est cette protection qu’ils accordent aux fraudeurs qui est scandaleuse. D’autant que les bénéfices et revenus frauduleusement localisés dans ces paradis ne leur rapportent quasiment rien puisqu’ils n’y sont pas ou très peu taxés. 

Comme souvent face à des problématiques complexes, la solution n’est pas simple. Surtout
que le sujet a une dimension internationale incontournable. Un État ne peut pas lutter efficacement contre la fraude fiscale tout seul dans son coin. S’il prend des mesures trop coercitives, il risque de dissuader les entreprises de s’installer sur son territoire et de faire partir les entreprises et certains contribuables qui s'y sont installés.
 
Cela étant, avec une approche pragmatique, il est possible de dégager quelques orientations générales et d'ainsi mesurer les atouts dont dispose l’administration fiscale française dans la lutte contre la fraude fiscale et les progrès qui pourraient encore être réalisés.

Vite et bien détecter la fraude fiscale

Les fraudeurs cherchent à dissimuler leur fraude pour ne pas se faire prendre. De nos jours, ils sont souvent conseillés par des organismes spécialisés qui les aident à mettre en place un dispositif de camouflage : comptes à l’étranger, interposition de sociétés écrans off-shore, moyens de paiement anonymisés, montages juridiques et financiers complexes, constitution de trusts etc.
 
Ces dispositifs sont aussi souvent conçus pour permettre au fraudeur de récupérer l’argent qu’il a dissimulé au fisc afin de financer son train de vie.
 
C’est ce qu’on appelle le blanchiment. C’est la raison pour laquelle la lutte contre la fraude fiscale est directement liée à celle de la lutte contre le blanchiment qui est confiée, en France, à TRACFIN (traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins).

Pour lutter contre la fraude fiscale aujourd’hui, il faut donc avant tout se donner les moyens de la repérer. C’est comme pour lutter contre le terrorisme. Il faut avoir des informations qui permettent de détecter des situations potentiellement délictueuses le mieux et le plus vite possible.
 
Pour cela, le numérique est une aide précieuse.
 
On peut aujourd’hui engranger un nombre incalculable d’informations et les analyser pour repérer les fraudes potentielles. C’est évidemment sur cet outil qu’il faut capitaliser. Fini le temps des informations recueillies au petit bonheur la chance et exploitées sans grandes lignes directrices. Il faut maintenant amasser le maximum d’informations, les rapprocher et repérer les risques.

1. Avoir toutes les informations utiles

Pour lutter contre la fraude fiscale, il est indispensable d’avoir des informations, donc de surmonter trois obstacles :

  • le cloisonnement entre les organismes chargés de lutter contre la fraude et qui détiennent des informations pouvant être utiles en matière financière : douanes, justice, police, organismes sociaux, TRACFIN, concurrence etc. ;
  • les frontières entre les États : aucune administration fiscale au monde ne peut procéder à des contrôles dans un autre État ou même demander directement des informations à des contribuables d’un autre État ;
  • la réticence des entreprises qui sont très sollicitées par les administrations et se plaignent parfois à juste titre de certaines lourdeurs et complexités administratives.

Cela étant, beaucoup de progrès ont été réalisés en matière d’information et certaines avancées sont encore possibles dans les trois axes suivants :

a. Des informations obtenues sur demande de l’administration fiscale

L’administration fiscale française peut demander des informations à quasiment toute personne située en France dès lors que cette information est pertinente sur le plan fiscal et n’est pas couverte par le secret médical ou ne constitue pas une consultation d’avocat.
 
Ce droit d’information, dit « droit de communication », s’exerce en principe au cas par cas en mentionnant dans la demande l’identité de la personne concernée. Mais une réforme majeure est intervenue en 2015. Elle permet à l’administration fiscale de demander à toute entreprise ou organisme la liste des personnes ayant procédé à des opérations (locations, ventes, achats etc.) par leur intermédiaire.
 
Ainsi, l’administration fiscale française peut-elle, par exemple, désormais demander à une plate-forme internet la liste des personnes ayant procédé à des ventes ou à des locations via son site ? Cette démarche est essentielle pour repérer des activités occultes réalisées via internet.
 
Hélas, cette possibilité n’existe pas si l’opérateur est situé au-delà des frontières. En effet, l’administration fiscale française peut demander via l’assistance administrative internationale à l’administration fiscale d’un autre État des informations concernant un contribuable désigné dans sa demande. Ces échanges nominatifs indispensables pour savoir ce qui se passe au-delà de nos frontières se sont beaucoup améliorés sous l’impulsion de l’OCDE.
 
La France peut aujourd’hui échanger ce type d’information avec 125 pays dans le monde. Elle reçoit plus de 6 000 réponses par an à ses demandes et dans un délai moyen de l’ordre de trois mois. Il y a quelques années, c’était deux fois moins de réponses et des délais excessivement longs.
 
Mais il n’est pas possible aujourd’hui de demander à une administration fiscale étrangère des listes de détenteurs de comptes bancaires ou de personnes effectuant des opérations via internet.
 
Il y a là une source de progrès majeur dans la détection de la fraude.
 
Il est par ailleurs impératif de poursuivre la pression sur les États et territoires non coopératifs (ETNC) afin qu’ils acceptent de donner des informations à des fins fiscales aux autres États. Pour lutter contre la fraude fiscale, il est nécessaire qu’il n’y ait aucun « trou dans la raquette ». Tous les pays sans exception doivent coopérer. Coopérer ce n’est pas perdre de la substance fiscale, c’est seulement permettre aux autres pays de récupérer les impôts qu’ils auraient dû percevoir.
 
Il faut donc blacklister tous les États sans exception qui hébergent des sociétés off-shore et refusent de donner des informations aux autres États ou ne fournissent pas des réponses utiles (non-désignation du bénéficiaire effectif des titres de sociétés, non-remise des bilans, réponses non pertinentes etc.). Tous ces États doivent être soumis aux sanctions financières particulièrement dissuasives prévues par la loi, ce qui devrait les amener à accepter de coopérer.
 
Pour obtenir le maximum d’informations utiles, il convient aussi d’organiser les échanges entre les administrations et organismes financiers de contrôle (douanes, police, justice, organismes sociaux, TRACFIN, concurrence etc.). Juridiquement, c’est possible mais encore faut-il le faire !
 
Il existe un très bon exemple en la matière. Pour avoir des informations le plus en amont possible et agir de manière concertée pour lutter contre la fraude à la TVA, une force de travail a été mise en place avec l’ensemble des services de l’État concerné. Il s’agit d’un groupe informel d’experts qui se réunissent régulièrement, échangent leurs données et organisent les moyens d’action, notamment les contrôles.
 
Ce type de structure informelle et pragmatique qui fait ses preuves pourrait être étendu à d’autres domaines de la fiscalité, voire organisé sur le plan européen.

b. Des informations reçues automatiquement

La Justice, certains services de l’État et organismes indépendants sont tenus de fournir à l’administration fiscale des informations sur les dossiers dont ils ont connaissance et qui comportent un risque de fraude fiscale.
 
C’est principalement le cas de l’autorité judiciaire, de TRACFIN et de l’ACPR (Autorité de
contrôle prudentiel et de résolution). Ces informations fournies spontanément sont extrêmement précieuses pour lutter contre la fraude fiscale.
 
Par ailleurs, les entreprises et de nombreux organismes doivent automatiquement fournir des informations qui vont permettre à l’administration fiscale de vérifier que les revenus perçus par les contribuables ont été correctement déclarés.
 
C’est le cas par exemple des employeurs, des organismes sociaux et des banques dont les informations vont alimenter la déclaration de revenus préremplie. Ensuite, il y a moins d’espace pour la fraude et les contribuables y trouvent leur compte puisque l’obligation déclarative est simplifiée.
 
Dans cette logique, à compter de 2019, les plates-formes internet devront déclarer les revenus de leurs utilisateurs automatiquement à l'administration fiscale.
 
D’autres types d’informations fournies par les tiers alimentent des fichiers essentiels pour lutter contre la fraude : le fichier des comptes bancaires FICOBA, depuis 2016 le fichier des contrats d’assurance-vie FICOVIE, le registre des trusts etc. Plus fort encore, depuis septembre 2017, 49 pays et 53 supplémentaires à compter de septembre 2018 fournissent et vont fournir automatiquement à la France tous les éléments utiles sur les comptes bancaires et les assurances vie détenus par les ressortissants français dans ces États. 

Dans le même ordre d’idée, les États de l’Union européenne s’échangent désormais automatiquement les décisions ayant un effet transfrontalier. Un autre moyen de recueillir des informations automatiques concernant les opérations effectuées au-delà des frontières consiste à demander aux entreprises de souscrire des déclarations concernant
leurs activités à l’étranger. Désormais, les grandes entreprises (plus de 750 millions d'euros de chiffre d'affaires) doivent déclarer le détail des résultats de leurs filiales situées à l’étranger et les entreprises de plus de 50 millions d'euros de chiffre d’affaires doivent fournir des informations sur leur politique de prix de transfert.
 
Il convient toutefois de ne pas tomber dans l’excès en demandant à des entreprises des informations qui nécessiteraient de leur part des coûts informatiques disproportionnés au regard de l’avantage pour l’État en matière de lutte contre la fraude fiscale. Mais il semblerait pertinent de renforcer davantage les moyens de détection de la fraude fiscale internationale. Ainsi, les mesures suivantes pourraient-elles être étudiées :

  • élargir l’obligation de déclaration des prix de transfert à toutes les entreprises qui, quelle que soit leur taille, appartiennent à un groupe ayant des établissements situés à l’étranger ;
  • demander aux entreprises de déclarer à l’administration fiscale les montages fiscaux qu’elles mettent en place pour certaines opérations (emprunts auprès d’une société du même groupe située dans un pays à fiscalité privilégiée, redevance de marque payée au profit d’une société située dans un pays à fiscalité privilégiée etc.) ;
  • au sein de l’Union européenne, rendre obligatoire la constitution de fichiers des assurances-vie et des comptes bancaires et prévoir l’échange de ces fichiers entre États de l’Union.

Avec ces mesures, le radar pour détecter des fraudes au-delà de nos frontières serait plus performant.

c. Des informations menées par des « lanceurs d’alerte »

Il n’est pas rare aujourd’hui que des gens choqués par certaines pratiques de leur employeur transmettent des documents professionnels à la presse ou à des organismes de contrôle.

C’est le cas dans des domaines non fiscaux (espionnage, dopage, abus concernant des médicaments, abattoirs etc.) et en matière de fiscalité (Lux-leaks, comptes HSBC, démarchages d’UBS, affaire Gucci etc.).
 
Parfois, ces gens demandent une indemnité en contrepartie de l’information donnée car ils perdent leur emploi et subissent divers préjudices. La plupart des administrations fiscales des pays comparables au nôtre ont la possibilité de verser une indemnité. C’est en général une très bonne affaire car les informations fournies permettent à l’État de récupérer des sommes considérables et de montrer que la fraude ne reste pas impunie.
 
Ainsi, aux États-Unis, le dispositif de récompense financière versé aux dénonciateurs a-t-il permis de collecter 3 milliards de dollars d’impôts entre 2007 et 2015, moyennant le versement de 400 millions de dollars d’indemnités.
 
Un premier pas est fait en ce sens en France avec la possibilité depuis le 1er janvier 2017 et pour une période de deux ans de verser des indemnités à des aviseurs, si les informations portent sur une fraude fiscale internationale. Un rapport annuel doit être remis au Parlement sur sa mise en œuvre.
 
Il est vrai qu’il est nécessaire dans ce domaine de faire preuve d’un professionnalisme extrêmement rigoureux dans l’examen de la véracité des données proposées, (l’affaire « Cleastream » ne doit pas être oubliée), de l’intérêt de ces données et de la juste indemnité à verser. Mais sous cette réserve nécessitant que ce type d’affaire soit traité par un service spécialisé, il nous semble s’agir là d’un moyen précieux de lutte contre la fraude fiscale.

2. Être en capacité d’analyser l’information et de repérer les risques

Il ne suffit pas d’avoir des informations. Encore faut-il pouvoir et savoir les utiliser. Certaines informations se suffisent à elles-mêmes pour déclencher un contrôle (ex. : compte à l’étranger non déclaré ainsi que les revenus correspondants, activité occulte exercée via internet etc.). Il est juste nécessaire de veiller à ce qu’elles soient à la disposition des services de contrôle et qu’elles soient rapidement exploitées.
 
D’autres informations ne sont pas suffisantes en soi. Mais si elles sont croisées avec d’autres, il est possible de repérer des risques d’anomalies, voire de fraude (ex. : la création d’une filiale dans un pays à fiscalité privilégiée, la diminution concomitante des bénéfices réalisés en France, l’augmentation du poste de charge relatif aux redevances etc.). Il est donc nécessaire de développer au maximum l’analyse-risque qui permet de programmer les contrôles avec des risques préidentifiés et cotés en fonction de leur probabilité.
 
C’est une affaire de spécialistes de la fiscalité et de l’informatique. Mais cette intelligence fiscale est un gage d’efficience.
 
Une autre méthode consiste à dégager les caractéristiques des entreprises qui procèdent à certaines fraudes et à injecter ces éléments dans des masses de données pour faire ressortir des listes d’entreprises qui présentent un risque frauduleux. Il s’agit du « data mining ». Cette méthode est expérimentée depuis quelques années par l’administration fiscale française. Elle est prometteuse et va être encore intensifiée. Elle vient d’être étendue à titre expérimental avec l’autorisation de la CNIL (Commission nationale de l’informatique et des libertés) aux déclarations des impôts des particuliers et l’équipe dédiée à ce projet va être renforcée. 

Ces procédés modernes de détection de la fraude sont complémentaires. Ils permettent de
gagner en efficacité. Ils ne se traduisent pas par des rectifications automatiques. Ils déclenchent un examen des dossiers repérés comme à risque et c’est cet examen qui confirme ou non l’intérêt d’un contrôle.
 
Pour que l’analyse-risque et le « data mining »soient les plus opérationnels possible, deux conditions doivent être remplies : recueillir le maximum de données et disposer d’experts formés à ces techniques.

Sur le premier point, on peut à terme envisager que les administrations et organismes
concernés (TRACFIN, organismes sociaux etc.) échangent leurs bases de données. Sur le second, il est probablement nécessaire que l’administration fiscale recrute sous forme contractuelle des spécialistes de ces techniques qui évoluent très vite et qui nécessitent une formation spécifique.
 
Bien entendu, il est impératif de veiller à ce que ces nouveaux outils soient parfaitement respectueux des droits fondamentaux des personnes, notamment du droit à la protection des données personnelles. En tout état de cause, tous les textes relatifs à l’exploitation des données informatiques sont soumis à la CNIL et celle-ci veille scrupuleusement au respect, notamment de la traçabilité, de la transparence et de l’accès aux données et à ce que leur traitement ne puisse poursuivre que l’objectif de lutte contre la fraude fiscale.

a. Contrôler efficacement et dissuader la fraude

On vient de voir que pour lutter contre la fraude fiscale, il est nécessaire d’être en mesure de la détecter. Mais encore faut-il ensuite avoir des moyens puissants de contrôle et mettre en place un dispositif efficace de prévention et de dissuasion afin d’éviter de tout baser sur les contrôles.

Des moyens d’investigation efficaces permettant de démontrer la fraude.

Depuis quelques années, les moyens d’investigation de l’administration fiscale ont été sensiblement améliorés. Prenons quelques exemples...

  • Le dispositif de perquisition fiscale (procédure dite du L 16 B) a été modernisé, notamment pour que les données contenues dans les ordinateurs situés en France même si les serveurs (le Cloud) sont situés à l’étranger puissent être prélevées.
  • Depuis 2017, il est possible pour des problématiques internationales (telles que la domiciliation d’une personne ou d’une entreprise) de procéder à des auditions de personnes, autres que les contribuables, dont les témoignages peuvent être utiles.
  • Le contrôle des entreprises commence désormais par la transmission aux vérificateurs de l’intégralité de la comptabilité sous forme dématérialisée. Ce qui permet à l’administration d’accéder à la comptabilité dans de bonnes conditions et d’utiliser un outil informatique d’analyse de ces comptabilités. Pour certaines entreprises, les vérificateurs ont en outre désormais accès à la comptabilité analytique, aux comptes consolidés et à une documentation spécifique sur les prix de transfert.
  • Depuis 2010, l’administration fiscale française peut, via la justice, saisir une « police fiscale » lorsqu’elle a des soupçons étayés sur l’existence d’une fraude mais qu’elle n’est pas en mesure de les démontrer avec les moyens de contrôle traditionnels.

La « police fiscale » (composée de policiers et d’inspecteurs des finances publiques) utilise les moyens de la police pour procéder à ses enquêtes (auditions, écoutes, perquisitions, sonorisation, filatures etc.). Il s’agit là d’une procédure très efficace dont disposaient déjà la plupart des pays comparables au nôtre. À ce jour, plus de 500 dossiers ont été confiés à la police fiscale.
 
Ce sont des progrès sensibles et bienvenus. Il convient pour autant d’être attentif à deux aspects.

  • Les moyens humains : les effectifs consacrés exclusivement au contrôle fiscal en France sont d’environ 4 500 personnes.

 
Ce sont des fonctionnaires de haut-niveau, bien formés et motivés. Mais pour être en mesure de pleinement utiliser les moyens modernes d’investigation, il est nécessaire d’adjoindre à des spécialistes de la fiscalité des experts sur les questions informatiques, comptables, financières et de droit international et patrimonial. L’administration doit former ou recruter de tels spécialistes.
 
Elle doit aussi disposer d’équipes suffisamment nombreuses pour faire face à ses nouveaux défis. À cet égard, il est patent qu'aujourd'hui, la police fiscale ne dispose plus des moyens de traiter tous les dossiers dont elle est chargée. C’est pour cela qu’un service spécifique doit être créé sous le giron direct de Bercy qui pourra y allouer les effectifs nécessaires.

  • L’état de l’art : il convient en permanence de s’assurer que les moyens d’investigation sont toujours en adéquation avec les enjeux et l’évolution de la fraude.

Ainsi, de plus en plus d’entreprises de taille moyenne sont-elles concernées par la question des prix de transfert car liées à d’autres entreprises situées à l’étranger. On pourrait envisager, par exemple, de baisser le seuil du chiffre d’affaires des entreprises tenues de présenter leur comptabilité analytique et celui des entreprises qui doivent, en cas de contrôle, produire une documentation sur leurs prix de transfert. De même, une réflexion sur les modalités de contrôles des particuliers afin de les rendre plus rapides et efficaces pourrait être utile.

3. Des mesures permettant d’éviter la fraude

Il est nécessaire d’avoir un contrôle fiscal doté de moyens d’investigation puissants pour pouvoir corriger les effets de la fraude et la sanctionner. Mais l’idéal est d’éviter la fraude. L’impôt dû rentre alors normalement dans les caisses de l’État sans qu’il soit nécessaire de le récupérer quelques années plus tard. À cette fin, trois voies paraissent devoir être utilisées.
 
a. Des dispositions législatives empêchant les fraudes fiscales
 
Certains schémas de fraude se répandent très vite. Ils sont « vendus » par des officines spécialisées qui démarchent les entreprises. Il faut donc les endiguer le plus rapidement possible par une disposition législative qui empêche la fraude (ou en tout cas la rend plus difficile). Depuis quelques années, chaque loi de finances comporte ainsi son lot de mesures « anti-fraude » ou « anti-abus ». Il n’est pas question ici d’en dresser une liste exhaustive mais quelques exemples sont éclairants.

  • Certains commerçants utilisent des logiciels de caisse frauduleux pour dissimuler des recettes perçues en espèces : depuis le 1er janvier 2018, la loi oblige les commerçants à utiliser des logiciels de caisse sécurisés et certifiés qui retracent, sans possibilité d’effacement, toutes les manipulations effectuées.
  • Certaines entreprises dites « carrouselistes » facturent des marchandises ou des services avec TVA à des entreprises ayant « pignon sur rue » et ne reversent pas cette TVA au Trésor : pour parer à cette fraude, la loi prévoit des sanctions lourdes envers l’entreprise acheteuse si elle savait ou ne pouvait ignorer que son fournisseur était un  fraudeur. Cette disposition a mené les entreprises acheteuses à faire « le ménage » dans leurs fournisseurs et s’avère efficace pour lutter contre les carrousels TVA.
  • Des sociétés appartenant à un groupe international majorent leurs charges financières par divers procédés : la loi comporte aujourd’hui une batterie de garde-fous pour mettre fin à ces fraudes (sous-capitalisation, utilisation de montages hybrides, pseudo-abandons de créances financières etc.).

Ces dispositions dont la liste est longue sont efficaces. La France dispose aujourd’hui d’un arsenal législatif anti-fraude performant.
 
Cette voie à toutefois ses limites :

  • elle complique toujours plus la législation fiscale, ce qui nuit à sa lisibilité et à sa bonne application par les contribuables qui, de bonne foi, peuvent commettre des erreurs ;
  • dans certains cas, pour mettre fin à des abus, il est nécessaire de viser large dans la loi, notamment pour tenir compte des contraintes européennes qui exigent que les opérations internes ne soient pas favorisées par rapport aux opérations transeuropéennes. Ainsi, des opérations légitimes sur le plan économique peuvent-elles parfois être sanctionnées par des mesures anti-abus ;
  • certaines fraudes ne peuvent être empêchées que par des textes communs aux États. C’est typiquement le cas de la notion d’établissement stable. Un État ne peut pas avoir sa propre définition d’un établissement stable sans l’accord des autres États concernés, sauf à voir les mêmes bénéfices taxés dans plusieurs États. Dès l’apparition d’une nouvelle fraude, il convient par conséquent d’examiner si une mesure législative est opportune. À défaut, c’est le contrôle et sa force de dissuasion qui doivent jouer pleinement.

b. Des sanctions qui dissuadent
 
Pour éradiquer la fraude, il est indispensable que le fraudeur potentiel ait peur de se faire prendre et qu’il craigne les sanctions qui s’ensuivront.

En matière fiscale, les sanctions sont financières. Celles-ci doivent donc être dissuasives, ce qui suppose qu’elles soient élevées et qu’elles soient appliquées à chaque fois que l’impôt a été fraudé de façon intentionnelle, sauf circonstances exceptionnelles (âge, santé etc.). Les rappels et les sanctions doivent ensuite être recouvrés avec pugnacité par des spécialistes des problématiques du recouvrement.
 
Ces sanctions ont toutefois aujourd’hui deux limites : elles ne sont pas publiques car elles sont couvertes par le secret fiscal et elles s’appliquent aux seuls contribuables et pas aux conseils qui ont contribué à l’élaboration des montages frauduleux.

Pour remédier à ces inconvénients, les mesures contenues dans la loi relative à la lutte contre la fraude sont tout à fait opportunes. Mais pour renforcer la sanction financière en cas de fraude et la rendre plus dissuasive, une réflexion pourrait être engagée sur le délai de prescription de droit commun de trois ans. 

Ce délai est étendu dans quelques cas exceptionnels (activité occulte, compte à l’étranger non déclaré et procédure judiciaire). Mais aujourd’hui des fraudes très graves telles que l’utilisation de logiciels frauduleux pour dissimuler des recettes, les fraudes carrousels TVA, les montages internationaux utilisant des entités simples « boîtes aux lettres » dans des pays à fiscalité privilégiée ne peuvent donner lieu à des rappels que sur trois ans, ce qui limite la sanction financière et son aspect dissuasif.
 
Les pays comparables au nôtre disposent pour la plupart d'un délai de reprise bien supérieur en cas de fraude. On pourrait imaginer un délai de reprise de six ans qui serait utilisé en cas de démarche frauduleuse du contribuable. Il est rappelé qu’en France, les entreprises doivent conserver leurs documents comptables et les pièces justificatives pendant dix ans.
 
Par ailleurs, pour les fraudes les plus graves, il est légitime d’ajouter des sanctions pénales aux sanctions financières. C’est le cas en France pour environ 1 000 dossiers chaque année. Les sanctions pénales visent les gens et sont connues car il y procès. Elles sont craintes car elles apportent une sorte d’opprobre. Elles ont un pouvoir dissuasif très fort. Mais pour que cette dissuasion couvre toute la palette des fraudeurs, il convient de veiller à ce que toutes les formes de fraudes fiscales et toutes les catégories de gens et d’entreprises soient visées par les plaintes pénales.

C’est aussi parce que les contribuables craignent le fisc que les dispositifs de régularisation peuvent fonctionner. Le contribuable a d’autant plus intérêt à spontanément déclarer les infractions qu’il a commises et faire amende honorable qu'en cas de découverte de la fraude par l’administration fiscale dans le cadre d’un contrôle, il risque gros.

 
c. Faire de la pédagogie sur l’impôt
 
La fraude fiscale est moins acceptée en France que dans un passé récent. Plusieurs éléments ont contribué à cette évolution positive : l’augmentation de la pression fiscale qui rend le fraudeur insupportable, la concurrence toujours plus vive qui fait que les comportements déloyaux sont moins tolérés, la facilitation des démarches déclaratives pour les contribuables qui font que le fraudeur peut moins arguer de la complexité de l’impôt etc.
 
Mais la méconnaissance de nos concitoyens sur les grands principes de l’impôt est impressionnante. Le rôle de l’impôt est mal connu. Les grandes caractéristiques de notre système fiscal sont ignorées. Le discours politique sur ces questions est souvent mal assumé.

Plus on dénigre l’impôt, son montant, sa complexité, sans rappeler son fondement et son utilité, plus on justifie indirectement la démarche des fraudeurs.Or, plus on dénigre l’impôt, son montant, sa complexité, sans rappeler son fondement et son utilité, plus on justifie indirectement la démarche des fraudeurs.
 
Il y a aussi parfois une sorte de complicité des citoyens à la fraude. Après tout, le travail au noir ne fonctionne que parce que certains clients acceptent de payer sans factures. Il semble que faire preuve de pédagogie sur le sujet de la fraude fiscale est essentiel. De son côté, l’administration fiscale doit être encore plus « transparente » sur ses résultats, notamment ceux relatifs au contrôle fiscal et à la lutte contre la fraude. Elle est gênée sur ce point par le secret fiscal. L’idée dans certains cas bien déterminés de la délivrer de ce secret pour publier le nom des fraudeurs (name and shame) est en ce sens intéressante.
 
Ce tour d’horizon permet de mesurer que la France dispose de nombreux atouts pour lutter contre la fraude fiscale : une administration bien organisée, efficace et déterminée, des agents de grande qualité, un dispositif législatif anti-fraude performant, des moyens de contrôle à l’état de l’art et un dispositif de sanctions opérationnel.

Mais la vigilance s’impose et des améliorations sont possibles. En tout état de cause, il est nécessaire :

  • en interne, de s’assurer en permanence que notre dispositif de détection et de dissuasion est opératoire face à des méthodes de fraude et à des montages qui évoluent sans cesse ;
  • à l’international, de poursuivre les efforts pour aller vers une régulation fiscale évidemment nécessaire dans un monde financier et économique décloisonné.

Ce renforcement des moyens de lutte contre la fraude doit s’effectuer dans le respect absolu des droits de la défense et des droits fondamentaux des gens. C’est une question de principe bien sûr mais aussi une condition de l’acceptabilité de l’utilisation du big data pour la détection de la fraude.
 
Un dispositif efficace de lutte contre la fraude fiscale, ne doit pas inquiéter les contribuables
respectueux du droit. Au contraire, il doit les rassurer sur le fait que ceux qui leur portent préjudice en fraudant seront repérés et sanctionnés.
 
Renforcer les moyens de lutte contre la fraude fiscale n’est en aucune manière contradictoire avec le fait que l’administration fiscale doit continuer de mettre en place des procédures pour faciliter l’impôt et intensifier sa démarche d’accompagnement et de conseil. Au contraire, plus l’impôt est facile et compris, plus la sécurité juridique est assurée et moins les fraudeurs sont supportables aux yeux de tous.
 
Étude menée pour la revue Gestion et finances publiques.

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