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08 / 11 / 2016 | 85 vues
Thierry Amouroux / Membre
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Malaise infirmier : origines, état des lieux et propositions

Les suicides de nos collègues ainsi que les agressions dont ils ont été victimes, médiatisés (ou non) au cours du tragique été 2016, ont mis en exergue le malaise soignant créant de multiples réactions sur le terrain au regard des faits mais également du silence ministériel. Bien au-delà de clivages corporatistes ou de divergences de vues, les organisations professionnelles syndicales et associatives AEEIBO, ANEIA, ANFIIDE, ANPDE, CEEIADE, Convergence infirmière, CNI, FNESI, FNI, SNIA, SNICS-FSU, SNIES-UNSA, SNIIL, SNPI CFE-CGC, SNIPUERLIB, UNAIBODE et UNIDEL font le choix de s’unir pour dénoncer d’une même voix le mépris et le manque de reconnaissance dont la filière infirmière est victime.

Fortement mobilisées suite à ces drames, nos organisations font aujourd’hui le constat commun alarmant des conséquences du manque de considération concernant nos conditions d’exercices, notre formation et la valorisation de nos niveaux d’études, de compétences et de responsabilités.

Le document ci-dessous établit un premier état des lieux et acte nos propositions communes.

Nos conditions d'exercice

Ces dernières années, les exigences de réduction des dépenses de santé ont induit une forte dégradation des conditions d’exercice. Quel que soit le secteur d’activité, les professionnels souffrent de cette logique du chiffre qui occulte trop souvent la dimension relationnelle du soin, les missions d’éducation et de prévention.

Très attachées à leurs valeurs professionnelles et à garantir qualité et sécurité des soins et des patients, les infirmières se retrouvent cependant exposées à une multitude d’injonctions paradoxales d’où un malaise croissant. Le décalage entre les attendus en termes de traçabilité et de recommandations confrontés à la réalité du terrain majorent les difficultés et le nombre de professionnelles en situation d’épuisement. Dans ce contexte complexe, ce mal-être se trouve amplifié par la crainte de l’erreur et l’engagement de sa responsabilité professionnelle.

Au fil des réformes et suite à un manque de concertation des acteurs concernés, un fossé s’est creusé entre les besoins identifiés sur le terrain et les moyens donnés. Le vieillissement de la population, l’essor des maladies chroniques, l’évolution des technologies induisent des prises en charges de plus en plus spécifiques mais paradoxalement sur le terrain, semble s’imposer des obligations de polyvalence pour répondre à des objectifs essentiellement financiers.

C’est ainsi que dans les établissements, pour répondre aux demandes budgétaires, l’exercice en sous effectifs, le non-respect des rythmes de travail et des temps de repos deviennent la règle.

Les infirmières puéricultrices déplorent le non-respect de la législation quant à leur intégration dans les secteurs de soins accueillant des enfants et des adolescents.Concernant la santé de l’enfant et de sa famille, hors milieu scolaire qui relève de la compétence du corps des infirmiers de l’éducation nationale, les infirmières puéricultrices déplorent le non-respect de la législation quant à leur intégration dans les secteurs de soins accueillant des enfants et des adolescents. La formation initiale ne contenant plus d’apports théoriques et pratiques, la formation de puéricultrice nous semble donc obligatoire pour travailler auprès des enfants et de leur famille. Elles demandent donc une obligation de présence dans ces secteurs si spécifiques.

Dans le même temps, les infirmières libérales sont confrontées à un refus de prendre en compte l’intégralité de leurs compétences mais aussi de développer des études médico-économiques nationales qui permettraient de comparer les différentes offres de soins (HAD contre libéral, par exemple). En effet, il nous semble important de souligner que le 12 mai dernier, à l’issue de leur audition par la MECSS dans le cadre de la préparation de son rapport sur l’hospitalisation à domicile (HÀD), les syndicats d’infirmiers libéraux nourrissaient encore l’espoir d’une prise de conscience de nos décideurs. Contrairement aux attentes, les députés présents (toutes formations politiques confondues) ont pris le risque majeur d’encourager un développement de l’HÀD pouvant se substituer aux prises en charges libérales traditionnelles en l’absence d’étude médico-économique comparative entre ces deux offres de soins.

La perfusion à domicile revient, en coût global, 40 % moins cher en prise en charge libérale qu’en HÀD.

Dans sa présentation synthétique du rapport et faisant référence aux préconisations de la Cour des Comptes, Joëlle Huillier se limite à préciser que des études médico-économiques démontrent que l’HÀD est moins coûteuse que l’hospitalisation complète. Aurait-elle volontairement omis de préciser que ladite Cour des Comptes préconisait dans le même rapport de comparer les coûts de l’HÀD avec ceux de l’offre de soins libérale ? La MECSS a-t-elle seulement pris connaissance de l’étude médico-économique réalisée par le cabinet Jalma qui lui a été remise par un syndicat infirmier et qui démontre que la perfusion à domicile revient, en coût global, 40 % moins cher en prise en charge libérale qu’en HÀD ?

À ces atteintes s’ajoutent :

  • la non-reconnaissance de la pénibilité de notre travail, malgré une obligation de continuité des soins 24h/24 et 7j/7 et des contraintes qui s’amplifient ;
  • un dialogue inexistant sur les sujets de santé publique alors que les infirmières sont les professionnels de santé les plus nombreux et les plus proches des patients et des familles ;
  • le projet du ministère de la santé de vouloir transposer des directives européennes en autorisant un exercice partiel des professions. Cette initiative, qui met en péril la qualité des soins, est une fois encore l’expression du mépris et de l’absence de reconnaissance témoignés à la filière infirmière.

Face à la montée des violences verbales et physiques, de plus en plus de professionnelles avouent se rendre au travail « la boule au ventre ». Qu’ils exercent en structures, au domicile des patients ou lors de leurs déplacements, ces constats alarmants s’amplifient, s’étendent et viennent mettre en péril la garantie de soins de qualité pour tous les patients. Comment, en effet, peut-on exercer sereinement et assumer nos responsabilités professionnelles au quotidien avec ces sentiments de peur ? Nous déplorons aussi qu’après les coups reçus, les professionnelles soient parfois contraintes de livrer bataille pour faire enregistrer leur plainte. La première des priorités réside dans la sécurisation de notre exercice.

Afin d’améliorer la qualité de vie au travail et permettre de restaurer de bonnes conditions d’exercice, il convient de s’attacher à définir les besoins humains pas uniquement par une approche numérique mais bien sous l’angle des compétences nécessaires pour garantir la pertinence et l’efficience des soins. Les restructurations hospitalières doivent donc impérativement prendre en compte une adéquation des effectifs à la charge de travail réelle. Il importe de retrouver des espaces de dialogue et de mettre en place une gestion bienveillante et respectueuse des soignants au sein des établissements de soins.

Les professionnels de santé doivent également bénéficier d’un suivi médical attentif. Les moyens doivent donc être donné pour garantir la présence de médecins du travail, d’infirmières spécialisées, de psychologues et d’assistantes sociales. La prévention des risques psychosociaux ne doit plus se limiter à la rédaction de plan d’action. Des actions concrètes doivent s’engager, pouvoir être évaluées et mutualisées.

Développer la prévention et prendre en charge les professionnels en souffrance est effectivement nécessaire mais l’urgence n'est-elle pas de traiter les causes du mal ? Cette dégradation des conditions d’exercice et la détresse qu’elle induit, résulte avant tout de la problématique des moyens. Il est donc impératif d’attribuer les fonds nécessaires au fonctionnement du système de santé.

Notre formation

Les étudiantes des formations initiales et de spécialisation souffrent aussi particulièrement des conditions d’exercice imposées aux professionnels. Le manque de personnel nuit à la capacité de ces derniers à accompagner les étudiants dans leur apprentissage et dans le développement de leur identité professionnelle. Bien des étudiants terminent leur formation avec pessimisme, conscients des difficultés qui seront les leurs à mettre en pratique des soins de qualité et à utiliser pleinement leurs compétences au service de la santé de la population. De plus, ils souffrent tout autant que les professionnels d’une absence de reconnaissance de leur travail quotidien, à bien des égards, utile quant à la production de soins, que ce soit du point de vue de leur indemnisation ou de la traduction universitaire de leur diplôme.

Investir aujourd’hui dans la qualité de la formation et dans les conditions d’étude est un gage de pérennité de la qualité des soins que prodigueront ces futures professionnels. Les encadrants (notamment les tuteurs de stage) doivent pouvoir disposer de temps nécessaire afin d’effectuer le suivi des étudiants qu’ils encadrent. Ces étudiants doivent pouvoir disposer de niveaux d’indemnisation à la hauteur de leur contribution actuelle et future à la santé de la population. Ils doivent aussi disposer d’aides sociales leur permettant de s’engager sereinement dans des formations demandant beaucoup d’investissement personnel, intellectuel et temporel.

Cette reconnaissance doit concerner l’ensemble des temps de formation, y compris les poursuites d’études en spécialité ou en hiérarchie. Ainsi, les travaux de réingénierie des formations d’infirmiers de bloc opératoire, de puéricultrices et de cadres de santé doivent aboutir et déboucher sur leur reconnaissance au grade de master. Il est important de souligner que la traduction statutaire des formations déjà ré-ingénierées graduées master 2 (IADE) n’est pas effective. Ce fait est révélateur de la non-reconnaissance de nos filières.

Certaines professions mettant en jeu des compétences beaucoup plus abouties que celles développées en formation initiale doivent être reconnues en spécialité, telle que la santé mentale, la santé au travail et l’éducation en santé dans l’Éducation nationale ou l’Enseignement supérieur.

Il est aberrant que le projet de loi de financement de la Sécurité  sociale prévoie un prélèvement de 300 millions d’euros sur les fonds de l’Association nationale pour la formation permanente du personnel  hospitalier (ANFH).Il ne faut pas oublier que les professionnels de santé (et a fortiori les infirmières, spécialisées ou non) s’inscrivent aussi par besoin, conscience professionnelle et obligation dans une démarche continue de formation et d’actualisation de leurs compétences. Il est ainsi totalement aberrant que le suivi d’heures de formation continue ou l’obtention d'un diplôme universitaire ne permettent pas l’obtention, par exemple, d’un certain nombre d’ECTS qui, à terme, soient valorisés comme c'est le cas dans certains pays étrangers.

Dans le contexte de mutation que vit notre système de santé, il est aberrant que le projet de loi de financement de la Sécurité sociale prévoie un prélèvement de 300 millions d’euros sur les fonds de l’Association nationale pour la formation permanente du personnel hospitalier (ANFH), alors que les besoins de formation croissent et que ces fonds permettent à bien des agents d’évoluer par la formation professionnelle.

Valorisation de nos niveaux d'études, compétences et responsabilités

L’entrée dans le processus licence-master-doctorat (LMD) de la filière infirmière s’est actée en 2009 avec un nouveau référentiel de formation initiale qui s'est conclue en 2012 par un diplôme d’État et l’attribution d’un grade de licence. Cette évolution s'est poursuivi avec le référentiel de formation des infirmières anesthésistes actant le grade de master adossé au diplôme d’État depuis 2014.

Malgré les engagements pris et renouvelés par la conférence de santé, les travaux de réingénierie des formations d’infirmières de blocs opératoires, d’infirmières puéricultrices et de cadres de santé sont toujours en attente.

Cette suspension des travaux se prolongent alors que, depuis le décret du 27 janvier 2015 relatif aux actes relevant de la compétence exclusive des infirmiers de blocs opératoires, le champ des compétences des IBODE s’est élargi.

La reconnaissance financière de ces évolutions s’est traduite dans la fonction publique par la création d’une grille A spécifique à la filière infirmière qui n’est pas à la hauteur ni de la grille A type de la fonction publique, ni de nos compétences, ni de nos responsabilités. De surcroît, ce nouveau statut s’inscrit en catégorie sédentaire 2016 soulignant la négation de notre pénibilité professionnelle. Une injustice majeure dénoncée en 2010 par Marisol Touraine (alors députée) mais toujours en attente de réparation.

Face aux besoins croissants des structures et de la population, les professionnels de la filière infirmière tentent de répondre au mieux, s’impliquent et se forment. Leur investissement professionnel et souvent personnel n’est reconnu ni financièrement, ni institutionnellement, ce qui génère découragement et perte de compétences.

La reconnaissance de l’expertise infirmière et de la recherche infirmière sont de réelles plus-values pour notre système de santé mais il est impératif que cela s’inscrive dans un cadrage de formation national connu et reconnu afin qu’elles puissent être mobilisées et attractives.

Synthèse des revendications communes

1. Sécurisation de notre exercice quel que soit notre secteur d’activité :

  • favoriser l’accès et accompagner les professionnels de santé pour les démarches de dépôt de plainte ;
  • donner les moyens de sécuriser l’exercice.


2. Améliorer les conditions d’exercice pour garantir la qualité et la sécurité des soins :

  • révision du plan triennal de maîtrise des dépenses de l’assurance maladie ;
  • attribution de fonds permettant aux établissements de soins la mise en place d’effectifs proportionnels aux charges de travail (charge de travail incluant la fonction tutorale / encadrement), le remplacement de l’absentéisme ainsi que la gestion des postes aménagés ;
  • restaurer des espaces et dialogue et créer une gestion bienveillante et respectueuse des soignants au sein des établissements ;
  • permettre un suivi médical attentif des professionnels de santé (présence de médecin du travail, d’infirmières spécialisées, de psychologues et d’assistants sociaux ;
  • développement de la prévention des risques psychosociaux avec accompagnement financiers pour en garantir l’effectivité ;
  • respecter la législation et imposer l’obligation d’intégrer les puéricultrices dans les secteurs de soins de l’enfant ;
  • reconnaître la pénibilité professionnelle.


3. Afin de permettre aux plus de 600 000 infirmiers de France de jouer pleinement leur rôle de professionnel de santé, il est impératif de :

  • inclure systématiquement les professionnels de la filière infirmière dans toutes leurs composantes (exercice salarié, libéral, Éducation nationale…) dans toute concertation sur les sujets de santé publique, au même titre que les médecins ;
  • retirer tout projet d’« exercice partiel » de la profession infirmière et de séquençage de l’activité ;
  • lancer les travaux concernant la pratique avancée.

4. Pour investir dans la qualité de la formation infirmière, gage de pérennité de la qualité des soins, il faut :

  • donner aux encadrants (notamment les tuteurs de stage) un temps nécessaire afin d’assurer le suivi des étudiants qu’ils encadrent ;
  • créer un statut de maître de stage pour les infirmières libérales afin de pouvoir faire découvrir l’exercice libéral de façon approfondie aux étudiants ;
  • finaliser les travaux de réforme de la gouvernance des instituts de formation paramédicaux ;
  • aligner les bourses des formations sanitaires et sociales sur celles des CROUS ;
  • refonte de la circulaire du 3 octobre 2001 avec notamment la fin de la franchise d’absence durant l’enseignement théorique et l’augmentation des indemnités de stage ;
  • respecter les engagements pris lors de la conférence de santé sur le développement de la filière et la tutelle pédagogique universitaire ;
  • relancer rapidement les travaux de réingénierie des formations d’infirmières de bloc opératoire, de puéricultrice et de cadre de santé (niveau master) ;
  • mettre en place des spécialisations en santé mentale, en santé au travail et à l’Éducation nationale (niveau master).

5. Afin de permettre aux 116 800 infirmières libérales de France d’exercer pleinement leurs compétences, il est urgent de :

  • engager une étude macro-économique nationale sur le coût comparé de prise en charge des patients par offre de soins (HÀD contre libéral notamment) ;
  • prendre en compte l’ensemble des compétences infirmières et leur donner de nouvelles attributions, ce qui serait source, en même temps, d’économies pour la Sécurité sociale (élargissement du droit infirmier à vacciner, suivi des malades chroniques et des personnes âgées en risque de dépendance avec information au médecin traitant…) ;
  • limiter les pressions administratives.

6. Reconnaissance financière de nos exercices en adéquation avec nos niveaux d’études, de compétences et de responsabilités :

  • permettre la reconnaissance statutaire et indiciaire pour tous les infirmiers en soins généraux, infirmiers anesthésistes, infirmiers de blocs opératoires, puéricultrices et cadres de santé (grille A type fonction publique) ;
  • augmenter les compensations financières des contraintes imposées par nos exercices (prime de nuit et de week-end) ;
  • réviser la nomenclature générale des actes professionnels

Conclusion

Les professionnelles de la filière infirmière (quel que soit leur secteur d’activité) sont le maillon incontournable de la chaîne pluridisciplinaire du soin. Développer leurs compétences, les reconnaître et leur donner les moyens d’exercer ne répond pas exclusivement à une ambition professionnelle mais prioritairement à un réel enjeu de santé publique.

Pour mener à bien la mutation engagée du système de santé et répondre aux besoins prégnants de la population, le lancement des travaux concernant la pratique avancée résonne comme une urgence.

Afin d’identifier des éléments probants et d’actualiser nos pratiques professionnelles de manière cohérente tant en termes de pertinence économique que de qualité des soins, il est également impératif de développer la recherche en soins infirmiers.

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