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11 / 04 / 2016 | 248 vues
Didier Schneider / Membre
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Prud'hommes : les dessous de la motivation d'un jugement homophobe

Tribune libre de Patrick Le Rolland, publiée sur http://lelicenciement.fr, à propos d'un jugement prud'homal ne trouvant pas anormal de qualifier un salarié de « PD ».
Tout le monde est tombé à bras raccourcis sur le Conseil de Prud’hommes de Paris. Il n’est pas inintéressant d’essayer d’analyser comment un Conseil de Prud’hommes a pu arriver à une telle motivation critiquée et critiquable.

Un jeune coiffeur s’est vu notifier la rupture de son contrat de travail en période d’essai. En effet, celle-ci est libre et dénuée de formalisme (L.1231.1 du Code du travail). D’aucuns en ont récemment rêvé, même au-delà de la période d’essai.

Mais bien sûr, si l’employeur n’est pas tenu d’alléguer les raisons qui le conduisent à mettre fin à la période d’essai, il ne peut la rompre pour un motif illégal ou contraire à l’ordre public. Or, dans cette affaire, le salarié a fait valoir un SMS dont il a été le destinataire par erreur et dans lequel sa responsable s’exprime ainsi : « Je ne le sens pas, je ne le garde pas, c'est un sale PD, ils ne font que des tours de pute ». À lire entre les lignes, le sale tour serait une absence d’une journée pourtant médicalement justifiée. Malade en période d’essai, ce n’est jamais très bon.

L’affaire est ainsi arrivée devant le Conseil de Prud’hommes de Paris, où a été logiquement plaidée la nullité de la décision de l’employeur puisque intervenant pour des motifs discriminatoires (L.1132.1 du Code du travail). Nullité, lorsqu’elle est reconnue, qui entraîne des conséquences juridiques allant bien au-delà de la sanction d’une (simple) rupture abusive ou licenciement sans cause réelle et sérieuse, ou encore licenciement irrégulier (L.1235-3, L.1235.5 du Code du travail).

En cas de nullité, l’acte juridique qu’a été le licenciement n’a plus d’existence, ni d’effets. Le salarié est en droit de réintégrer l’entreprise aux conditions antérieures et d’obtenir réparation du préjudice qu’il a subi au cours de la période qui s'est écoulée entre son licenciement et sa réintégration dans la limite du montant des salaires dont il a été privé » (Cass. soc, 3 juillet 2003, n° 01-44.717). Au bas mot, un an de salaire puisque la rupture de la période d’essai a été notifiée le 8 octobre 2014 et que l’affaire a été jugée à l’audience du 16 décembre 2015. Ceci pour un petit mois de présence. La sanction serait dissuasive : 27 000 € ont été demandés à ce titre, somme associant des dommages et intérêts pour la rupture (12 000 €) et la réparation d’un préjudice moral (15 000 €).

La nullité d’un licenciement est la hantise du patronat. Lors du délibéré, les deux conseillers du collège des employeurs, soucieux des intérêts de leurs pairs, au moins autant que les salariés le sont de ceux de leurs mandants, auront donc fait barrage à un jugement constatant cette nullité de la rupture et donc la discrimination, l’une allant nécessairement avec l’autre.

En face, les deux conseillers du collège des salariés ont en général moins d’états d’âme. Encore qu’ils ne soient pas forcément indifférents aux conséquences sur la survie financière de l’entreprise en cas de condamnation. Ici, ce n’est en effet pas forcément une politique des ressources humaines de l’entreprise qui est appelée à être sanctionnée mais la faute individuelle d’une responsable. Elle-même peut-être salariée et donc potentiellement passible d’un licenciement pour faute grave en raison des conséquences financières pour l’entreprise et du trouble que cela provoque.

Si lors du délibéré les vues sont restées diamétralement opposées et les conflits de logiques trop inconciliables, l’affaire a été refilée au juge départiteur, magistrat professionnel. Lequel se débrouillera comme il peut et tranchera comme il veut. C’est souvent une solution de facilité pour les patates chaudes.

Mais si les quatre conseillers prud’hommes entendent dégager eux-mêmes une solution juridique (à la majorité de trois au moins) comme leur mission naturelle le leur commande, il leur faut bien se concerter et négocier. Au risque d’aboutir, comme c’est le cas ici, à une décision brinquebalante. Donnant-donnant. C’est la partie plus obscure du fonctionnement de la justice prud’homale puisque nul ne doit jamais savoir, ni chercher à savoir, ce qui se dit lors du délibéré. Mais c’est l’essence même de son fonctionnement, avec son petit air de lutte des classes.

Quel président d’audience ne s’est ainsi jamais trouvé devant sa feuille blanche à devoir motiver une décision ?

Dans le jugement dont la motivation emballe les médias, on lit que les juges se sont contentés d’accorder au salarié des dommages et intérêts pour préjudice moral. Réparation d’un montant toutefois assez significatif (équivalente ici à 3 ou 4 mois de salaire) si on la compare aux pratiques habituelles des conseils de prud’hommes, assez pingres sur les montants alloués aux salariés de très faible ancienneté. Cette décision collégiale ne saurait s’expliquer autrement que par le fait que les conseillers (employeurs comme salariés) ne pouvaient faire totalement l’impasse sur le contenu du SMS. Lequel, à défaut de les mener sur une nullité de la rupture du contrat de travail a quand même caractérisé à leurs yeux un préjudice moral.

Il restait ensuite à motiver le jugement de manière aussi politiquement correcte que possible. Raté !  

On imagine les quatre conseillers rédiger et motiver collectivement. Rien de plus faux ! Lors du délibéré, les conseillers ne s’attachent qu’à s’accorder collectivement sur le sort des demandes qui leur ont été présentées à la barre et de chiffrer les éventuelles indemnités. Reste ensuite à mettre tout ça sur le papier avec la motivation qui fait bien. À Paris, l’usage est que le président de l’audience s’y colle seul. Dans la pratique la plus courante, ses écrits ne font même pas l’objet d’une relecture par les autres conseillers. Et le greffier qui signe le jugement se sera contenté de vérifier que les décisions (le dispositif du jugement) sont bien conformes dans leur libellé et leur montant à ce qui a été validé pendant le délibéré et prononcé en audience publique.

Quel président d’audience ne s’est ainsi jamais trouvé devant sa feuille blanche à devoir motiver une décision pour laquelle il se rend compte au fur et à mesure de ses écrits qu’il a été accordé ce qu’il ne fallait pas et qu’il a refusé ce qu’il aurait fallu accorder ?
Au sein du conseil de prud’hommes de Paris, les Bureaux de jugement ont en outre la fâcheuse habitude de prononcer les décisions publiquement dès l’issue du délibéré mené immédiatement après les plaidoiries. Le rédacteur du jugement ne dispose plus ensuite d’aucune boucle de rattrapage en rappelant ses assesseurs en délibéré, même s’il s’aperçoit que la décision ne rentre pas trop dans les cases des règles juridiques qui s’imposent. Ni même parfois de la seule bienséance. À partir de là, il motive au forcing pour donner une apparence juridique à tout ça, au risque de déraper.

C’est ainsi que pour justifier ce qu'il était difficile de justifier, le président d’audience rédacteur (un employeur lors de cette audience) a couché sur le papier cet attendu :

« Le terme employé par la manager ne peut être retenu comme propos homophobe car il est reconnu que les salons de coiffure emploient régulièrement des personnes homosexuelles, notamment dans les salons de coiffure féminins, sans que cela ne pose de problèmes » (sic).

C’est écrit. Advienne que pourra. À charge pour la Cour d’appel d’y remettre du droit plus pur.  

À ménager la chèvre et le chou, ce qui est par nature le propre du fonctionnement des conseils de prud’hommes, on arrive à ce genre de choses.

Puis à décharge avant le rédacteur, c’est un avocat (celui du salon de coiffure) qui a avancé ces arguments (cités dans le jugement en tant que moyens de fait et de droit de la partie défenderesse) :

« Le terme utilisé n’est qu’un simple abus de langage entré dans le langage courant et n’a aucun sens péjoratif ou homophobe dans l’esprit de la manager. Il convient de replacer cette affaire dans son contexte car la société évolue dans le secteur de la coiffure, secteur dans lequel la communauté homosexuelle est très représentée. La société est amenée à employer des salariés aux orientations sexuelles diverses et variées sans que cela ne pose la moindre difficulté aux managers ou aux autres employés ».

Personne ne lui tombe dessus, lui ? 


 

 

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Justifier un jugement décrié par la spécificité de la composition paritaire du Conseil des Prud'hommes et des incidences que cela aurait sur le délibéré est inepte... Et présenter le départage comme une solution de facilité pour les "patates chaudes" est désolant. Renvoyer à la Cour d'Appel le soin de dire le droit est encore plus affligeant! Le Conseil des Prud'hommes constitue une juridiction de première instance dont les juges, bien que non statutaires, doivent - ou devraient - exercer selon les principes professionnels que ce billet remet en cause, cautionnant ainsi les dénonciations faites dans le Rapport dit Lacabarats et d'autres rapports avant lui. C'est dire qu'ils doivent juger en droit et sur pièces, et certainement pas en militant pour des causes qui n'ont pas leur place dans l'institution judiciaire. Le recours au juge départiteur ne devrait porter que sur un désaccord sur l'interprétation du droit, ou le refus de l'appliquer par l'un des collèges, ce qui n'a visiblement pas été le cas en l'espèce. La voie d'Appel, quant à elle, constitue un "garde fou" pour les justiciables, qui peuvent ainsi contester la décision, mais pour des motifs qui devraient être plus nobles que la seule nécessité de voir "appliquer" le droit. Expliquer par ailleurs le souci des conseillers prud'homaux de contrôler l'impact financier de leur décision sur l'entreprise ne remet pas en cause la nécessité de juger en droit et sur pièces. Elle peut justifier le seul point négociable, à savoir les quantums alloués en conséquence. Si en l'espèce ce quantum pouvait paraitre disproportionné sans qu'aucune possibilité de l'amoindrir ne s'offre aux Juges, c'est que la nullité sanctionne en général un agissement particulièrement grave et non une irrégularité quelconque, et vise à dissuader l'entreprise de toute récidive. Il n'appartient donc nullement aux conseillers d'accommoder le droit pour contourner la législation. Le propos de ce commentaire porte sur les arguments avancés pour expliquer le jugement et l'absence de toute base légale et de toute cohérence, non sur la décision elle-même. L'article a toutefois la vertu de confirmer que les critiques formulées dans les différents rapports à l'encontre du Conseil des Prud'hommes de Paris sont largement fondés à lire les explications sur le mode de fonctionnement qui y sont exposées... Et c'est toute la juridiction qui paye à travers les réformes voulues et l'objectif qu'elles tendent à atteindre. Dommage!