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15 / 06 / 2018 | 6 vues
Thierry Blanchard / Membre
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Le code des pensions comporte-t-il encore des dispositions discriminatoires ?

Fait social, le droit est le reflet de la société. Le code des pensions civiles et militaires de retraite (CPCMR) est le reflet de la société française mais c’est celle du milieu du XXe siècle dans laquelle la seule valeur sûre était le mariage.

Au fil des décennies, la société française a évolué : un mariage sur trois se termine par un divorce et de plus en plus de couples ne sont pas mariés, soit qu'ils soient pacsés ou vivent en concubinage. Avec ou sans mariage, le nombre de familles recomposées a explosé.

Malgré cela, le CPCMR n'a pas évolué : il ne reconnaît toujours que le mariage, ce que confirment les positions que le service des retraites de l’État (SRE) défend en cas de contentieux. Certes, il appartient au SRE de veiller au respect des règles légales ou réglementaires mais, observateur privilégié des évolutions de la société, il pourrait être une force de proposition.

Aujourd’hui, le décalage entre les dispositions du CPCMR et la société est tel que la question se pose de savoir si ces dispositions ne constituent pas des discriminations indirectes prohibées.

Ce décalage concerne au moins deux aspects : les pensions de réversion et la prise en compte des enfants.


Pour les pensions de réversion, les articles L. 38 et L. 44 du CPCMR imposent que la personne revendiquant le bénéfice d'une telle pension ait eu la qualité de conjoint du fonctionnaire décédé, c'est-à-dire ait été mariée. Cette position a le mérite de la simplicité mais ne correspond pas nécessairement à la réalité : des veufs ou veuves peuvent ainsi bénéficier d'une pension de réversion alors qu'ils étaient séparés du fonctionnaire depuis de longues années. À l'inverse, des couples non mariés sont exclus alors qu'ils connaissent une longévité difficilement contestable (communauté de vie, enfants...).

Lorsqu’un fonctionnaire décède en laissant des orphelins dont l’autre parent non marié ne peut bénéficier d’une pension de réversion, la part dont ce parent ne peut pas bénéficier « enrichit » certes la part des orphelins mineurs mais cet avantage est limité dans le temps et cesse au 21e anniversaire des intéressés, privant la famille de ce subside.

L’interprétation stricte des dispositions peut aboutir à des situations iniques, comme dans l’exemple suivant. Soit un fonctionnaire divorcé après 5 ans de mariage et vivant en concubinage depuis 30 ans. S’il décède, sa compagne n’aura aucun droit et la totalité de la pension de réversion pourra être attribuée à son ex-conjoint (non remariée, vivant seule).

S'agissant des enfants élevés dans les familles recomposées, le décalage concerne les modalités de leur prise en compte pour l'attribution de la majoration de pension prévue à l'article L. 18 du CPCMR. Il ne s'agit pas de remettre en cause la durée d'éducation mais les moyens permettant de justifier de cette éducation.

Dans le cadre d’une famille recomposée, l’un des partenaires peut participer à la charge effective et permanente des enfants de l’autre partenaire issus d’une union précédente. Or, l’article R. 32 bis du CPCMR, pris en application des dispositions de l’article L. 18, fixe comme seul moyen de preuve de cette charge la production de tout document établissant que ces enfants ont été retenus pour l’octroi des prestations familiales, du supplément familial de traitement ou pour le calcul de l’impôt sur le revenu. Dans les faits, seuls les couples remariés ou pacsés peuvent apporter cette preuve. Les couples non mariés sont toujours exclus, ce que le SRE a rappelé indirectement dans La lettre du SRE de décembre 2017, en commentant un arrêt rendu le 23 décembre 2016.

La différence de traitement des couples non mariés par rapport aux couples mariés ou pacsés est-elle admissible au regard de la jurisprudence du Conseil d’État et de la Cour de Justice de l’Union européenne ? Ces instances se sont déjà prononcées sur les avantages familiaux bénéficiant quasi exclusivement aux femmes : la bonification d’un an par enfant et la faculté de départ anticipé pour les parents de trois enfants.

Dans une décision du 17 juillet 2014, la CJUE a indiqué que la différence de traitement n’est admissible que si elle est justifiée par des facteurs objectifs, étrangers à toute discrimination fondée sur le sexe, tels qu’un objectif légitime de politique sociale, et si ces avantages sont bien nécessaires pour atteindre cet objectif.

Dans un arrêt du 27 mars 2015, le Conseil d’État en a déduit que le législateur pouvait légitimement se fixer comme objectif de politique sociale de compenser les inégalités de pension constatées au détriment des femmes ayant élevé des enfants. Il a ainsi estimé que ces avantages ne constituaient pas des discriminations indirectes.

La différence de traitement des couples non mariés par rapport aux couples mariés ou pacsés ne paraît répondre à aucun objectif de politique sociale et peut donc constituer une discrimination indirecte.

Le 5 septembre 2017, le Président Emmanuel Macron a invité les préfets à sortir d’une administration de précaution et de la reproduction pour prendre la part de responsabilité et de risque qui (leur) revient. Sur une telle invitation, une réflexion pourrait être menée sans attendre que des procédures encombrent toutes les instances contentieuses.

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