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08 / 01 / 2015 | 8 vues
Denis Poitrey / Membre
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Disparition des CHSCT : une proposition du MEDEF en contradiction avec les véritables enjeux du travail et de la croissance

À la veille de Noël, s’exprimant au nom des entreprises, les négociateurs du MEDEF présentaient « just in time » des vœux de nouvelle année bien particuliers. En guise de « modernisation du dialogue social », 24 pages de propositions relatives « à la qualité et à l’efficacité du dialogue social dans l’entreprise et à l’amélioration de la représentation des salariés ». Le texte proposé aux organisations syndicales est présenté comme « l’une des conditions du redressement économique de la France ». Rien de moins. Comme si la croissance pouvait se décréter d’en haut.

Appelant à un « changement culturel » ce texte se propose de rompre avec ce qui est qualifié de « tradition néfaste aux employeurs comme aux salariés et refonder le dialogue social (…) sur une logique de confiance ». Il s’agit d’un débat certes encore non abouti puisqu’une nouvelle séance de négociation doit avoir lieu mi-janvier. Pourtant, la copie du MEDEF constitue une rupture profonde des équilibres garantis jusqu’ici par le droit du travail. Adopté en l’état, il entraînerait des risques majeurs à la fois pour les salariés et les entreprises mais aussi pour le redressement économique et la croissance. 

Du passé faire table rase ?

Tels ces rois qui par simple imposition des mains pouvaient guérir les écrouelles, ce texte  introduit une forme de nouvelle thaumaturgie : la rupture avec des « traditions » qualifiées de « néfastes » favoriserait une reprise qui se fait attendre.  En quelque sorte, ceux qui n’accepteraient pas ces propositions porteraient une lourde responsabilité. Telle est l’injonction paradoxale adressée pas seulement aux organisations syndicales mais à tous les salariés et au pays lui-même.

Cette injonction, comme un écho à cette « désespérance française » à la mode, a été précédée d’une petite musique lancinante alimentant une société de l’anxiété et du désenchantement qui, mois après mois, à longueur d’articles, d’interviews, de déclarations et de tribunes, plaide la nécessité d’un nouveau Bad Godesberg à la française afin de « réconcilier les français avec l’entreprise ».

Mais, cet appel à une réconciliation est-elle en phase avec de réelles préoccupations de l’opinion, de la société civile ou d’une grande partie des salariés ? À l’évidence, non. Récemment, un quotidien du soir citant une étude, soulignait « Les Français aiment les entreprises et n’hésitent plus à le dire (…) ils sont près de 90 % à en avoir une opinion positive. Ils n’étaient qu’un peu plus de 50 % il y a dix ans à penser la même chose (…) L’étude montre que cet engagement n’est pas de façade. Il se traduit très concrètement dans l’appréciation des valeurs portées par le monde du travail et transcende les clivages politiques. Ainsi, quand on demande aux Français quelles sont les idées associées à l’entreprise, la moitié d’entre eux (49 %) met en avant l’esprit d’équipe et 43 % la croissance économique, la création de richesses ou encore les relations sociales ». Le directeur général délégué d’Ipsos (auteur de l’étude) concluait dans le même journal : « Les Français, dont on persiste à croire qu’ils n’aiment pas l’entreprise, ont une lecture qui ne correspond plus du tout à la grille dominants-dominés qui a pu prévaloir par le passé ».

Si la perception qu‘ont les Français de l’entreprise est plus équilibrée que ne veulent le faire croire certains milieux, celle-ci n’est pourtant pas exempte de critiques portant principalement sur le travail et ses conditions. Parallèlement, beaucoup considèrent qu’il existe des marges  de simplifications pour rendre bien des structures plus efficaces. Nos compatriotes sont également conscients que leur niveau de vie mais aussi la cohésion sociale dépendent, aussi, de la création nette d’emploi.

Ce souci de la croissance mise en avant par le MEDEF a-t-il un lien avec la question des conditions de travail ? À l’évidence, oui si l’on en croit la vice-Présidente de l’ANDRH qui écrivait en juin 2013 « le lien entre la qualité du travail et la qualité des produits ou des prestations est évident mais il est rarement abordé au plus haut niveau de la gouvernance des entreprises. Il doit se traduire par des actions concrètes, partagées, mesurables et suivies dans le temps. L'évaluation des résultats économiques est essentiellement financière alors que la vraie différence entre deux entreprises, c'est la capacité à mobiliser les intelligences individuelles et collectives. De cette capacité dépend l'innovation et l'adaptation à des changements de plus en plus rapides ».

Nous reviendrons, dans une seconde partie, sur les enjeux de la croissance à proprement parler, leur lien avec les conditions de travail, le rôle des CHSCT en nous interrogeant sur la pertinence des propositions présentées par le MEDEF au regard d’une recherche  de « capacité des entreprises à s’adapter aux mutations économiques et sociales » ?

Un « dialogue social respectueux et constructif » ?

Le texte du MEDEF propose que « l’efficacité du dialogue social » s’appuie sur les critères suivants : « effectivité de ce dialogue, concordance des thèmes abordés et des sujets essentiels pour l’entreprise et ses salariés, utilité pour les salariés comme pour les employeurs, niveau d’anticipation et de réactivité, capacité de résolution, simplicité de mise en œuvre ». Il affiche donc  la possibilité de concilier la « fonction protectrice intrinsèque » du dialogue social et la « capacité des entreprises à s’adapter aux mutations économiques et sociales ».

Cette conciliation affichée  est-elle assurée par ce texte ? Ou s’agit-il de fait d’un retour à cette « grille de lecture dominants/dominés » qu’évoquait  le directeur général d’IPSOS ?

Dans les faits et à la lecture des propositions présentées (au-delà du recul des droits et des déséquilibres qu’il entraînerait, ce texte porte le risque de mener (sous couvert de « simplification ») à l’effet exactement inverse de l’objectif qu’ont bien voulu afficher, à dessein et sous couvert  de modernité, ses rédacteurs.

Une « fonction protectrice » respectée ?

Ces propositions permettent-elles la mise en place d’une régulation et d’un dialogue social offrant un cadre au sein duquel IRP et représentants des salariés auraient une place en matière de conditions de travail et situé à la hauteur des enjeux des mutations du travail à venir ? À l’évidence, non. Dans les faits, le rôle des IRP en matière de conditions de travail dépendrait désormais de la place qui leur est consentie par le management, cantonnées à un simple rôle de chambre d’enregistrement subordonné dans les faits et au regard de leurs moyens, à la seule volonté de l’employeur.

Comme le soulignait récemment un avocat en droit social le CHSCT, perdant sa personnalité morale et ses prérogatives en matière de conditions de travail,  se voit transformé en une simple commission technique d’un « conseil d’entreprise » se substituant aux instances existantes et cantonnée à un rôle « d’assistance » audit « conseil ». Les obligations de consultations revues, les délais d’avis des représentants des salariés une nouvelle fois réduits. Le choix d’expert HSCT effectué « d’un commun accord entre l’employeur et les membres élus du conseil » le cas échéant et « après un appel d’offre ». Une prise en charge par le « conseil d’entreprise » nouvellement créé des honoraires d’expert à hauteur de 20 % sur un budget de fonctionnement. Un délai de 3 semaines étant laissé à l’expert pour remettre son rapport. 

Un modèle social préservé ?

C’est à l’évidence, en matière de conditions de travail un cadre protecteur pour l’ensemble des parties qui vole en éclats. Celui-ci permettait la construction d’un équilibre offrant des garanties à chacun dotant, par exemple, l’expert HSCT à la fois de légitimité et d’autonomie. À itre d’exemple, cet équilibre, en matière d’expertise, s’appuie aujourd’hui sur trois piliers : en premier lieu, le libre recours à un expert tiers préventeur indépendant, le contrôle de l’expert par un dispositif d’agrément du ministère du Travail protecteur pour les parties en termes de qualité, de recours et d’encadrement réglementaire ; en second lieu, le respect de la prérogative des élus en matière de nomination, prérogative encadrée par une jurisprudence avec possibilité offerte à l’employeur d’un recours judiciaire dans un cadre législatif strict délimitant, les droits, voies de recours et obligations des parties.

Le retour proposé à une « commission d’hygiène » ersatz de CHSCT (sorte de retour au décret du 4 aout 1941) constituerait de surcroît la mise à bas d’une évolution historique qui avait vu les parties remettre au centre les questions du travail. Les organisations de salariés d’abord car, à y regarder de plus près et bien que cette remise au centre ait pris des formes diverses,  les organisations syndicales, que leurs traditions historiques soient celles de la charte d’Amiens, du courant syndicaliste chrétien ou encore les syndicats d’encadrement, avaient progressivement remis au cœur du débat les questions d’emploi en lien avec celles du travail.  Faut-il par ailleurs rappeler les conclusions du rapport Lachmann sur le lien entre performances des entreprises et conditions de travail, ceux de la commission Poisson (8) ? Cette remise au centre, dont ce sont saisis différents acteurs de la société, a aussi été rendue possible par ce cadre d’équilibre unique. 

Comme le soulignait un syndicat de cadres, « la vision exclusive du MEDEF repose sur la disparition d'instances et de mandats » alors qu’il s’agit de « trouver un équilibre réel des échanges, des informations transparentes appuyées par des expertises suffisantes et des consultations judicieuses. Comment réussir cet exercice si le CHSCT, témoin précieux de la qualité de vie au travail et facteur de sauvegarde de la santé en entreprise, est gommé de la carte des instances » ? Le modèle proposé, c’est participez formellement et sans moyens car, de toute manière, c’est nous qui décidons. On était habitué à mieux en matière de dialogue, fût-il social.

« Confiance » et « dialogue social » : pile je gagne, face tu perds ?

L’ANI du 29 juin 2013 sur « l’amélioration de la qualité de vie au travail » signé par une partie des organisations syndicales soulignait que cette dernière devait reposer sur un dialogue social actif et de qualité, ne pouvant aboutir sans un soutien effectif des dirigeants et la participation des salariés, les instances représentatives du personnel devant être associées à tous les niveaux de la démarche. L’encre de l’accord sur la QVT à peine sèche est, dans la foulée demandée, la suppression de l’un des acteurs essentiels en termes de conditions de travail. Dans le même mouvement l’accord sur la pénibilité pourtant signé (avec des contreparties réciproques) fait l’objet de tentatives de remise en cause. Pour cause de « simplification » encore.

Il convient, enfin,  de s’interroger sur  le sens d’un message adressé au corps social selon lequel au XXIème siècle, en France, une modernisation du dialogue social ne passerait pas par l’amélioration mais par la remise en cause (de fait) d’un ensemble d’équilibres bâtis depuis vingt ans. Étonnant modernisme, cette injonction paradoxale selon laquelle la nécessité de changer, de s’adapter, d’opérer des mutations serait synonyme d’austérité sociale et de droits réduits qui, sous couvert de simplification, déboucheraient sur l’exclusion progressive de la question du travail du champ d’un dialogue social régulé dans le respect des équilibres. Avec tous les risques de contre-chocs, tant individuels que collectifs et sociétaux.

À suivre : des propositions favorisant une « capacité des entreprises à s’adapter aux mutations économiques et sociales » ?

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