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27 / 05 / 2015 | 7 vues
CHRISTIAN EXPERT / Abonné
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De retour vers le paradis de la prévention

Le rapport du groupe de travail « aptitude et médecine du travail » établi par Michel Issindou (député), Christian Ploton (membre de la DRH du groupe Renault), Sophie Fantoni-Quinton, (professeur de médecine du travail), Anne-Carole Bensadon et Hervé Gosselin (membres de  l’IGAS) est paru.

La mission Issindou, dont deux des membres sont auteurs de rapports et d’articles préconisant la suppression de l’aptitude, conclut dans son rapport qu’il faut supprimer l’aptitude. Le rapport qualifie même l’aptitude, de « péché originel » de la médecine du travail, par la bouche d’un auditionné. C’est dire le caractère outrancier et sans nuances du contenu !

Que proposent  les nouveaux Moïse pour ramener vers la terre promise de la prévention en santé travail les stakhanovistes de l’aptitude ?
Que proposent les nouveaux Moïse pour ramener vers la terre promise de la prévention en santé travail les stakhanovistes de l’aptitude ? En effet, les médecins du travail n’auraient qu’une obsession : délivrer des avis d'aptitude. Les examens médicaux, le dépistage de maladies professionnelles (y compris celles touchant les salariés en pré-épuisement professionnel), les diagnostics portés (environ 8 % des examens médicaux font l’objet d’une orientation aux médecins traitants ou spécialistes) à la trappe. On taille tout cela à la hache. L’examen médical, dont on ne parle pas ou si peu (on y lit à longueur de rapport que l’aptitude ne sert à rien sans d’ailleurs démontrer quoi que ce soit) que seuls les médecins du travail peuvent pratiquer, semble là aussi une pratique désuète ; un interrogatoire devrait suffire ?

Ce serait très pratique car le suivi pourrait se faire malgré le fait que les infirmières n’ont pas le droit de procéder à des examens médicaux cliniques, par des sophrologues, des ostéopathes, des diététiciens, par des formateurs renforçant les salariés contre le stress et les troubles musculo-squelettiques par des séances d’étirement (authentique).

La visite d’embauche serait effectuée par l’infirmière après l’embauche dans les 3 à 6 mois et serait constituée de conseils de prévention et de questionnaires ou interrogatoires.

  • Le couvreur au chômage à l’épilepsie mal contrôlée qui voudrait absolument reprendre son travail aurait largement, dans cette hypothèse, le temps de se tuer avant la visite d’embauche.

Selon ce rapport, la médecine du travail doit donc subir une mutation profonde, comme le fœtus de la salariée enceinte qui découvrira qu’elle a été exposée à des produits CMR pendant le premier trimestre de grossesse.

Autre curiosité, le titulaire d’un poste de sécurité bénéficierait d’une visite d’embauche précoce pas auprès d’un médecin de prévention mais d’un médecin de contrôle, dont la fonction lui interdirait de facto, tout accès au dossier médical de santé travail. Est qualifié « poste de sécurité » un poste susceptible de mettre en danger un collègue ou un client. Si cela ne concerne que lui-même, le salarié ne serait  pas censé occuper un poste de sécurité. L’électricien  pourrait alors  sans doute, aller se faire électrocuter sans autre forme de procès puisque seuls sa santé et sa sécurité sont en péril. En revanche, le monteur de pneus, le harceleur au travail ou pourquoi pas le directeur général chargé de mettre en place une nouvelle organisation seront mieux suivis.

L’aptitude aurait plusieurs défauts majeurs.

  • Première plaie : elle ne serait que la photographie d’un instant T ; c'est vrai et c’est à la base de toute démarche expertale. De plus, le délai de la périodicité fait qu’entre deux visites médicales, certains événements nouveaux peuvent se produire. Qu’à cela ne tienne, la mission propose d’améliorer les choses en passant d’une périodicité à 2 à 5 ans pour tous.
  • Deuxième plaie : elle ne serait pas prédictive : il est certain que si l'on réexpose un salarié du BTP à la même situation que celle qui a provoqué une rupture de la coiffe des rotateurs, le médecin du travail est bien incapable de prédire combien de temps cela prendra pour qu’il se rompe à nouveau la coiffe. De même, personne ne peut jurer qu’un grand insuffisant cardiaque ne puisse pas devenir manutentionnaire (une greffe est toujours possible). Le médecin conseil qui consolide une lésion traumatique ou qui reconnait une invalidité de deuxième catégorie sait faire de la médecine prédictive, pas le médecin du travail).
  • Troisième plaie : le manque de confiance supposé du salarié vis-à-vis du médecin du travail, par ailleurs incapable d’apprécier l’état de santé du salarié faute d’informations : la mission qui préconise d’enlever la visite d’embauche au médecin du travail pour la confier à l’infirmière ne ferait connaissance avec le salarié que 5 ans plus tard. Il est bien certain que cette amélioration consoliderait les relations de confiance (curieusement, les médecins du travail sont salués et même consultés à la croisée d’une caisse de supermarché par leurs salariés. Sans doute par crainte de l’avis d’inaptitude). Un oubli sans doute, le rapport IGAS de septembre 2014 sur la médecine de prévention des fonctions publiques préconise de supprimer la visite d’embauche faite par les médecins agréés et de la confier aux médecins de prévention, plus à même de connaître les postes de travail. Comprenne qui pourra.
  • Quatrième plaie : les médecins du travail formuleraient des avis sans éclairer les salariés sur leur décision et surtout sans trop savoir ce qu’ils font : d’où l’idée de décisions collégiales au sein des services de santé. Les médecins du travail seraient-ils des incapables majeurs ? Les médecins généralistes ou les médecins conseils  devraient-ils systématiquement prendre avis de leurs confrères avant de prendre une décision ? Curieusement la mission signale un taux de contestations tous motifs confondus de 1,6 %, un véritable raz-de-marée de contentieux en vérité.
  • Cinquième plaie : l’aptitude ne préviendrait pas les accidents de travail ou les maladies professionnelles bien que le rapport admette du bout des lèvres que dans quelques rares cas, des problèmes de santé pourraient être à l’origine d’accident du travail. On pourrait en conclure que les rares salariés qui seraient victimes d’un accident du travail mortel ou grave pèseraient finalement peu de choses à l’aulne de la nécessaire suppression d’une malédiction, l’aptitude. De même, la mission note que l’aptitude ne protégerait pas de toutes les discriminations. Autant donc la supprimer. Sur ce chemin logique, on pourrait dire que l’argent dépensé pour la prévention des AT-MP ne prévenant pas tous les AT-MP, autant en faire l’économie, que la ceinture de sécurité qui ne prévient pas toutes les lésions accidentelles devrait être supprimée. Ce raisonnement spécieux amènerait le salarié sans aucune protection contre les discriminations pour handicap ou problème de santé devant son employeur d’autant plus que ce dernier ne recevrait qu’un (précieux) « conseil » pour aménager le poste de travail.


La mission a été confrontée à un sérieux problème dogmatique puisque l’aptitude (étant inutile) doit être passée par les armes ; restent les demandes d’aménagements de postes formulées par les médecins du travail au nom de l’article L-4624-1 du code du travail, ce qui nous amène aux :

  • Sixième plaie : les médecins du travail, dont certains seraient sans doute irresponsables, formulent des aptitudes avec restrictions et non des inaptitudes qui permettent de licencier en cas d’impossibilité de reclasser, des restrictions telles (ne doit pas travailler ni debout ni assis) qu’il s’agirait en fait d’une inaptitude mais le médecin ne veut rien savoir. Certes, ces situations peuvent exister et la contestation de l’avis (qui devrait être réformé) devant l’inspecteur du travail permet de résoudre ces situations. D’autre part, ces aptitudes sont contraignantes pour l’employeur : elles relèvent de l’obligation de sécurité de résultats de l’employeur avec mise en cause possible civile en cas de non-respect (faute inexcusable, demande d’indemnisation du  préjudice…). La cour de cassation dans un arrêt tout récent considère que le non-respect de ces restrictions peut être qualifié de harcèlement moral. Qu’en pense la mission ? Le rapport suggère de remplacer cette disposition qui implique bêtement le concept de l’aptitude de la remplacer par des préconisations donc des conseils. Un grand pas pour la protection de la santé et la sécurité des travailleurs mais que ne ferait-on pas pour se débarrasser de l’aptitude, péché originel ?
  • Septième plaie et non des moindres : l’inaptitude mène à la perte d’emploi. Les médecins du travail ne feraient pas assez d’efforts pour aménager les postes de travail (mais l’aptitude avec restrictions, c’est justement un outil de prévention anticipée de la désinsertion professionnelle, serez-vous tentés de répliquer. Mais l’aptitude toujours l’aptitude. Que la crise, la disparition des postes réservés aux handicapés, qu’il faille améliorer la protection sociale des inaptes (réparation intégrale, amélioration de la prise en charge du préjudice professionnel pour les AT-MP, système de prévoyance pour la maladie) la mission n’envisage à aucun moment ces pistes. En revanche, le recueil du consentement éclairé du salarié est une solution pour les quelques cas, extrêmement marginaux d’inaptitude, car la mission, pleine d’optimisme, estime qu’il n’y aura plus d’inaptitudes (grâce sans doute aux précieux conseils que le médecin du travail dispensera à l’employeur….). On pourrait donc penser qu’il serait légitime que le salarié puisse aller jusqu’au bout de l'épuisement professionnel, se préparer un infarctus ou se ruiner le dos parce qu’il refuse l’avis d’inaptitude (il comprend bien que le bout de la route, c’est le RSA et qu’il veut nourrir sa famille ce qui est, bien sûr, légitime). Cette mise en gage de la livre de chair (Le Marchand de Venise) ou plutôt le choix impossible entre droit à la santé et droit au travail, voilà à quoi serait confronté le salarié. Point d’amélioration de la prise en charge des inaptes dans le rapport.

Il est donc urgent de fuir les sept plaies de l’aptitude et de prendre le chemin de la terre où coulent le lait et le miel de la prévention….

Les services de santé se sont lancés dans la mise en place de la réforme de la médecine du travail (loi 2011 et décrets 2012), non sans difficultés. Nul ne doute que les médecins du travail se retrouveront dans ce rapport. Il n’est pas impossible que tous ceux qui le peuvent envisagent d’aller vers d’autres cieux, aggravant la pénurie actuelle et future de médecins du travail.

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