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24 / 09 / 2019 | 1167 vues
Philippe Grasset / Abonné
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Recouvrement fiscal : vers la destruction de ce qui fonctionne ?

Suite à l’audience accordée par Gérald Darmanin aux fédérations ministérielles, un groupe de travail s’est réuni le 12 septembre concernant les suites du rapport « Gardette » et ses conséquences dans la perspective de l’unification du recouvrement fiscal. La secrétaire générale des ministères économique et financier par intérim présidait ce groupe de travail.


La directrice générale des douanes et des droits indirects et le  directeur général des finances publiques étaient présents, ainsi que le rapporteur de la mission, Alexandre Gardette.
 

Rappel chronologique
 

  • Lettre de mission d'Agnès Buzyn et de Gérald Darmanin, en date du 2 octobre 2018, pour l’élaboration d’un rapport sur la réforme du recouvrement fiscal et social.

L’objectif est d’« unifier le plus largement le recouvrement des prélèvements obligatoires en matière fiscale et sociale à l’horizon du quinquennat ».
 

  • Alexandre Gardette a rendu un rapport d’étape aux ministres le 21 décembre 2018.

En fait, selon des sources concordantes, les propositions du rapporteur n'étaient pas assez audacieuses et les ministres lui ont demandé un nouvel examen du dossier le 29 avril 2019.
 

  • Le 31 juillet 2019, Alexandre Gardette a rendu son rapport définitif aux ministres.
  • Le 3 septembre 2019, Gérald Darmanin a reçu les fédérations ministérielles pour officialiser ses premières décisions, sur la seule partie du recouvrement fiscal.
  • Le 5 septembre 2019, les fédérations ont reçu le rapport, expurgé de la partie « recouvrement social ».
     

Préconisations du rapport
 

  • Transfert du recouvrement de 11 prélèvements fiscaux (sur les 14 restants à la Douane) à la DGFIP d’ici 2024.
  • Transfert du contrôle documentaire à la DGFIP mais pas du contrôle physique de ces fiscalités.
  • Projet d’un portail commun informatisé de la fiscalité fiscale et sociale, pour les usagers professionnels.
  • Création d’une mission « France recouvrement », avec mise en place en parallèle d’un service à compétence nationale.
  • Un service consacré au seul recouvrement forcé est écarté à ce stade.
  • Unification des sphères fiscales et sociales reportée à une échéance beaucoup plus lointaine.
     

Déclarations de Gérald Darmanin du 3 septembre reprises dans son courrier aux agents des deux réseaux
 

  • Recouvrement de toutes les taxes douanières transféré à la DGFIP, d’ici 2024, sauf les droits de douane, l’octroi de mer et la TICPE : taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques.
  • Augmentation du budget « informatique » de 40 %.
  • Poursuite des suppressions d’emplois dans les deux directions, selon le calendrier suivant :

2020 : DGFIP – 1 500 ; DGDDI : -93

2021 : DGFIP – 1 800 ; DGDDI : - 278

2022 : DGFIP - 1 600 ; DGDDI : - 278


Dans son propos liminaire à ce groupe de travail, notre fédération :

  • a rappelé l’ampleur de la fraude fiscale, récemment confirmée par la Commission européenne, qui ne nécessite pas une réorganisation des services du recouvrement mais des moyens dans les services de contrôle pour lutter contre ce fléau ;
  • s’est étonnée que le rapport « Gardette » ne fasse aucun état des lieux de l’existant et ne démontre les insuffisances du dispositif actuel du recouvrement fiscal, justifiant de proposer une nouvelle organisation ;
  • a rappelé l’importance et la cohérence de maintenir une chaîne de « recouvrement-contrôle » et a exprimé ses craintes de voir cette réforme du recouvrement comme une étape préalable au transfert complet des contrôles à la seule DGFIP ;
  • a tenu à souligner le professionnalisme des agents exerçant les missions de recouvrement fiscal à la DGDDI, avec d'excellents résultats.
     

Il est totalement incompréhensible qu’une décision politique balaye d’un trait tout le travail accompli depuis des années par ces agents, sans aucun argumentaire crédible.
 

Cette réforme mène à fragiliser l’ensemble du dispositif douanier sans apporter aucun renfort humain à la DGFIP.


Notre fédération a tenu à souligner le paradoxe de voir le directeur général des finances publiques en charge de détricoter ce qu’il a lui-même élaboré quand il était à la tête de la DGDDI, comme le service national de la TGAP (taxe générale sur les activités polluantes, à Nice) ou le service de la TSVR (taxe spéciale sur les véhicules routiers, à Metz), les pôles énergétiques inter-régionaux, ainsi que les recettes inter-régionales.
 

À l’heure où le ministre justifie ces réformes sous le sceau des économies budgétaires mais également sous le prisme de libérer les entreprises du carcan administratif, nous sommes en droit de nous poser la question de l'efficacité de cette réforme. D’autant plus au vu de l’ampleur du projet informatique envisagé, à terme ce dernier deviendrait un portail unique pour l’ensemble du recouvrement fiscal et social.
 

Les exemples passés (tels Copernic avec son dépassement de délai de près de dix ans et surtout son coût faramineux) devraient pourtant faire réfléchir nos responsables.
 

En résumé, le ministre détruit un réseau qui fonctionne (en l’occurrence celui de la DGDDI) pour une opération aux multiples inconnues, dont le personnel de la DGFIP n'est pas demandeur.
 

Proposition de méthode
 

Dans une fiche adressée aux fédérations trois jours avant ce groupe de travail, le Secrétariat Général précise sa vision du dialogue social sur ce dossier. Les termes de ce document sont suffisamment contradictoires pour douter de la sincérité et de la volonté réelle de nos interlocuteurs de revenir sur le fond du projet et les principes qu’il énonce. D’un côté, il est écrit en préambule que : « ce groupe de travail doit permettre d’établir les modalités du travail et de concertation qui prolongeront la remise de ce rapport », puis se poursuit en précisant que « ce document a pour vocation d'éclairer les hypothèses de travail des administrations. Il n’a pas pour fonction de figer les travaux d’approfondissement qui seront à mener pour aboutir à un résultat opérationnel ».
 

À cette lecture, nous pourrions penser à une certaine ouverture sur la concertation à venir. Cette vision est très vite balayée par deux annexes (reprises in extenso du rapport « Gardette ») : l’une détaillant le transfert de l’assiette, du recouvrement et du contrôle des différentes taxes, l’autre proposant le calendrier de la réforme pour chacune d’entre elles.
 

Le début de ce cycle de réunions est prévu avec un démarrage dès le mois prochain, avant même l’adoption du projet de loi de finances de 2020.
 

Si un doute pouvait encore subsister quant à la marge de discussion sur le fond de cette réforme, la nomination à la DGFIP d’un directeur de projet et sa désignation prochaine à la DGDDI semble l'avoir définitivement levé.
 

Dernière preuve, le matin même de ce groupe de travail, le décret portant création d’une mission interministérielle dénommée « France recouvrement » a été publié au Journal Officiel, pour une durée de trois ans et dont les objectifs sont :
 

  1. unifier le recouvrement social d’une part et fiscal d’autre part,
  2. harmoniser les procédures de recouvrement fiscal et social,
  3. déployer un portail informatique fiscal et social.

     

Le rapport « Gardette » est une commande gouvernementale, qui s’inscrit dans les suites d’« Action publique 2022 ». Ses conclusions s’écartent quelque peu de la lettre de mission, en écartant certaines options radicales (regroupement unique du recouvrement forcé et création d’une agence de recouvrement) à court terme.
 

Pour autant, ces conclusions largement reprises par le ministre, fragilisent le réseau douanier avec toutes les conséquences sociales pouvant en découler.
 

L’émoi provoqué dans les services douaniers depuis les annonces de la semaine passée en témoigne. Alors que la réforme du PSD n’est pas achevée, la Douane s’engage une nouvelle fois dans une réforme systémique aux conséquences à ce jour difficiles à évaluer.
 

Quant au personnel de la DGFiP, lui-même inscrit dans une réforme d’ampleur, il sait bien que ce transfert de missions sera synonyme d’augmentation de la charge de travail sans moyens supplémentaires et d'assimilation des métiers désormais nouveaux, sans garantie de transmission correcte des savoirs ni de formation à la hauteur des enjeux.
 

Cette réforme n’est pas simplement un transfert de taxes, comme nous avons pu en connaître par le passé, mais une vision totalement nouvelle du recouvrement fiscal et, à terme, social, avec la mise en péril de l’administration des douanes dans son ensemble.
 

Pour nous, seul un rapport de force sera en mesure d’arrêter la machine à broyer les missions douanières et les emplois, sans aucun bénéfice pour la DGFIP et, plus généralement, l’amélioration du dispositif actuel.
 

D’ailleurs, à notre première interrogation de connaître la réflexion ayant mené à cette réforme, nous n’avons eu droit qu’au silence de nos interlocuteurs.

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