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21 / 02 / 2013 | 3 vues
Nicole Dutheil / Membre
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Absentéisme : indicateur en question entre le présentéisme qui coûte cher et l’hyper-implication qui nuit à la santé

L’absentéisme est-il encore un bon indicateur de la santé des entreprises ?

Ce qui étonne aujourd’hui, c’est que l’on constate une montée des maladies professionnelles (1) et une stabilité étrange (voire une réduction) de l’absentéisme dans les entreprises (2). Cet absentéisme pour raisons de santé touchant chaque semaine près de 680 000 personnes (3) nuit aussi gravement à la santé des entreprises.

Concrètement trois situations extrêmes se retrouvent souvent : l’absentéisme pour maladie réelle ou non (juste une fatigue chronique due à un travail intense qui fait que l’on prend une ou deux journées pour souffler) ; le présentéisme qui coûte cher aux entreprises et fait des ravages sur la performance et l’hyper-implication qui nuit à la santé et entraîne jusqu’au désaveu de la maladie. Selon les secteurs d’activité les proportions sont évidemment bien différentes.

L'absentéisme (4) est un indicateur très souvent utilisé dans les entreprises pour mesurer l'implication et la satisfaction au travail du personnel. La formule de base est toujours la même, cependant, les modalités de calcul varient souvent d'une entreprise à une autre. On distingue le plus souvent deux niveaux d'absentéisme : l'absentéisme prévu (les congés payés, les jours de réduction du temps de travail, la formation...) et l'absentéisme non prévu qui pénalise l'organisation du travail (la maladie dont les maternités, les arrêts suite à accident de travail ou maladie professionnelle, la grève…).

Le présentéisme est le fait d’être présent mais aujourd’hui cela désigne le fait d’être physiquement présent au travail sans avoir la productivité attendue, que ce soit du fait du salarié ou de l'organisation (sous-occupation). La baisse de productivité du salarié peut avoir de multiples raisons soit personnelles (maladie aiguë ou chronique, problèmes personnels extérieurs à l'entreprise), soit en relation avec le travail (démotivation ou fatigue due à une surcharge de travail, un manque de reconnaissance, des relations conflictuelles dans le travail…). Nous pourrions résumer le présentéisme en un mot : désengagement. Les salariés montrent qu’ils sont là, ils font leurs heures et même souvent plus mais sans réelle motivation, ni valeur ajoutée pour l’entreprise. Le présentéisme est difficile à mesurer mais il est estimé entre 10 et 20 % des salariés. En Europe du nord : « rester aussi longtemps (de 7 à 20 heures) est synonyme d'inefficacité. Ça veut dire qu'on ne sait pas s'organiser ».

En France, et malgré nos 35 heures théoriques de travail hebdomadaire, l'une de nos caractéristique est la très grande productivité. Le sur-présentéisme est le fait de faire des heures supplémentaires sans être rémunéré. Il concernerait plus de 50 % des salariés français. Cette productivité est plus classiquement le lot des cadres hyper impliqués et rémunérés au forfait. Elle s’explique par la peur de perdre son emploi et par les organisations du travail mises en place.

  • Les absences ont en effet plus d'effet dans le « lean management » ou dans le travail en groupe ou en mode projet car les réserves et les zones tampons ont tellement été réduites que toute absence se traduit de suite négativement sur le résultat. Pour les employés qui s'identifient à l'équipe ou au projet, il devient difficile de s'occuper de leur problème de santé sans avoir peur de surcharger leurs collègues et de mettre en danger la réussite du projet. Cela génère un sentiment de culpabilité.

La tendance à ignorer, à taire ou à cacher une maladie et donc à venir au travail en étant malade, est le revers de la politique de santé qui essaie de réduire les absences en oubliant que le véritable développement de la prévention santé signifie aussi de laisser la possibilité au salarié de se soigner correctement.

Cela entraîne un déni de la maladie et/ou le fait que les salariés viennent travailler malgré leur épuisement et leurs maladies. Cette hyper-productivité se paye donc cher pour la santé des individus. Pour tenir, de nombreux employés s’adonnent à des addictions de tous types (alcool, tabac et drogues plutôt pour les hommes mais plus fréquemment les médicaments pour les femmes). Cela est bien cohérent avec le fait que nous sommes les premiers consommateurs au monde d’antidépresseurs.

Une étude publiée (5) en 2007 par deux chercheurs allemands Kocyba, H. et Voswinkel, S. explique très bien ce phénomène des nouvelles formes du travail et de désaveu de la maladie sur deux niveaux. Au niveau de l'individu tout d’abord. La personne peut taire sa maladie : elle en est consciente mais n'ose pas en parler ; elle peut l'ignorer : elle ressent des symptômes mais repousse à plus tard leur prise en charge ; elle peut la minimiser : elle réagit aux symptômes mais refuse de voir leur gravité ; elle peut encore ne pas vouloir savoir : les symptômes sont visibles pour les autres mais la personne refuse de les voir et de les admettre. Le patient renie la maladie. Au niveau de l'entreprise, plusieurs mécanismes sont retrouvés : le refus de la responsabilité de la maladie : la responsabilité est redirigée vers l'individu. Même si la maladie ne mène pas jusqu'à la discrimination, elle est quand même vue comme une responsabilité individuelle du salarié ; la prise en charge des victimes : l'entreprise concède que les conditions de travail peuvent être difficiles mais elle avoue son impuissance à changer les choses. De ce fait, elle ignore les causes des maladies. La seule chose qu'elle peut faire, c'est faciliter la sortie des personnes menacées, par exemple les salariés âgés ; ignorer la maladie : les mesures des performances et la charge de travail sont telles, qu'elles demandent l'investissement maximal du personnel et, en fait, chaque maladie représente un problème de fonctionnement ; la rendre taboue : c'est une forme plus radicale que l'ignorer. Ici, rendre la maladie taboue peut être le reflet d'un risque de perdre son travail et donc une peur de montrer de la faiblesse et d'indiquer des pressions. Ou alors les faiblesses de santé sont taboues parce qu'elles ne correspondent pas à l'image que l'entreprise se fait d'elle-même ; enfin, contrôler la santé est vue comme une tâche de management puisque la réduction des maladies est un but de l'entreprise.

  • Il y a alors deux variantes du contrôle : soit par la discipline : on associe alors à la maladie des inconvénients pour l’entreprise en mettant la maladie en doute, contrôlant excessivement le malade et ne lui permettant pas d’avoir accès à certains avantages ; soit par un soin intrusif afin de réduire la durée d’absence, à travers un suivi systématique et en aidant activement le malade à reprendre au plus vite. La maladie n'est plus une chose privée et ce contrôle doit permettre de promouvoir des comportements sains mais également de sanctionner des comportements inadaptés.


En conclusion, on peut douter que les jours d'absence soient un réel indicateur de la santé d'une entreprise.

Dr Florence Benichoux et N. Dutheil, janvier 2013


(1) Selon l’INSEE et la DARES (18 déc. 2012), le nombre de maladies professionnelles reconnues (MP) a plus que doublé depuis 2001, pour dépasser 50 000 en 2010. La sous-déclaration des maladies professionnelles demeure importante. Les troubles musculo-squelettiques (TMS) représentent désormais plus de 85 % des maladies professionnelles reconnues et plus de 85 % des décès provoqués par les MP sont attribuables à une exposition à l'amiante.
(2) Selon la quatrième édition du baromètre de l'absentéisme d'Alma Consulting Group, le taux d'absentéisme s'élève à 3,84 % des jours travaillés, soit 14,5 jours par an et par salarié. C'est le plus bas niveau observé depuis 2007. Le taux d’absentéisme avait déjà reculé en 2010. Il s’élevait à 4,85 %, soit 17,8 jours en 2009.
(3) Les absences au travail des salariés pour raisons de santé DARES, février 2013, n° 9.
(4) Le taux d'absentéisme est le quotient du nombre d'heures d'absence par rapport au nombre d'heures théoriques de travail (c'est-à-dire le nombre d'heures qui auraient été travaillées sans absence).

(5) Kocyba, H. And Voswinkel, S., Krankheitsverleugnung: Betriebliche Gesundheitskulturen und neue Arbeitsformen (Désaveu de la maladie : cultures de la santé et nouvelles formes de travail), Hans Böckler Stiftung, 2007.

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