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30 / 07 / 2020 | 337 vues
Jacky Lesueur / Abonné
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Dépasser les idées reçues sur la protection sociale complémentaire des fonctionnaires

Dans l'imaginaire public régulièrement entretenu par les médias (voire par certains responsables politiques), les fonctionnaires finissent par bien souvent paraître comme des nantis ou des privilégiés par rapport aux autres salariés du secteur privé. En regardant les choses de plus près et sans a priori, c'est en fait loin d'être évident sur de nombreux aspects.


Alors que les débats sur la protection sociale sont sur le devant de l'actualité, il peut être intéressant de très concrètement faire le point sur la protection sociale complémentaire pour éclairer ce sujet complexe et éminemment sensible pour dépasser les idées reçues.
 

Les éléments d'histoire et de contexte
 

Suite à la remise en cause de l'arrêté Chazelle du 19 septembre 1962 sur « les conditions de la participation d'État à la couverture des risques sociaux assurés par les sociétés mutualistes constituées entre les fonctionnaires, agents et employés d'État et des établissements publics nationaux », de nouvelles règles ont été mises en place en 2007 (définies par le décret du 19 septembre et les arrêtés du 19 décembre 2007) dans la fonction publique de l'État et en 2011 par décret du 8 novembre 2011 (et ses arrêtés d'application du même jour) pour les agents des collectivités territoriales et de leurs établissements publics, dans des conditions sensiblement différentes précisées par circulaire du 25 mai 2012.

  • Ainsi, pour la fonction publique d'État, le processus dit de « référencement », après l'élaboration d'un appel d'offres ouvert à la concurrence, mène chaque ministère à référencer un ou plusieurs acteurs de complémentaire de santé pour sept ans, avec un soutien financier sous conditions, entre autres, de respecter certaines solidarités familiales, inter-générationnelles à la clef.
  • Pour la fonction publique territoriale, un double dispositif de conventionnement et de labellisation a été mis en place.
  • En revanche, pour la fonction publique hospitalière, aucun nouveau dispositif réglementaire n'a jusqu'à présent pu être finalisé, les choses étant pour le moins complexes...
     

Mais, si dans la fonction publique d'État, la première vague de référencement engagée en 2009 avait mené à attribuer la préférence, pour l'essentiel aux mutuelles professionnelles « historiques », le renouvellement du processus défini par la circulaire co-signée de la Ministre des Affaires sociales et de la Santé et celle de la Fonction publique le 27 juin 2016 a singulièrement modifié la donne.

 

Le renouvellement du processus de référencement et les bouleversements en découlent
 

Où en est-on vraiment aujourd'hui, au regard des dispositifs mis en place ministère par ministère ? Il convient de rappeler que, suite à la circulaire de cadrage publiée après de laborieuses discussions avec les organisations syndicales de fonctionnaires, le cycle de discussions s'est véritablement engagé au Ministère de l’Agriculture fin 2016. Avec des volontés plus ou moins affirmées, les autres ministères ont suivi avec des approches pour le moins très hétérogènes  tant sur le contenu des cahiers des charges que sur le montant de la contribution employeur (très variable d’un secteur à l’autre et, pour 60% des fonctionnaires, même pas 2 euros par an !).
 

Au bout du compte, on a pu constater des décisions de référencement ayant profondément modifié le paysage et le modèle mutualiste établi.
 

Ainsi, aux finances et aux affaires étrangères, la MGEFI et la MAEE (mutuelles historiques) ont certes été confirmées comme seuls opérateurs mais :

  • à l'Agriculture, trois acteurs ont été référencés (Harmonie Mutuelle fonction publique, AG2R La Mondiale et Groupama) ;
  • à l'Éducation nationale, trois acteurs ont été retenus et la MGEN devra désormais partager son territoire avec Axa-Intériale et CNP Assurances ;
  • au Ministère de la Justice, le choix de la Chancellerie s’est finalement porté sur un unique opérateur, Axa-Intériale (Intériale intervenant pour sa part traditionnellement plutôt au Ministère de l'Intérieur), en écartant curieusement la MMJ, mutuelle historique dans le secteur de la Justice (et membre du pôle mutualiste du groupe de prévoyance AG2R La mondiale) ;
  • aux affaires sociales, la publication du cahier des charges s’est fait attendre et, suite au lancement de son appel d’offres en octobre 2017, le verdict est tombé en mai dernier, avec l’annonce de deux acteurs référencés pour ce secteur : la MGEN associée à Harmonie fonction publique et le tandem historique MGAS-SHAM ;
  • mi- octobre 2017, nous apprenions que le Ministère de la Défense avait finalement retenu les quatre opérateurs qui avaient postulé (tant pour le personnel civil que pour le militaire), à savoir :
    • Tégo, un groupement de mutuelles réunissant AGPM, GMPA,MAA et la McDéf (mutuelle civile de la Défense, désormais dans Klésia) ;
    • Unéo (avec la GMF/Covéa et la mutuelle de la police MGP) ;
    • MNAM (mutuelle de la Marine, désormais dans le giron d'Harmonie fonction publique) ;
    • Intériale/Axa.
  • Pour le Ministère  de la Transition écologique et solidaire et celui de la Cohésion des territoires (le référencement avec la MGET, depuis fusionnée avec la MGEN, ayant expiré fin 2016), il a fallu attendre encore « un peu ». Après plusieurs mois de négociations avec les organisations syndicales, ces deux derniers ministères qui couvrent largement l’ancien Ministère de l’Équipement, du Logement, du Tourisme, de la Mer et des Territoires (selon les attributions au gré des gouvernements successifs) se sont décidés a lancer un appel d’offres début août 2017, avec pour objectif une mise en œuvre au 1er janvier 2019 et c'est la MGEN qui a été référencée.

Dans ce paysage pour le moins très « contrasté », du côté du Ministère de l'Intérieur (qui s'était d’ailleurs singularisé lors du dernier référencement par un non-appel d'offres), c’est le  silence le plus total. C'est d’autant plus étonnant que le secteur « privilégié » de la mutuelle Intériale, en partenariat avec AXA, a déjà trouvé les « bonnes grâces» de nombreux ministères.

Il est pour le moins curieux (pour ne pas dire scandaleux) que, pour les fonctionnaires d'État, seul le Ministère de l’Intérieur s'exonère des règles contraignantes imposées par la fonction publique à tous sur ce dossier éminemment sensible. Comprenne qui pourra !  


Intériale, qui s'est vu attribuer de nouvelles parts de marché dans plusieurs ministères de la fonction publique qui se sont pliés aux contraintes réglementaires reste donc une nouvelle fois la seule mutuelle présente dans ce ministère sans être soumise à un processus d'appel à la concurrence. On aimerait bien que l’on nous explique pourquoi ce qui est obligatoire partout ne l'est pas au Ministère de l'Intérieur et pourquoi on peut admettre qu'il reste extérieur au dispositif légal...


Osons encore croire que, dans notre état de droit, (et avec en toile de fond, les réflexions menées par la mission confiée aux trois inspections générales sur le dossier de la complémentaires de santé des agents publics dont nous suivront avec intérêt les observations et les recommandations), le Ministre de l’Intérieur, la DGAFP et le Ministère des Comptes publics et de la Fonction publique ne s’affranchiront pas éternellement de dispositions devant s’appliquer à l’ensemble des fonctionnaires de la fonction publique d'État.

 

La participation financière de l'État à la protection sociale de ses agents n'a pas cessé de diminuer depuis 2005 : quels seront les axes de réforme ?
 

Une  mission de réflexion a donc été lancée en février 2018 pour tirer les enseignements des dispositifs en place dans les trois versants de la fonction publique. 
 

À l'évidence, sur ce sujet sensible, les conclusions de la mission inter-inspections (IGF, IGA et IGAS) étaient attendues avec intérêt et beaucoup d'interrogations au regard des précédents sur ce dossier.
 

Une rapide présentation en a été faite aux organisations syndicales le 18 juillet, en s'attardant plus spécialement sur le bilan à tirer du dispositif de référencement en place pour les fonctionnaires d'État, qui s'avère en fait très critique, rejoignant d'une certaine manière le sentiment exprimé à plusieurs reprises par la Mutualité Fonction Publique sur les risques de dérégulation provoquée par ce que certains considéraient comme « une stimulation du marché » nécessaire. Pour le président de la MFP, il est bien regrettable que ce constat soit aussi tardif.
 

Pour la mission, la deuxième vague de référencement dans la fonction publique d’État et l’ouverture à la concurrence « a fragilisé le dispositif » et elle souligne (comme la MFP a pu le faire à maintes reprises) l’hétérogénéité et la significative baisse au fil des ans de la participation financière des ministères à la protection sociale complémentaire de leurs agents depuis 2015.  

 

En 2017, la participation moyenne par agent était de 12 euros dans les ministères, avec des situations très « diversifiées », avec 121 euros pour les affaires étrangères, 47 euros pour l'agriculture et l’alimentation, 33 euros pour les armées et 19 euros pour les ministères sociaux.
 

Parmi les bien moins lotis, on trouve les ministères économique et financier avec 18 euros, la culture avec 17 euros, la Justice avec 10 euros et l’Éducation nationale avec 3 euros. Des contributions bien éloignées de la participation exigée des employeurs du secteur privé pour leurs salariés...
 

Amorcée en 2005 dès la mise en place du dispositif de référencement dans la fonction publique d'État, la participation financière de l'État pour la PSC des agents a ainsi diminué de près de 40 % entre le premier et le deuxième référencements. C'est dire !
 

Au-delà de ces constats, la mission observe :

  • que l’ouverture à la concurrence qui a fortement marqué les ministères (sauf rares exceptions) pour la deuxième vague de référencement dans la fonction publique d’État « a fragilisé le dispositif » ;
  • que la « volonté d’améliorer le rapport garanties/prix s’est parfois traduite par une ouverture en trompe-l’œil » et qu'elle n'est donc pas démontrée, loin s'en faut.
     

Ainsi, le multi-référencement (dont nous avons fait mention plus haut ) qui a été mis en place dans plusieurs ministères (et non des moindres, comme l'Éducation nationale, les armées, l'agriculture etc.) semble bien présenter plus d’inconvénients que d’avantages pour les corps d'inspection.
 

Pour autant, reste à connaître les enseignements que le gouvernement en tirera et surtout quelles seront les préconisations qui en découleront finalement...
 

Des groupes de travail avec les organisations syndicales et les employeurs publics sont prévus dans les jours à venir  pour préparer le contenu de l'ordonnance actée dans la réforme de la fonction publique. La plus grande vigilance s'impose dans le contexte actuel.


La Mutualité Fonction Publique entend se faire entendre et être écoutée


Au-delà des travaux de convergence MFP/OS et sans attendre les préconisations finales des inspections, la MFP travaille depuis plusieurs semaines aux différents scenarii d’évolution possibles des dispositifs de PSC.
 

Elle bien entend inscrire sa mobilisation dans les semaines qui viennent dans le cadre de l’habilitation que le  gouvernement souhaite pour légiférer par ordonnances afin de réviser les modalités de la couverture complémentaire des agents publics.
 

Dans le cadre de son assemblée générale de juin dernier, la MFP a présenté un premier pilier de son manifeste posant sa méthode d’appréciation et d’évaluation des futures préconisations qu'elle entend porter autour de quinze idées fortes reposant  sur deux fondements (l’équité dans l’accès à une complémentaire de qualité et la solidarité, fondement du modèle mutualiste) et sept critères d’appréciation des futurs arbitrages du gouvernement (solidarités effectives, garanties complètes mutualisées, participation significative de l’employeur public, équité de traitement des agents, adhésion volontaire des agents, traitement équitable des opérateurs et respect des spécificités des trois versants).
 

Protection sociale complémentaire des fonctionnaires : une ordonnance de plus. Pour quelles prescriptions ?

Dans le projet de loi de transformation de la fonction publique, plus d'une dizaine de sujets devraient faire l'objet d’ordonnance, dont celui concernant la protection sociale complémentaire des fonctionnaires, à nouveau sur le tapis, alors que le processus de renouvellement des référencements dans la fonction publique d'Etat vient tout juste d'être bouclé...


Ainsi, au chapitre intitulé « Simplifier et garantir la transparence et l’équité du cadre de gestion des agents publics », il est précisé que « le gouvernement est habilité à prendre par ordonnances toute mesure relevant du domaine de la loi visant à :
1 - réformer la participation des employeurs mentionnés à l’article 2 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, au financement des garanties de protection sociale complémentaire de son personnel pour favoriser la couverture sociale complémentaire des agents publics ;

 2 - réformer l’organisation et le fonctionnement des instances médicales et de la médecine agréée et autoriser la mutualisation des services de médecine de prévention pour faciliter la prise en charge des agents publics ;

 3 - simplifier les règles applicables aux agents publics relatives à l’aptitude physique à l’entrée dans la fonction publique, aux différents congés et positions statutaires pour maladies d’origines non professionnelle et professionnelle et aux prérogatives et obligations professionnelles des agents publics traitant les dossiers d’accidents et maladies professionnels ;

4 - réformer les dispositions applicables aux agents publics en matière de temps partiel pour raison thérapeutique et de reclassement par suite d’une altération de leur état de santé pour favoriser leur maintien et leur retour à l’emploi... Autant de sujets d'importance pour les agents publics et qui méritent de véritables discussions avec les partenaires sociaux dans le cadre d'un dialogue loyal et constructif.


Dans l'agenda social récemment remis aux organisations syndicales, le sujet de la couverture de complémentaire de santé et prévoyance des agents publics figure bien à l'ordre du jour avec tout un processus de discussions devant se conclure au cours du premier trimestre 2020 ?
 

Dans ce contexte, la MFP entend bien continuer à travailler en lien étroit avec les fédérations syndicales de fonctionnaires en vue de l'élaboration d'une plate-forme d'expressions convergentes et argumentées avec des propositions très concrètes sur leur approche des choses et leurs exigences. Il est en effet plus que nécessaire de mobiliser toutes les énergies militantes pour :

  • peser dans les échanges et les futurs arbitrages du gouvernement,
  • agir de manière convergente vers la mise en place d’une plate-forme d’idées partagées,
  • et mener des travaux d’expertise autour de scenarii d’évolution des dispositifs de participation de l’employeur public dans les trois versants : État, hospitalier et territorial.

                                              

Alors que les employeurs du privé doivent au minimum prendre en charge 50 % de la cotisation de complémentaire de santé de leurs salariés depuis l’accord national interprofessionnel (ANI) de 2013 sur le sujet, la participation des employeurs publics à la couverture complémentaire n’est pas obligatoire pour les fonctionnaires des trois versants de la fonction publique, en santé comme en prévoyance, et on est bien loin du compte ! En la matière les agents publics sont loin d'être des salariés privilégiés.
 

Encore récemment, la MFP a rappelé que la participation des employeurs du secteur privé représentait en moyenne autour de 240 euros par an en moyenne, alors que :

  • dans la fonction publique d’État, 6 agents sur 10 ne perçoivent que 1,60 euros par an de leur employeur ;
  • pour la fonction publique territoriale, seul 1 agent sur 3 bénéficie d’une aide en santé de sa collectivité ;
  • pour la fonction publique hospitalière, l’agent hospitalier ne reçoit aucune participation financière de son employeur.
     

Nous sommes donc curieux de savoir ce qui sortira de cette nouvelle « mission », compte tenu des contraintes budgétaires sans cesse mises en avant, les missionnaires des trois corps ayant déjà travaillé sur le sujet en 2015, sans que leurs conclusions jugées « explosives » ne soient publiées. C'est dire si, dans le climat actuel dans la fonction publique, la plus grande vigilance devra s'imposer.

Au-delà de la formulation des intentions affichées dans le projet de loi de transformation de la fonction publique qui, rappelons-le, devraient conduire à « réformer la participation des employeurs au financement des garanties de protection sociale complémentaire de leur personnel pour favoriser la couverture sociale de complémentaire des agents publics », il conviendra de veiller aux remèdes qui seront prescrits dans l'ordonnance gouvernementale car il est clair que les mots ne suffiront pas face aux maux auxquels les agents publics sont confrontés.

En tout état de cause nous serons rapidement fixés puisque la nouvelle Ministre de la Fonction publique vient de confirmer son intention d'inscrire ce sujet éminemment sensible au programme des prochains mois aux fédérations de fonctionnaires...

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