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31 / 07 / 2017 | 28 vues
Hervé Jégouzo / Membre
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Et si les syndicats perdaient le monopole de la représentation des salariés ?

La question de la perte par les syndicats du monopole de la représentation salariale se pose à la faveur des discussions sur le projet d’ordonnance de la réforme du droit du travail : les syndicats doivent-ils perdre le monopole de la représentation des salariés, c’est-à-dire celui de participer à des négociations et de conclure des accords d'entreprise et dans l’entreprise dont on sait qu’ils sont, depuis la loi El Khomri, destinés à avoir un rôle essentiel ?

La réponse est encore incertaine et pourrait dépendre des seuils d’effectifs pris en compte pour la mise en place d’instances, dont on ignore à ce jour quel sort leur est promis : « conseil d’entreprise » ou « comité économique et social » unique dans les moins de 50 et dans les plus de 50 sur accord majoritaire avec les organisations syndicales, vote pour la désignation d’un négociateur apte à conclure des accords dans les moins de 10, pouvoir de l’instance unique dans les plus de 50 salariés etc., tous les cas de figure sont sur la table en attendant la décision finale promise pour fin août par le gouvernement. Dans cet article du Figaro, la partie « ce qui reste à caler » illustre la difficulté à trouver un point d’équilibre…

Mais cet équilibre n’existe déjà pas dans la réalité actuelle, tant la négociation sociale et les relations sociales fonctionnent sur une « fiction réelle » ? C’était la « définition » de la téléréalité lors de son apparition au début des années 2000 : on fait « comme si » mais ce n’est pas « vrai ». En 2017, les syndicats dans l’immense majorité des entreprises sont absents, sont indigents dans d'autres et seuls quelques trop rares secteurs comme la métallurgie et quelques rares entreprises (la plus part des entreprises du CAC 40 et du SBF 120) ont une représentation syndicale efficace, tous syndicats confondus et quelle que soit leur orientation.

Faut-il mettre fin à cette fiction ?

Il faut mettre fin à cette fiction : on ne peut pas construire ou régir des relations dans un cadre de travail qui est lui-même en permanence confronté à « l’impitoyable » réalité de la compétition économique (le produit que je vends est-il utile et les acheteurs sont ils près à payer pour ça ?), en maintenant la fiction que la « justice sociale » est déconnectée des « performances économiques » (discours encore dominant au moins chez les dirigeants nationaux des organisations syndicales). Or le système des relations sociales en place est directement le produit de cette idée que le syndicalisme serait une « digue » face à un patronat par nature « abusif ».

Cela ne correspond pas à la réalité mais relève purement et simplement des représentations très installées dans l’opinion publique et bien au-delà des acteurs directement concernés. Mais l’admettre revient à se dire qu'il va falloir démolir les « digues », la principale étant ce monopole de la représentation des salariés par les organisations syndicales. Un véritable tabou dont la remise en cause (même théorique) peut déboucher sur l’infâme procès en sorcellerie d’être un « agent du patronat », donc un « ennemi des travailleurs »…

Comment y mettre fin ?

Si demain, le gouvernement remet en cause le monopole de la représentation des salariés et donne, par exemple, pouvoir à des salariés élus par leurs collègues pour ce faire ou à un comité d’entreprise, un conseil des salariés ou un comité économique et social d’engager des négociations et de signer des accords, que peut-il se passer ?

On pourrait assister à une multiplication des « négociations » et des « accords » conduits par des représentants des salariés non syndiqués ; mais se feront-ils entre des partenaires égaux dans la possibilité de contractualiser ou seront ils, au contraire, « abusifs » et davantage le produit de la position patronale ?

Sur le contexte général, il faut constater parmi les salariés une montée considérable des connaissances et du niveau de formation, toutes entreprises et tous secteurs confondus (mes pérégrinations de syndicaliste puis de consultant m’ont mis au contact de nombreux représentants du personnel dont les compétences et l’aptitude à la négociation faisaient la fierté et la satisfaction de l’employeur). Mais cette montée en compétences est trop peu due à l’effet et à l’influence des organisations syndicales mais résulte surtout d’un accès plus large à l’information depuis une vingtaine d’années.

En réalité, si le gouvernement met fin au monopole syndical, il devra concomitamment faire en sorte qu’il y ait une « prime » à la négociation menée par des syndicalistes dans les entreprises, telles que conditions de validation renforcée et plus généralement que, à l’image de ce qui se fait dans de trop rares entreprises comme Solvay ou Axa, les syndicalistes aient une véritable place au travail, qu’ils soient « corporate » en quelque sorte.

Pour bénéficier de cette probable nouvelle donne à venir, les organisations syndicales devront elles aussi faire leur « révolution interne » en proposant une offre de service efficace à tous les potentiels « négociateurs d’entreprise » et en refondant leur conception fondée sur ce clivage, au sens psychique, qu’il y a d’un côté les garants de la justice sociale et de l’autre le patronat chargé des performances économiques. Le chantier est considérable.

À défaut, on peut déjà l’observer dans certaines start-ups  avec les témoignages de Bérénice Mey (DRH de Content Square) et Silja Druo (ex-DRH de Captain Train), les représentants du personnel se constitueront en réseaux de coordination et d’information avec l’appui de sociétés de conseil ou de cabinets d’avocats. Quid des organisations syndicales dans cette situation ?

Si le gouvernement prend donc cette décision de mettre fin au monopole de la représentation du personnel par les organisations syndicales, une nouvelle page va s’ouvrir : qui va l’écrire ?

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