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11 / 07 / 2013 | 2 vues
Patrick Legeron / Membre
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Inscrit(e) le 10 / 07 / 2013

Pour une approche scientifique médicale du stress au travail

La question du stress au travail est apparue en France de la manière la plus brutale qui soit, sous la forme du harcèlement moral au début des années 2000 d’une part (avec la loi de modernisation sociale de 2002, réprimant ces agissements et introduisant le concept de santé mentale au travail) et sous la forme des suicides au travail d’autre part (avec la forte médiatisation de ceux survenus dans l’industrie automobile puis à France Telecom). Étaient ainsi mis sur le devant de la scène les potentiels effets délétères pour la santé mentale des environnements de travail.

Absence d'approche économique du stress au travail

C’est bien plus tôt (dès les années 1980) que certains pays comme ceux d’Europe du Nord ont abordé ces questions mais davantage sous l’angle du coût pour les entreprises d’avoir des salariés stressés et en détresse psychologique et donc des bénéfices à développer le bien-être des individus.

Cet aspect économique du stress au travail n’est toujours pas bien pris en compte dans notre pays. Nous ne disposons quasiment pas d’études indiquant le coût du stress non seulement pour les entreprises mais aussi pour la collectivité. Encore moins sur l’intérêt financier de mettre en place des actions de prévention (avec la notion de retour sur investissement). Les nombreux rapports officiels sur le stress au travail qui se sont succédés ces dernières années, comme les études publiées par divers organismes ou agences, mettent davantage l’accent sur la réalité humaine et les souffrances des individus que sur ses conséquences sur les performances des entreprises qui les emploient.

Absence d'approche sanitaire

On pourrait alors penser qu’à défaut d’avoir une véritable approche économique du stress au travail, la France se serait engagée dans une approche sanitaire de ces questions. Hélas, il n’en est rien. Au niveau des pouvoirs publics, la thématique du stress et des risques psychosociaux relève du seul Ministère du Travail. À la différence de nombreux pays, le Ministère de la Santé n’est aucunement engagé sur ce sujet. Le paradoxe est d’autant plus grand qu’il est régulièrement rappelé (et le dernier rapport du Conseil économique, social et environnemental en est l’exemple le plus récent) que nous sommes face à un problème de santé publique.

Le plan d’urgence sur la prévention du stress au travail mis en place en 2009 par le Ministère du Travail avait même étonnamment confondu fins et moyens : la signature d’accords entre partenaires sociaux dans les entreprises, s’ils s’avèrent être une nécessité, ne sauraient être qu’un moyen, la vraie finalité étant la santé des salariés. Au Québec, les entreprises sont plus jugées sur la qualité des environnements de travail qu’elles ont instaurés que sur la signature d’accords.

Dépasser la « régulation » sociale


Trop souvent, le sentiment est donné que l’abord des risques psychosociaux n’est qu’une affaire de « régulation » sociale, d’élaboration de consensus entre partenaires sociaux, que ce soit au niveau national ou au sein des entreprises. Même s’il s’agit bien sûr d’une condition indispensable, l’approche sociale n’est pas suffisante et une place majeure doit aussi être donnée à une approche sanitaire de ces problèmes actuellement très négligée.

Avec près de 80 ans de recherche sur le phénomène du stress et ses liens avec le développement de diverses maladies et plus de 30 ans d’études des risques psychosociaux et la compréhension des effets de certains environnements de travail sur la santé des salariés, l’état des connaissances scientifiques doit servir de base et de socle à l’élaboration d’une politique et d’actions de prévention pertinentes et efficaces.

Comme nous le soulignions en 2008 dans le rapport remis au Ministre du Travail, il faut dans ce domaine dépasser les postures idéologiques ou les réactions affectives pour s’engager dans une démarche rigoureuse et scientifique. Pour divers problèmes comme celui du suicide ou des dépressions et du « burn out » professionnel, nous disposons de beaucoup de données tant épidémiologiques qu’explicatives trop souvent ignorées lors de l’élaboration de politiques de prévention et de lutte contre le stress et les souffrances mentales. Ainsi, de grands organismes de recherche médicale ou institutions publiques reconnues (comme l’INSERM) sont insuffisamment sollicités alors qu’ils disposent de connaissances valides sérieuses.

Faire du stress et des risques psychosociaux au travail une question scientifique et sanitaire ne signifie pas « médicaliser » le problème et se focaliser uniquement sur les individus malades comme certains ont pu justement s’en inquiéter. On sait bien que la médecine et la santé ont progressé par des actions sur l’environnement : ainsi le développement du tout à l’égout a plus apporté que la découverte et l’utilisation des antibiotiques à la lutte contre les maladies infectieuses !

En dépit d’une grande sensibilisation de la société française au phénomène du stress et de la souffrance au travail et d’une implication certes récente mais non négligeable des pouvoirs publics et des partenaires sociaux dans la prévention des risques psychosociaux, force est de constater que les résultats obtenus sur le terrain des entreprises sont encore très modestes. Considérer ce sujet comme un véritable problème de santé publique, avec tout ce que cela entend en termes de réorientation stratégique et de méthodologie, est aujourd’hui dans notre pays une obligation pour sortir de l’impasse.

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Oui, bien sûr, l’approche est intéressante et on ne peut être que d’accord. Mais ce qui reste étonnamment «spectaculaire» avec les risques psychosociaux c’est que 5 ans après l’ANI sur le stress au travail de 2008 et le plan d’urgence sur la prévention du stress en France de 2009 les véritables avancées se compte au toujours millimètre. Pire, avec la crise les choses s’aggravent. Pourtant la liste des 100 principales causes de non qualité de vie au travail, de stress et de souffrance est maintenant clairement établie (http://astouric.icioula.org/) et il serait facile de palier à plus d’une. Par exemple, la souffrance que les cadres répercutent forcement sur leurs équipes lorsqu’ils manquent de marge de manœuvre, lorsqu’ils n’ont pas été formés à leur travail d’encadrants ou encore sont obligés de faire autant pression sur leurs collaborateurs ou bien ne sont pas en mesure de négocier leurs objectifs … Bref, lorsque la Direction Générale leur confisque les moyens d’agir. Quel gâchis !