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27 / 08 / 2018 | 5 vues
Denis Garnier / Membre
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Rapport Lecocq sur la santé au travail : du bon, du flou et des propositions alternatives

Le rapport Lecocq sur la santé au travail a l’avantage de bousculer les lignes. L’inconvénient, c’est qu’il bouge aussi celles qui sont à leur place. La réponse qu’apportera le gouvernement méritera toutes les attentions sur les intentions réelles.

Résumons l’essentiel...
  • Les services de santé au travail interentreprises disparaitraient au profit d’une structure régionale de droit privé « région santé au travail », qui disposerait d’un conseil d’administration paritaire où siège le représentant de l’État et qui s’appuierait sur des antennes locales permettant de maintenir une proximité géographique avec les entreprises sur le territoire.
  • Le financement serait assuré par une cotisation uniforme sur le territoire national qui mutualiserait différentes cotisations existantes pour créer un fonds de prévention collecté par les URSSAF (essentiellement les cotisations accidents du travail et service de santé au travail).

La lecture critique et prospective ci-dessous se limite aux deux seuls points résumés ci-dessus. Le rapport comporte d’autres éléments intéressants (structure nationale, école de santé au travail, recentrage des missions des CARSAT et de l’Inspection du travail etc.) qui feront l’objet d’autres articles.

Les services de santé au travail interentreprises disparaitraient

Le bon (?)

Je ne partage pas cette proposition brutale et radicale de suppression de ce niveau d’intervention de proximité que représentent les services de santé au travail interentreprises (SSTI), même si le rapport prévoit qu’il y aurait des antennes locales.

Au contraire, j'estime que le projet devrait s’appuyer sur le réseau existant des 253 SSTI et sur les 642 SST autonomes (qui sont de proximité, eux) qui, avec 20 000 points de consultation, couvrent aujourd’hui 18,2 millions de salariés.

Cependant, la nécessité d’harmoniser les objectifs, les pratiques, les règles de fonctionnement et de financement, voire de créer une convention collective commune pour tous les professionnels qui travaillent au sein de ces 895 structures, auxquelles pourront s’ajouter ceux qui proviendront des CARSAT et des ARACT ou de l’organisme régional de l’OPPBTP, est d’une absolue nécessité.

Le flou

La notion de guichet unique pour les entreprises, placé au niveau régional, n’est pas réaliste, car les services proposés seront dispensés au cœur du territoire.

En supprimant les SSTI, qui sont des structures privées associatives entièrement financées par des entreprises adhérentes, se pose la question du devenir de leurs actifs et de leur patrimoine. Certes la « région santé au travail » serait un organisme de droit privé mais comment opérer ce transfert d’actifs et de patrimoine ? Les entreprises, qui ont financé ces actifs et ce patrimoine, seront-elles prêtes à les donner sans compensation à la structure régionale ?

Le maintien des services de santé au travail autonomes au sein des grandes entreprises ne permet pas d’assurer une cohérence d’ensemble que préconise le rapport de la mission. Ce qui paraît possible pour les 253 SSTI doit aussi l’être pour les 642 SST autonomes.

En remarque subsidiaire, l’on peut craindre que bien des médecins du travail qui exercent dans ces structures n’anticipent leur départ à la retraite pour éviter les nécessaires adaptations d’une nouvelle réforme qui va les placer sous une tutelle régionale ?

Toutes ces questions méritent des précisions ou, plus sagement, un débat pour amender les recommandations de la mission.

Proposition alternative

Si l'on veut réellement « partir du besoin des salariés et des entreprises au niveau local », (3.1.2 p. 130), inversons la gouvernance par une approche territoriale en partant des bassins d'emplois, des « territoires vécus », en dépassant les départements et les logiques d'agrément tels qu'on les connaît à ce jour.

Il faut dessiner un territoire de santé au travail (TST) en s’appuyant sur les 895 SST et en définissant les compétences et le socle commun de service dont ils auront la charge. Ce socle commun pourrait être celui des missions citées aux 3 premiers alinéas prévu dans le rapport page 6 et 130 :
  • le suivi individuel obligatoire de l'état de santé des travailleurs ;
  • un accompagnement pluridisciplinaire en prévention des risques et de promotion de la santé au travail (expertise technique, conseils méthodologiques, appui au déploiement de démarches de prévention technique et organisationnelles, aide à l’évaluation des risques, structuration d’une démarche de prévention, mise en place d’un système de management de la santé et sécurité, déploiement d’une politique sur la qualité de vie au travail…) lorsque les entreprises n’ont pas la capacité de réaliser ces actions elles-mêmes ;
  • l’aide au maintien dans l’emploi par l’intervention précoce dans le parcours de soins, l’adaptation du poste de travail, l’accompagnement dans le parcours social d’insertion (accès aux aides, reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé, articulation avec les travailleurs sociaux, formation professionnelle…) ;
Ces TST, certifiés (AMEXIST, ISO, HAS, aucune importance), pourraient travailler en réseau au sein de la nouvelle structure « région santé au travail » et être missionnés par convention (CPOM, CPG, COG...).

La région santé travail aurait comme compétences :
  • le complément d’expertise en direction des TST et des entreprises avec les compétences des agents qui proviennent des CARSAT, ARACT et l'office régional de l’OPPBTP ;
  • l’accès à un centre de ressources diffusant les outils et guides utiles et favorisant la capitalisation et le partage des bonnes pratiques ;
  • la formation des acteurs dans l’entreprise en matière de prévention ;
  • le conseil d’orientation des entreprises vers le recours à un intervenant externe habilité ;
  • éventuellement, l’agrément des TST avec le concours actuel des médecins inspecteurs du travail.

Cette proposition alternative privilégie un passage en douceur de la réforme qui est proposée par la mission. Rappelons que l’objectif principal que la mission poursuit est de créer un rapport de confiance entre les entreprises et un service de santé au travail n’exerçant aucune mission de contrôle.

 

Le financement serait assuré par une cotisation uniforme

Le bon

Les allocations de ressources par le Fonds national de prévention alimenté par une cotisation unique est de bon sens et simple à mettre en œuvre dans le schéma de redescente des moyens. Le retrait de l’autonomie financière des actuels SSTI permettra une simplification du fonctionnement et une homogénéisation des pratiques et des ressources.

Le financement serait assuré par une cotisation unique des employeurs recouvrée par les URSSAF, à coût global constant pour les entreprises, ce qui pourrait s‘apparenter à une bonne idée mais la création d’un fonds national de prévention est aussi une bonne idée.

Le flou

Le rapport préconise une cotisation unique pour les employeurs : « Les contributions financières des entreprises pour les structures régionales de prévention et celle concernant l’OPPBTP pour les entreprises qui en relèvent pourraient être regroupées avec celles des AT-MP au sein d’une cotisation unique de « santé travail » directement recouvrées par les URSSAF » ( 1.7 p. 134).

En clair, l’actuelle cotisation pour accident du travail serait regroupée avec la contribution financière pour les structures régionales de prévention pour créer une cotisation unifiée.

Contrairement à la visibilité recherchée, la partie prévention sera noyée avec la partie réparation.

Par ailleurs, le rapport de la mission préconise une modulation de cette cotisation unique selon le risque spécifique de l’entreprise ou de son engagement en matière de prévention.

« Un employeur qui recourt à des prestations de prévention, hors la structure régionale, verra sa cotisation réduite à due concurrence ». (1.7. p. 134).

Une entreprise peut créer une société de conseil, chargée de lui fournir des prestations de prévention (formation etc.) qu’elle déduira de sa cotisation unique.C’est une idée qui risque d’anéantir le bien-fondé de la nouvelle organisation de la prévention projetée par la mission. Par exemple, une entreprise peut créer une société de conseil, chargée de lui fournir des prestations de prévention (formation etc.) qu’elle déduira de sa cotisation unique. Les entreprises qui comptent un service de santé au travail autonome pourront déduire les coûts de la prévention de la cotisation unifiée. Dans quelles limites ?

Ce principe va mener à d’inévitables contournements qui fragiliseront l’équilibre général du système. Une partie des cotisations devient aléatoire, ce qui n’est pas favorable au règlement de charges pérennes que représentent les frais de structures et de fonctionnement, les charges de personnel représentant plus de 70 %.

Sur le fonds national de prévention, le flou semble encore plus grand. Il est précisé que le fonds « regroupe l’ensemble des ressources destinées à la prévention au sein d’un fonds unique ». Soit mais, dans ces ressources, il y a « la cotisation versée pour le financement des structures régionales de prévention » ce qui parait logique. Mais, comment isoler cette cotisation pour « structures régionales de prévention », lorsque la mission recommande une cotisation unique qui la regroupe avec les cotisations AT ?

Si la cotisation pour accident du travail intègre le fonds de prévention, ce n’est plus un fonds de prévention mais le budget des risques professionnels actuel de la branche « accidents du travail », qui compte aujourd’hui en son sein le fonds national de prévention des accidents du travail (FNPAT).

Enfin, si le rapport de la mission parle ici de « la cotisation versée pour le financement des structures régionales de prévention », à aucun moment elle ne définit cette cotisation (modalités, taux etc.).

Accessoirement, reprenons les éléments de comparaison avec l’Allemagne (encadré 4, page 53). Si l’on observe uniquement la partie prévention dans les dépenses nationales de risques professionnels, la France consacre 3 % de sa cotisation pour accidents de travail à la prévention lorsque l’Allemagne y consacre 10 %. Ainsi, en consacrant 3 fois plus de moyens à la prévention, l’Allemagne peut se féliciter des dépenses moindres pour la réparation. Mais pour cela, il faut investir, ce qui voudrait dire que le fonds national de prévention des accidents du travail (FNPAT) de la branche AT-MP devrait passer de 341 millions à 1,3 milliard d’euros. Compte tenu du contexte organisé par le gouvernement, les effets d’annonces risquent de primer sur la réalité de mesures concrètes à venir.

Proposition alternative

L’idée d’une cotisation unifiée pour financer la prévention des risques professionnels dans un fonds national est une bonne idée. Mais la cotisation AT-MP, modulable et récemment réformée doit rester le socle du financement de la réparation. Que, de ce budget AT-MP, ressorte un excédent qui soit affecté à la prévention pourrait-être une bonne idée afin de de répondre à la recommandation n° 4, consistant à « augmenter significativement le montant des aides destinées aux entreprises » (p.137).

Mais le fonds de prévention doit être alimenté par des ressources pérennes. La cotisation unifiée, mêlant la réparation et la prévention, paraît dès lors comme une idée inappropriée.

Pour que la visibilité soit parfaite, il conviendrait de créer la cotisation pour prévention permettant de financer l’ensemble du dispositif de prévention, national, régional et territorial.

Si la prévention des risques professionnels permet d’améliorer les performances globales des entreprises (voir p 22 et 23), il faut alors investir dans ce domaine. Le retour sur investissement se réalisera directement sur les performances globales des entreprises et il ne semble pas nécessaire d’y ajouter des baisses de cotisations pour celles qui seraient les plus vertueuses (recommandation n° 4).

Mais cet investissement ne peut pas s’engager sur la seule base d’un regroupement de différents budgets dans le fonds national de prévention. Tous les regroupements opérés de différentes structures n’ont jamais permis de dégager les excédents attendus. La réorganisation de la santé au travail ne fera pas mieux.

Le futur montant du taux de la cotisation au fonds de prévention doit intégrer :

  • les fonds de l’État affectés à la prévention et traduisant sa volonté d’investir dans la prévention,
  • le fonds de la branche AT-MP affecté à la prévention, qui devra être particulièrement renforcé (voir note sur la comparaison avec l’Allemagne),
  • l’équivalent des cotisations actuelles versées au SSTI,
  • une quote-part des fonds provenant des organismes de complémentaire de santé, (2 %),
  • une part provenant du fonds de développement pour l’insertion professionnelle des handicapés (issue de l’AGEFIPH),
  • une part volontaire de cotisation des travailleurs indépendants et chefs d’entreprise.

Et, si les propositions complémentaires ci-dessous sont retenues :

  • les cotisations pour nouvelles de prévention des 3 fonctions publiques,
  • les cotisations pour nouvelles des entreprises qui avaient un SST autonome.

Propositions complémentaires

1 - La prévention dans la fonction publique

« La mission n’omet pas la situation des agents des trois fonctions publiques qui, outre qu’ils bénéficient déjà des dispositions de la partie IV du code du travail, doivent pouvoir accéder à un accompagnement en prévention de même niveau que les salariés de droit privé » (voir pp. 5 et 129 et recommandation n° 16, p. 141).

Je partage cette recommandation. Le fait de voir l’État contribuer au dispositif par le versement de la cotisation au fonds de prévention pour ses agents sera d’une part un gage de confiance dans cet investissement et, d’autre part, permettra de mettre en œuvre une véritable réponse à la prévention des risques professionnels des fonctionnaires au sein de la fonction publique, ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui.

2 - Les services autonomes de santé au travail

La question des services de santé au travail autonomes reste entière.

La mission précise : « 2.9.4.4 Les services de santé au travail autonomes ne sont pas pluridisciplinaires, surveillent une population restreinte de salariés et se situent en marge des services interentreprises » (p. 100).

« Une contribution, en temps ou financière, des entreprises dotées d’un service autonome, au titre de la mutualisation de la prise en charge de la prévention… se justifierait notamment en raison des travaux qu’elles confient fréquemment à des PME dans le cadre d’une relation de sous-traitance ou de recours à des prestations extérieures » (recommandation n° 7, p. 139).

Plus certainement, il conviendrait que les services autonomes de santé au travail intègrent la structure « région santé au travail ». Cela ne paraît pas plus compliqué que d’y intégrer les 253 SSTI. Ainsi, l’ensemble des 895 services de santé au travail (SSTI + SSTA) serait financé par le Fonds national de prévention et toutes les entreprises participeraient au financement par un taux unique et non modulable.

La pluridisciplinarité deviendrait effective et les compétences internes seraient complétées par celles de la région santé travail. Ces anciens services autonomes, pourraient rester au cœur des entreprises par convention passée avec la « région santé au travail ».

3 - Bilan provisoire

En résumé, les objectifs de ce rapport vont dans le bon sens mais sont clairsemés dans de multiples recommandations qui risquent d’en diluer la portée.

L’idée « de partir des besoins des salariés et des entreprises au niveau local » est bonne mais « le guichet unique » au niveau régional ne semble pas pertinent pour organiser la prévention au plus près des travailleurs.

En matière de financement, l’idée d’une cotisation pour prévention doit prévaloir sur celle d’une cotisation unifiée. La création d’un fonds national de prévention pour financer l’ensemble des structures de prévention, nationale, régionale et territoriale est une très bonne idée mais son financement doit reposer sur des ressources pérennes.

Les services autonomes de santé au travail au sein des entreprises doivent intégrer le niveau dispositif régional.

Enfin, l’État employeur doit montrer l’exemple en cotisant à ce fonds national de prévention pour assurer la prévention d’une manière uniforme pour l’ensemble des agents, titulaires et non titulaires, des trois versants de la fonction publique.

Tous ces sujets permettront d’alimenter la concertation nationale qui devrait découler du rapport de cette mission, si le gouvernement ne l’enterre pas et lui donne les moyens nécessaires.

 

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