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10 / 05 / 2011 | 233 vues
Anne Baltazar / Membre
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La fonction publique se met au management matriciel

Pour faire suite à la réunion de printemps 2009 sur les fusions de corps, la DGAFP (Direction générale de l'administration de la fonction publique) a réuni les organisations syndicales en début d'année pour les informer des nouvelles orientations à l’horizon 2012 et de la création de corps interministériels à gestion ministérielle (CIGeM).

En préambule, un bilan des fusions sur les années 2005-2009 a d’abord été présenté.

Bien que ces opérations de fusion soient assez contrastées, la DGAFP considère que ce premier bilan est plutôt positif (!).

En effet, en 2005, la fonction publique comprenait plus de 700 corps. Fin 2009, il reste 380 corps vivants (c’est-à-dire des corps où l’administration recrute), dont 83 dans les établissements publics, répartis de la façon suivante : cat. A, 223 – cat. B, 91 – cat. C, 66.

Donc, 222 corps ont été mis en voie d’extinction de fait (plus d’actifs) ou de droit (plus de recrutement), dont 71 dans les établissements publics.

Les cat. C ont été les principales touchées. Les fusions ont principalement eu lieu à l’intérieur des périmètres ministériels.

  • La DGAFP affiche une volonté sans faille qui se traduit par un objectif de moins 150 corps à l’horizon 2015. Selon eux, cela devrait ainsi permettre d’enrichir les parcours professionnels, d’élargir les possibilités de mobilité, d’améliorer les conditions de gestion (notamment pour les corps à faible effectif), et de faire converger les règles de gestion pour les rendre plus lisibles.


Un premier cycle d’échanges ministériels aurait déjà permis d’identifier les fusions à venir en obéissant principalement à une logique métier pour les fusions interministérielles ou pluri-ministérielles.

Les pistes proposées pour atteindre cet objectif sont :

  • les rapprochements traditionnels par mise en extinction ou intégration (corps à petits effectifs) ;
  • la création de « CIGeM », corps interministériels à gestion ministérielle (!). Ces corps seraient à statut commun et devraient s’appuyer sur une logique métier très forte (avis du Conseil d’État des 28 et 29 mai 2009) ;
  • les rapprochements pluri-ministériels pourraient s’inspirer du dispositif des CIGeM et prévoir une gestion par ministères d’affectation.


Bien entendu, ces rapprochements ministériels ne pourraient se faire que dans le cadre de la mise en œuvre des mesures de revalorisation (ex : le NES), notamment pour les corps d’établissement publics.

Pour la mise en œuvre des fusions ministérielles et pluri-ministérielles, le pilotage serait assuré par les ministères concernés et concertés dans ce cadre (cela va nécessiter un amendement à l’article 10 du statut, loi 84-16, pour déroger à certaines dispositions pour l’existence de ces corps).

Concernant les fusions interministérielles (filière administrative et sociale), elles seraient pilotées au niveau du ministère chargé de la Fonction publique, puis déclinées par les ministères concernés. Mode d’emploi des CIGeM (avis d’assemblée générale du Conseil d’État des 28 et 29 mai 2009).

Les périmètres de gestion seraient fixés par annexe au décret : l’intégralité des actes de gestion est déléguée aux ministres et à l’exécutif de certains EP, si effectifs suffisants (pas de lieu interministériel de gestion nationale, pas de commission administrative paritaire interministérielle, « CAPI », nationale) ; nécessité de régler certaines situations spécifiques (DRH commune, EP sous co-tutelle…).

Les périmètres de déconcentration se feraient en appliquant la « théorie des silos » : la nature et le niveau de délégation des actes peuvent être différents lorsque les lignes hiérarchiques de déconcentration sont distinctes (critères objectifs). Cette théorie des « silos » (énoncée par le Conseil d’État) devrait permettre de faire fonctionner ces nouveaux corps interministériels. Les agents continueraient de dépendre de leur ministère de tutelle, mais serait gérés localement  (en un mot, une vraie usine à gaz (voir ci-dessous), sans pour autant affirmer que les coûts de gestion seraient finalement moindres).  

  • En outre, localement, cette nouvelle théorie entraîne l’absence totale d’équité entre les corps d’une même catégorie. La théorie des silos entrainerait de fait des CAP locales interministérielles. Quid du devenir des CAP nationales ?

Pour Force ouvrière, derrière ces fusions, il y a les agents et la réalité du terrain (recrutement, grille indiciaire, voire régime indemnitaire). Comment peut-on parler de fusion sans aborder les missions ?

En dénaturant les corps, le risque de dilution des missions devient important. Tel que présentées par l’administration ces fusions ne semblent répondre qu’à une logique comptable (quel intérêt de vouloir absolument lier les fusions à la revalorisation de carrière ?

  • Si pas de fusion = pas de revalorisation = punition !


Pour Force ouvrière, fusionner des corps à l’aveugle risque d’avoir des effets sur d’autres corps (si les corps fusionnés sont des débouchés, ceux-ci vont disparaître) et d’affecter l’avenir des écoles d’application (concours regroupés, formation mutualisée). La fusion ne doit pas aboutir à la négation des niveaux de recrutement.

En conclusion, ce projet de fusion (et surtout de création de corps interministériels) n’apporte aucune amélioration à la situation des agents. Bien au contraire.
Ce projet n’annonce pas une gestion commune, mais l’émergence de compétences communes au profit d’une gestion mutualisée en vue de faciliter les affectations locales. La RGPP continue !

Corps interministériel à gestion ministérielle (CiGeM) ?


En 2009 le Conseil d’État a été saisi par le Ministre du Budget, des Comptes publics et de la Fonction publique d’une demande d’avis autour de la possibilité de constituer des corps interministériels en fusionnant les corps actuels de l’État appartenant à une même filière professionnelle tout en confiant leur gestion aux ministères et aux établissements d’affectation. Somme toute, il s’agirait de créer un cadre commun, par  exemple : un corps interministériel d’attachés d’administration avec statut unique, mais avec des règles de gestion « localisées ».

Ainsi, en matière d’avancement, les taux de promotion dans les grades d’avancement ne devraient pas être modulés selon une simple logique ministérielle mais procéder d’une appréciation objective, pour chaque ministère la situation démographique du corps ainsi que des besoins particuliers, notamment en termes de compétences ou d’encadrement, correspondant aux fonctions afférentes aux grades d’avancement.

  • CIGeM : l’usine à gaz

Décidément, Racine avait raison en écrivant que les plaideurs ne sont pas les payeurs. Éblouie par les méthodes de management du secteur privé, la DGAFP ne se lasse pas de s’en inspirer. C’est ainsi que nous avons vu surgir de nombreuses sociétés de Conseil pour appliquer au secteur public les « bonnes recettes » du privé.

Le rapport Silicani n’a-t-il pas été élaboré de la sorte avec l’appui de consultants aguerris en matière de restructurations et dévoués à la cause pour déstructurer un peu plus la fonction publique.

Le 10 janvier, la fonction publique a présenté son projet de création de corps interministériel aux syndicats.

Pour l’instant, ceux-ci n’existent pratiquement pas. Seuls les administrateurs civils sont réellement gérés en interministériel. À côté, d’autres corps (infirmières, documentalistes…) ont un statut commun et une gestion ministérielle. D'après le Conseil d’État, repris par la DGAFP, cela se traduirait soit par des taux de promotions différencié selon les services gestionnaires ou par un taux unique fixé pour le corps.

À cette étape, le DGAFP pencherait plutôt pour un taux de plancher modulable par ministère. Le statut général autorisant la déconcentration des pouvoirs de gestion, y compris les recrutements et avancements, les ministères, les responsables d’établissements publics et les autorités territoriales de l’État prendraient en charge l’essentiel de la GRH du corps et des agents.

  • Le Conseil d’État a quasiment théorisé cette partition du corps interministériel en évoquant la notion de silos. Or, ce découpage de la gestion des agents relève d’une théorie bien connue en management, celle de la structure matricielle.


Élaborée essentiellement au sein des grandes entreprises pour soutenir l’organisation du travail en mode projet selon l’adage des bonnes ressources, au bon endroit, au bon moment, la structure matricielle est une combinaison qui résulte le plus souvent du croisement de divisions « métiers » et de divisions « géographiques » ou d’une structure fonctionnelle et d’une structure divisionnelle.

Ce type d’organisation possède incontestablement des avantages pour combiner les ressources et créer des programmes transversaux. Elles sont particulièrement attractives pour les grandes organisations car elles autorisent le cumul d’une perspective globale avec une adaptation locale.

Toutefois, parce qu’elle remplace la ligne hiérarchique formelle par des interactions croisées, elle débouche souvent sur de graves problèmes organisationnels et humains.

Cela, d’autant plus qu’il n’existe pas de schéma type. On peut les lister comme suit :

  • lenteur de la prise de décision,
  • inflation du coût de la communication,
  • forte consommation du temps des responsables.

La plupart du temps les opérationnels se trouvent sous la responsabilité de deux supérieurs hiérarchiques. Ainsi, on ne sait plus qui évalue qui ou quoi.

La fonction publique devrait regarder plus loin que la modélisation théorique d’une telle organisation du travail.

Leur projet de CIGeM se heurte à une réalité forte du service public : la mission.

Celle-ci n’est pas assimilable à un projet ponctuel (par exemple : audit, campagne marketing). Elle se développe dans le temps. La structure matricielle réussit dans une temporalité maîtrisée. Elle s’apparente à un Rubik’s cube aux trois dimensions cohérentes (temps, projet, fonction).

Au fond, nous doutons fort de sa transposition à la fonction publique d’autant plus qu’elle nécessite une gestion resserrée (processus de coordination et interactions) dans laquelle la conviction et l’implication sont indispensables. Plus particulièrement des dirigeants, lesquels doivent être capables de maintenir une atmosphère de collaboration, tout en sachant gérer désordre et ambiguïté. C’est pour cette raison que Bartlett et Ghoshal * affirment que cette approche implique un « état d’esprit » tout autant qu’une structure formelle.

Ainsi, pour la FGF-FO, cette technique de management va contribuer un peu plus à la dégradation organisée des conditions de travail des agents.

Alors que de nombreux agents subissent des réorganisations structurelles les contraignant à changer de fonction, de poste, de structure (y compris parfois géographiquement), la DGAFP, par cette nouvelle orientation, rajoute de la « confusion » à la « désorganisation ambiante » des services.
     
* Bartlett et Ghoshal sont deux chercheurs en management stratégique tenant de « l’entreprise individualisée : une nouvelle logique d’entreprise »

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