Participatif
ACCÈS PUBLIC
06 / 05 / 2014
Sylvain Thibon / Membre
Articles : 194
Inscrit(e) le 07 / 01 / 2010

En ce début mai 2014, la (dé-)fête du travail...

Changer le modèle. Dans les relations sociales, il n’y a pas énormément de modèles opérationnels. Certains modèles peuvent être coopératifs, respectueux et fondés sur le dialogue ; d’autres plus coercitifs, contraignants, absolutistes.

Dans le groupe Vivendi, nous voyons à l’œuvre depuis des années l’expression de ces deux modèles. Devinez où se trouve le modèle contraignant ? Deux grandes entreprises constituent encore pour quelques mois le groupe Vivendi, SFR et Canal+. Depuis toujours, SFR pratique un modèle de relations sociales ouvert, participatif, centré sur l’intérêt des salariés et de l’entreprise, mettant en œuvre les leviers d’actions et de dialogue basés sur la confiance et l’échange. À l’inverse, Canal+ pratique depuis quelques années le modèle inverse, un modèle dégradé archaïque, dépassé.  

On n’attrape pas les hommes avec de l’étroitesse d’esprit, ni les âmes à coups de mesquineries. Savoir où se trouve le pouvoir. Canal+ met en œuvre une politique sociale qui ne doit avoir pour objectif que de vérifier et d’affirmer le pouvoir. Pouvoir de sanctionner, pouvoir de décider de tout et pour tout, ce pouvoir-là est très concentré, pour le meilleur ou pour le pire.
 
Alors que l’évolution de nos entreprises imposent de revoir un modèle de relations sociales totalement dépassés par les évolutions du droit social (et plus encore par les nouvelles technologies de la communication), le web 2.0, à Canal+, c’est la résistance au changement qui l’emporte.
 

Créativité indispensable

Vantée sur tous les tons dans les entreprises, cette petite musique n’atteint pas encore le département des relations sociales, qui reste enfermé, claquemuré dans une vision passéiste et rétrograde. Une orientation qui nous fait perdre du temps dans la modernisation du dialogue interne, qui contraint la créativité indispensable en cette période de bouleversements, décourage des centaines de salariés, perturbe et affaiblit les entreprises, jusqu’à parfois saper l’atteinte des objectifs opérationnels.

Affaiblir pourrait être le terme générique qui résumerait à lui seul une situation ubuesque si elle n’était contre contre-productive socialement et opérationnellement. Affaiblir tout d’abord la représentation du personnel. Pas assez docile et conciliante, il faut contraindre sa partie la plus active par tous les moyens. Affaiblir le salarié lorsqu’il devient récalcitrant à l’exécution d’ordres incompris ou inadaptés. Affaiblir toute parole contraire pour qu’enfin ne subsiste qu’une seule voix, celle qui représenterait la vérité, l’excellence, la droiture.

Mais nos entreprises ne peuvent plus fonctionner selon un tel modèle ou bien elles dysfonctionnent. Un modèle qui apparaît en totale contradiction avec la nécessité de repenser les relations sociales de fond en comble, d’abord parce que le temps du patron tout puissant et déifié est révolu. Ensuite, parce que la réussite d’une entreprise se mesure aussi à la qualité de son environnement social. Enfin, parce que la complexité et la rapidité de l’évolution de nos organisations supposent des corps intermédiaires solides, des représentants du personnel formés, capables de communiquer, de jouer le rôle d'intermédiaire entre une direction parfois coupée des réalités opérationnelles et une base souvent soumise à de multiples mouvements, des soubresauts et décisions subis par des salariés ballotés entre résignation et volontarisme ou, pire, atteinte dans son intégrité physique ou psychologique.  
 

Restructuration à la hussarde

Mais pourquoi une entreprise comme Canal+ subit-elle un modèle aux antipodes de son ADN ? Nous pensons que c’est une « punition » issue d’une « erreur » originelle ou en tout cas considérée comme telle et que Canal+ n’en finit pas de payer. Souvenez-vous, 2001, c’est la crise, une entreprise au bord de la faillite, une restructuration à la hussarde et un premier jugement. Si Canal+ en est arrivé là, c’est que cette entreprise n’était pas organisée, jouissait d’une autonomie contraire aux principes de base de l’organisation capitaliste, un patron, un objectif et pas de discussion, exécution ! Pourtant, la fulgurance de la réussite des premières années devraient amener à plus de retenue.

Depuis 2005, c’est exclusivement ce modèle de pensée managérial qui est à l’œuvre. S’il a fait ses preuves dans les premières années du redressement (2001-2005) pour permettre à l’entreprise de se relever d’un drame historique, sa poursuite et son extension dans les années qui ont suivi ont empêché la création d’un nouveau modèle adapté à la nouvelle donne, une entreprise redressée financièrement mais en mutation profonde dans un environnement concurrentiel et technologique en profonde évolution.

C’est à ce moment-là que tout dérape. Comme dans tout système coercitif, maintenir la pression ne suffit pas : il faut sans cesse accroître, encore et toujours car les vents de la contestation s’expriment de plus en plus fortement. Quand ils ne peuvent s’exprimer, ils provoquent des tensions ou des ruptures menant jusqu’au surmenage des salariés exténués, des cadres importants qui n’en peuvent plus de devoir mettre en œuvre un modèle managérial si éloigné de leurs conceptions personnelles, plus ouvert et respectueux. La cassure devient alors inévitable, c'est le moment de la rupture.
 

Départs plus ou moins contraints

Si la contrainte sociale atteint dans leurs fondements les relations du personnel, elle ne permet pas non plus de résoudre les difficultés inhérentes à la modernisation de nos organisations ni de faciliter l’atteinte de nos objectifs opérationnels. C’est pourquoi, depuis des mois, ces réorganisations se traduisent d’abord par des départs plus ou moins contraints de dizaines de salariés. Car dans un modèle de ce type, nous sommes incapables d’accompagner des salariés dans leur carrière, de susciter des vocations, de former correctement les uns et les autres aux évolutions de l'entreprise. Nous sommes dans la caricature d’un modèle anti-écologiste. C’est périmé, il faut jeter. Sauf qu'il s'agit ici d'hommes et de femmes totalement investis dans leur emploi. 
 
Si l’entreprise n’est pas la cité, si la démocratie s’arrête aux portillons de l'entreprise où l’on badge chaque matin, imaginer l’entreprise du XXIème siècle comme une prison dorée est absurde et contre-productif. 

C’est ici que nous revenons à nos comparaisons. D’abord chez Vivendi, avec le contre-modèle de SFR et ses réussites, y compris dans ses transformations profondes à l’œuvre aujourd’hui. Une permanence du dialogue social, une continuité dans le respect des instances sociales. Plus loin de nous (mais pas si éloigné car nous avons l'habitude des relations sociales avec nos amis allemands d'Universal Music dans le cadre de nos instances sociales européennes chez Vivendi), un modèle pourtant bien connu de certains de nos patrons qui ont œuvré dans ce pays et qui en connaissent donc toute la la richesse, un dialogue social fondé sur le respect, l’échange, l’écoute et là-bas jusqu’à la codécision.

Le journal Le Monde titrait dans son édition du 24 avril, « Heureux comme un Allemand ». La réussite économique, c’est aussi la réussite sociale et imaginer gagner les prochaines batailles sans remise en cause profonde de notre modèle de relations sociales serait aussi utopique qu’illusoire. Nous gagnerons ou nous perdrons ensemble.

Les transformations du groupe Vivendi et la construction d’un pôle médias pugnace et  combatif nécessitent chez nous la construction d’un nouveau modèle social décrispé et respectueux. Inscrire le futur de ce pôle dans l’archaïsme social ambiant serait lui faire perdre une partie de sa vitalité. Ce serait certainement contrarier l’avenir.

Le risque est réel et avéré. Pour le faire mentir, il est urgent d’agir.
Pas encore de commentaires